Des cases rondes construites avec de la terre battue, couvertes de chaume, cèdent la place aux maisons d’habitation de forme rectangulaire, coiffées de tôles ondulées. De massifs poteaux en béton terminés par des lampes électriques ont surgi ici et là dans le village. Des cases sacrées pillées et à la recherche d’un « gérant » sont elles aussi couvertes de tôles ondulées par endroits, des robinets de la Sodeci (Société de distribution d’eau de Côte d’Ivoire) présents dans les recoins de certaines maisons ne laissent aucun visiteur indifférent… Biankouma-Village ou « Biangouin », petit à petit, se désagrège dans la plus grande indifférence des uns et des autres.
A l’origine de cette ruine infrastructurelle, des jeunes épris de la modernité qui refusent de dormir dans des cases rondes encore couvertes de chaume, de dormir à la lueur des feux de bois ou de consommer l’eau des marigots, opposés aux notables, chef de village et gardiens des cases sacrées, eux, conservateurs et soucieux d’être en phase avec «l’esprit des ancêtres ».
« Avant la crise militaro-politique du 19 septembre 2002, nous accueillions ici à Biankouma, surtout pendant les grandes vacances scolaires, presque tous les jours, deux à trois autobus de 60 places. Transportant des touristes européens, américains et africains parmi lesquels figuraient de nombreux Ivoiriens désireux de découvrir l’habitat traditionnel du peuple dan et leur mode de vie au quotidien. Nous gagnions par jour 50 à 100 000 F CFA et recevions de nombreux présents. Aujourd’hui, pas un seul touriste pendant plusieurs mois à cause de la ruine de Biankouma-Village » fait observer avec amertume Singo Sigui Hervé, un des principaux guides touristiques de la région, rencontré il y a quelques jours.
Les “cases sacrées”, véritables musées
Classé patrimoine culturel de l’Unesco en 1996, Biankouma-Village a, pendant longtemps, constitué l’un des principaux sites touristiques naturels du département de Biankouma, à cause de la structure architecturale traditionnelle de l’habitat du village. Un habitat marqué par des cases rondes construites avec de la terre battue, aux parois badigeonnées de kaolin par endroits et surtout, marqué par l’existence de plusieurs “cases sacrées”, véritables musées, appelées, en langue locale yacouba, « Gbouhou-koh » ou « Guéhé-koh », pour simplement dire : « la demeure des masques ».
En effet, des années plus tôt, soucieux de la conservation de ce patrimoine culturel traditionnel yacouba, le Conseil municipal de Biankouma d’alors, dirigé par Alphonse Woï Messé a, dans la période de 1995 à 2000, fait du développement touristique dans le département de Biankouma, une priorité. Ainsi, en 1996, Biankouma-Village devient un site touristique naturel. Un plan de conservation est réalisé par la Royaume de Belgique, avec la collaboration du ministère de l’Equipement et des Infrastructures de la Côte-d’Ivoire. Ce plan prévoit la construction d’une clôture qui délimiterait le village. Biankouma-Village devient alors une destination très prisée des touristes, pour la plupart en provenance d’Europe, d’Asie, d’Amérique et d’Afrique.
Jusqu’en septembre 2002, la quasi-totalité des habitants de Biankouma-Village s’éclairaient encore à la lueur des lampes tempêtes et surtout à la lueur des feux allumés à partir des fagots. Raison principale invoquée : « être en phase avec les esprits de certains grands masques qui ne doivent être vus des femmes et des hommes non encore initiés », ont pendant longtemps soutenu patriarches, gardiens de cases sacrées et chef de village opposés à l’éclairage public de Biankouma-village, en dépit de la présence de la Compagnie ivoirienne d’Electricité (CIE) dans la région. Du coup, les clairs de lune étaient très prisés, parce que naturels. C’est justement pendant ces clairs de lune que les jeunes hommes apprenaient à battre le tam-tam, à danser et à chanter. Les jeunes filles aussi. Tandis que, d’autres, dans les cases, assis auprès des feux écoutaient attentivement grand-père ou grand-mère dire des contes.
Quelques mois avant la rébellion de de septembre 2002, sur une pancarte plantée à Dingouin, à cinq kilomètres à l’entrée de la ville de Biankouma, on pouvait lire : « Si vous êtes à Biankouma, n’oubliez pas de visiter Biankouma-Village et ses sept cases sacrées ». Une invite formelle à découvrir ce village qui a donné son nom au département du même nom : Biankouma.
Courses de masques et fêtes de l’igname
En dépit de la ruine infrastructurelle de Biankouma-Village, les populations de cette localité restent encore foncièrement attachées aux valeurs traditionnelles. Les courses de masques y sont régulièrement organisées tous les vendredis en été, la fête de l’igname aussi. Et les conflits communautaires les plus aigus sont réglés dans la principale case sacrée du village appelée « Gbouhou-koh », qui signifie « la résidence des masques », espace dont l’accès est interdit aux hommes non encore initiés et aux femmes.
Justement, du masque. Appelé « Guéhé » en yacouba, dans le département de Biankouma, il garde encore intact toute sa valeur. « Etre divin ou esprit incarné, le masque régit la société traditionnelle dan de Biankouma. Sa décision est irréfutable et personne dans cette société ne peut avoir raison de lui ».
Honoré Droh | Source: Lebanco.net
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