Que vaut une indépendance sans souveraineté ? Un constat et un débat récurrents chaque fois qu’un ancien territoire africain occupé de force par la France, prétend célébrer sa « fête d’indépendance », hormis l’Algérie bien entendu. Pour les détracteurs, qui pointent en premier le Franc cfa du doigt, les États africains sont demeurés depuis leur « pseudo indépendance » sous le joug néocolonial de la France, contrairement aux pays anglophones. (Hervé Coulibaly)
@Nath_Yamb »A tous les dépendants…Ceux qui célèbrent quelque chose qu‘ils n‘ont pas encore obtenu; quand vous aurez fini de fêter, venez nous rejoindre sur la ligne de front, pour conquérir ce qui nous donnera notre place dans le monde: notre souveraineté. Bon week-end. »
Côte d’Ivoire: La marche à reculons vers l’indépendance (RFI)
Colonisée par la France depuis le XIXe siècle, la Côte d’Ivoire accéda à l’indépendance le 7 août 1960, sous l’égide de son leader historique Félix Houphouët-Boigny, qui deviendra le premier président du pays. Considéré comme l’homme de la France en Afrique, ce dernier conduisit une politique de coopération étroite avec l’ancienne puissance coloniale, arrimant son pays solidement au bloc occidental.
La colonie française de la Côte d’Ivoire est officiellement née le 10 mars 1893. Son premier administrateur était un certain Louis-Gustave Binger, un officier de marine, qui était passé par Dakar où il avait servi comme officier d’ordonnance du général Faidherbe. L’homme s’était également distingué par ses missions de reconnaissance des territoires inconnus de la boucle du Niger. Il donnera son nom à la deuxième capitale de la Côte d’Ivoire, Bingerville, qui supplanta Bassam en 1900, avant de céder à son tour sa place de première ville du pays à Abidjan, en 1934.
Conquête et pacification
Les Français avaient été présents dans les régions côtières du golfe de Guinée dès le XVIIe siècle. L’établissement du premier comptoir français à Assinie, situé à l’est d’Abidjan, date de 1687, mais c’est seulement au XIXe siècle que la présence française devint significative avec la création de comptoirs notamment à Grand-Bassam (1842) et à Dabou (1853). Cependant, lors de la constitution du territoire ivoirien en colonie française en 1893, Paris n’avait pas tout à fait le contrôle sur l’ensemble de l’espace ivoirien.
Bien implantés dans le sud-est du pays, les Français se heurtèrent dans les premières années de la colonisation à de nombreuses résistances, en particulier dans les savanes islamisées du Nord où ils firent face aux troupes du redoutable Samory Touré. À l’issue d’une longue traque, le chef militaire et religieux fut finalement défait en 1898, capturé et déporté au Gabon où il mourut en captivité. La conquête de tout le territoire, rattaché à l’Afrique occidentale française (AOF) en 1905, aboutit très progressivement.
D’après les historiens de la colonisation, les résistances à la conquête furent nombreuses et prirent des formes diverses allant de la révolte à l’insubordination, en passant par la soustraction au travail et à l’impôt. « La conquête de ce qui deviendra la Côte d’Ivoire, écrit l’historien Fabio Vitti dans Cahier d’études africaines (1), a été, de par la résistance rencontrée, l’une des plus longues et sanglantes que la colonisation française ait eu à affronter en Afrique de l’Ouest. »
Mise en valeur des ressources ivoiriennes
En 1915, la pacification de la colonie est considérée comme à peu près achevée. C’est le début de l’exploitation de ses innombrables ressources naturelles dont la mise en valeur était assurée par quelques grandes compagnies. Les infrastructures furent construites pour permettre l’évacuation des produits d’exportation : café, cacao, bois, caoutchouc, huile de palme…
Dès 1904, la puissance occupante lança la construction d’un chemin de fer qui relia la côte Atlantique à Bouaké au centre du pays (dès 1912), puis à Bobo-Dioulasso, au sud du Burkina actuel (à partir de 1933). Les travaux d’aménagement du port d’Abidjan furent également engagés dès les premières années.
Fondée sur une économie de plantation, le développement rapide de la colonie pendant la période de l’entre-deux-guerres fit de ce pays le territoire le plus prospère de l’AOF. Ce développement profitait avant tout aux colons européens qui détenaient les rênes de l’économie et dictaient leurs lois à la métropole. Le développement permit aussi l’enrichissement d’une poignée de planteurs noirs qui avaient fondé leur prospérité sur le café et le cacao. Face sombre du développement, le travail forcé auquel était soumise la population autochtone, doublé de brutalités, de sévices et ségrégation raciale, avec une administration trop souvent complice de ces crimes.
Discriminations et privilèges
Il va falloir attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que la politique coloniale française évolue. Le signal du changement fut donné par la Conférence de Brazzaville organisée en 1944 à l’initiative du général de Gaulle. La Conférence accepta le principe de l’admission à la citoyenneté de tous les Africains et reconnut la nécessité de donner aux colonisés une plus grande voix dans la gestion politique de leurs pays.
Sur le terrain, en Côte d’Ivoire, encouragés par l’esprit nouveau qui soufflait sur l’administration, les planteurs africains créèrent en 1944 un syndicat agricole africain (SAA), avec pour objectif de mettre un terme aux discriminations économiques dont les paysans noirs étaient victimes. Pendant la guerre, les planteurs locaux avaient aussi vu leur production chuter, faute de main d’œuvre d’une part et à cause, d’autre part, des diverses astreintes auxquelles ils étaient soumis contrairement à leurs homologues métropolitains. Le travail forcé en vertu duquel les autochtones, y compris les planteurs, étaient obligés de quitter leur plantation pour aller travailler dans des plantations européennes était devenu la véritable plaie de la Côte d’Ivoire coloniale.
C’est en tant que président du SAA que Félix Houphouët, qui ne s’appelait pas encore Boigny, entra dans l’arène ivoirienne en 1944. Issu d’une riche famille de propriétaires terriens, le quadragénaire engagea immédiatement l’épreuve de force avec le camp puissant des colons. Au sein du SAA, il militait pour les droits des planteurs autochtones, mais aussi pour les droits des ouvriers agricoles humiliés par les pratiques abusives des colons.
Conscient de la complexité des rapports de force, Houphouët déplaça rapidement la bataille sur le terrain politique en se faisant élire à la fin de la guerre à l’Assemblée nationale à Paris. Il fit voter en 1946 la loi qui abolit le travail forcé dans les territoires d’outre-mer et qui porte son nom. Acclamé par son peuple qui lui conféra le titre de « Boigny » (« bélier » en baoulé), Houphouët le Bélier fonda alors son propre parti, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et prit la tête du Rassemblement démocratique africain (RDA), un mouvement anticolonial panafricain, affilié au Parti communiste français.
Vers l’indépendance « sans Cha Cha »
Désormais, l’histoire de la Côte d’Ivoire va se confondre totalement avec celle d’Houphouët-Boigny, même si les années 1950 verront ce dernier prendre ses distances par rapport aux luttes anticolonialistes de sa jeunesse. En 1951, le leader ivoirien rompt les amarres avec les communistes, choisissant de s’allier un temps avec la gauche modérée de la métropole représentée par le tandem René Pleven et François Mitterrand, avant de s’affirmer comme un pilier du gaullisme, à la faveur du retour du général de Gaulle aux affaires en 1958.
Calculs ou revirement idéologique sincère ? Difficile de répondre. Toujours est-il que cette fidélité exemplaire fut récompensée, avec la cooptation de l’Ivoirien dans tous les gouvernements français sans interruption entre 1956 et 1959. Cela faisait dire à l’intéressé lui-même, comme le rapporte le journaliste français Thomas Hofnung : « J’étais pris en otage, car chaque président du Conseil qui passait me laissait à son successeur » (2).
Ces positions d’influence dans la plus haute sphère politique française permirent à Houphouët-Boigny de participer à l’élaboration des réformes qui aboutirent à la décolonisation. Selon les historiens, le président ivoirien ne voulait pas de cette indépendance pour la Côte d’Ivoire, du moins pas en 1960, estimant que son pays n’était pas prêt. « Son idéal était l’arrimage définitif de la Côte-d’Ivoire à la France », écrit Marcel Amondji, auteur d’une biographie critique du leader ivoirien (3). Houphouët fut en effet un ardent défenseur de la Communauté franco-africaine, projet mort-né d’une union entre la France et ses ex-colonies d’Afrique francophone, qui tomba définitivement à l’eau avec le « non » retentissant de la Guinée de Sékou Touré en 1958.
Ainsi, le 7 août 1960, la Côte d’Ivoire entra à son tour dans l’ère des indépendances sans que son leader historique Félix Houphouët Boigny l’ait vraiment souhaitée. Mais tout au long de sa longue présidence à la tête de son pays (1960-1993), l’Ivoirien restera fidèle à sa vision « françafricaine », jouant le jeu de la continuité et de l’alliance avec l’ancienne puissance coloniale. Il conduisit une politique de coopération étroite avec la France, permettant aux entreprises métropolitaines de contrôler une grande partie de l’économie. Avec 40 000 ressortissants résidant en Côte d’Ivoire au début des années 1980, la communauté française était la plus importante de l’Afrique. Longtemps après l’indépendance, les administrations ivoiriennes ont continué d’être gérées par des cadres et des coopérants venus de France. Jusqu’à la fin du règne d’Houphouët, la présidence elle-même comptait deux Français parmi les plus proches collaborateurs du président.
Sur le plan géopolitique également, Abidjan était la pièce maîtresse du dispositif diplomatique pour l’affirmation par la France de sa prééminence tant en Afrique que dans les organisations multilatérales. Les liens d’Houphouët furent si étroits avec les dirigeants français, en particulier avec la cellule africaine de l’Élysée, sous notamment Jacques Foccart, le célèbre « Monsieur Afrique » des présidents français, que des observateurs se sont parfois demandé si le « Vieux » n’avait pas plus d’influence sur ses interlocuteurs du bord de la Seine qu’eux sur lui. Dans ces conditions, comment s’étonner que le terme « Françafrique » ait été inventé quelque part entre Abidjan et le village natal de l’ex-président ivoirien, Yamoussoukro ?
(1) Les massacres de Diapé et de Makoundié (Côte d’Ivoire, juin 1910), Fabio Vitti, in Cahier d’études africaines, n° 225, 2017
(2) La crise en Côte d’Ivoire, Thomas Hofnung, éditions La Découverte, 2005
(3) Félix Houphouët et la Côte-d’Ivoire : l’envers d’une légende, Marcel Amondji, éditions Karthala, 1984
Côte d’Ivoire : indépendance et après en 5 dates
7 août 1960 : Proclamation de l’indépendance de la République de Côte d’Ivoire.
20 septembre 1960 : Admission de la Côte d’Ivoire à l’ONU.
3 novembre 1960 : Promulgation de la Constitution qui établit un régime de type présidentiel.
27 novembre 1960 : Élection de Félix Houphouët-Boigny à la présidence de la République. Il instaure un régime de parti unique avec le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Il sera réélu en 1965, 1970, 1975, 1980, 1985 et 1990.
24 avril 1961 : Signature d’un traité de coopération entre la Côte d’Ivoire et la France. Ce traité comporte plusieurs volets : économique, monétaire, financier, éducatif et culturel. Les deux pays signeront le 24 avril 1962 un accord de défense et d’assistance militaire et technique.
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