L’Etat doit réduire la voilure
Dans les années 80 et 90, lorsque les pays africains se tournaient vers le FMI pour obtenir de l’argent, il leur était demandé de réduire la taille de leur fonction publique. A l’époque, l’essentiel de leurs dépenses était consacré aux salaires des fonctionnaires. En CI le seul secteur de l’éducation accaparait 46% du budget de l’Etat ! Pour le Président Houphouët, il s’agissait de former les jeunes afin qu’ils « transforment nos matières premières ». Mais le pays s’est planté. La transformation est restée marginale.
Aujourd’hui, réduire le salaire des fonctionnaires ou réduire leur nombre n’est plus envisageable, ce seront des grèves, des marches, qui vont paralyser toute l’activité. Pourtant le problème n’a pas totalement disparu. La masse salariale reste pesante, surtout en Afrique francophone où nous avons affaire à des « pays de fonctionnaires ». La réduction des effectifs doit de nouveau être mise sur la table eu égard au sureffectif et aux emplois fictifs qui ont de nouveau refait surface.
On parle d’emploi fictif lorsque l’Etat verse un salaire sur le compte d’un fonctionnaire qui n’existe pas en personne. On parle de sureffectif lorsque plusieurs individus accomplissent une tâche qui peut être dévolue à une seule personne. Le sureffectif mène droit à l’absentéisme chronique des personnes non nécessaires. Nous avons affaire à des milliers de personnes qui perçoivent un salaire pour un travail qui reste à prouver.
Le recensement des fonctionnaires permet de résoudre la question des emplois fictifs. En 2011, un recensement a permis de découvrir 3 000 fonctionnaires fictifs. La question du sureffectif est plus délicate. Elle n’a jamais été traitée en tant que telle dans le pays. Pourtant il existe un moyen simple pour cerner le sujet. Il suffit d’exiger de tous les chefs de service de l’administration, un rapport détaillé sur l’activité effective de chaque agent. Très vite on pourra déceler le personnel en excès dans le service.
Le gouvernement ivoirien lui-même n’est pas épargné par le sureffectif. La pertinence de certains ministères et institutions est discutable. Lorsqu’il était Premier Ministre du Président Houphouët de 1990 à 1993, le Président Ouattara avait des mots assez durs pour fustiger le train de vie de l’Etat, dénonçant des postes créés pour « caser » les gens. Aujourd’hui on peut lui reprocher de reproduire ce schéma.
Bien entendu le sureffectif et les emplois fictifs ont un effet dramatique sur les ressources de l’Etat. Sur le plan économique, il n’est pas logique de payer un salaire à une personne qui n’intervient pas dans la production. Or si à travers les emplois fictifs, l’Etat paie des salaires à des personnes qui n’existent pas, à travers le sureffectif, il paie des salaires à des personnes qui existent mais ne travaillent pas. Dans les deux cas, le résultat est le même, il y a un gonflement de la masse salariale qui ne correspond pas à l’activité effective des agents. Nos autorités doivent toujours surveiller la masse salariale comme du lait sur le feu. Or il semble que ces dernières années, la vigilance se soit relâchée.
De nos jours, on demande aux Etats africains de surveiller plus leurs dettes, que leurs dépenses salariales. Mais en fait les deux questions sont liées. Les Etats s’endettent parce que les dépenses de fonctionnement exercent une pression maximale sur les ressources mobilisées à domicile. Ce qui est récolté sert à faire fonctionner l’Etat. Rien ne reste pour investir et construire. Il faut donc s’endetter. Les (2/3) du budget ivoirien sont consacrés à la dette et aux dépenses de fonctionnement, essentiellement la masse salariale.
Depuis 2011, l’économie ivoirienne est en pleine expansion, ce qui pousse l’Etat à recruter massivement. A chacune de ses interventions, le Ministre de l’emploi des jeunes semble se réjouir de cette situation. Mais il faut plutôt s’en inquiéter. La décrue du chômage ne doit pas résulter d’une dynamique des emplois publics, c’est plutôt le privé qui doit être dans ce rôle. Parce que les fonctionnaires ne créent pas directement de richesses mais en consomment.
Toujours plus de fonctionnaires, c’est toujours plus d’impôts, plus de taxes, plus de droits de douane, plus d’inflation, plus de déficits des comptes publics, donc plus de difficultés pour les populations, car il faut trouver de l’argent pour les payer. Toujours plus de fonctionnaires, c’est toujours plus de lourdeur dans l’administration, plus de bureaucratie, plus de corruption, c’est rendre la CI moins attractive pour les investissements, c’est aller vers plus de chômage des jeunes, vers plus de dette, en un mot c’est aller dans le mur.
La Fonction Publique a aussi un effet pernicieux sur nos jeunes diplômés. Lorsqu’ils l’intègrent, ayant désormais un » emploi à vie « , face à la sécurité du salaire jusqu’à la retraite, les jeunes n’ont plus besoin de lutter. Peu à peu, ils perdent leur créativité, leur combativité, leurs rêves. Quelque chose s’éteint en eux. Les tâches routinières, l’absence de pression liée à un environnement non concurrentiel créent une certaine léthargie. C’est un gâchis, car leurs forces de création se dissipent. A long terme, on débouche sur le réflexe de l’assistanat. La population attend tout de l’Etat.
Ainsi un jeune qui sort diplômé de l’INPHB de Yamoussoukro, n’a pas vocation à intégrer la Fonction Publique. Au-delà d’un diplôme BAC+3 dans une filière technique, les jeunes n’ont pas vocation à être des fonctionnaires. Ils doivent intégrer le privé, ou s’installer à leur compte. La pression liée à l’environnement concurrentiel va maintenir intact leur créativité et leur combativité. Ils développeront mieux leurs aptitudes et seront de potentiels chefs d’entreprise. Contrairement aux fonctionnaires, ils n’attendront pas la retraite pour se lancer. Il faut à cet effet saluer l’initiative des autorités d’intégrer l’entrepreneuriat dans les différents de formation.
On le voit, une fonction publique massive n’est vraiment pas une bénédiction pour un pays. L’Etat doit désormais chercher à réduire la voilure. Il faut repenser les embauches automatiques qui ne correspondent pas à des besoins effectifs. Il faut commencer par un audit au niveau des ministères et mettre en lumière les situations de sureffectif. Ces milliers de personnes qui sont sous-employées pourront ainsi être redéployées ailleurs sur le territoire, là où leur présence va correspondre à un besoin réel.
En Mars 2019, l’Etat avait lancé un concours pour le recrutement exceptionnel de 11 000 instituteurs sous un contrat de 2 ans. Il faut poursuivre dans cette philosophie. Il faut en finir avec les « emplois à vie » en proposant le même type de contrat aux différents corps de métier qui intègre l’administration. Dans le cas contraire, les situations de sureffectifs et d’emplois fictifs sont inévitables. La fonction publique doit être gérée comme une entreprise. L’adéquation de ses effectifs avec ses besoins réels ne doit jamais être perdue de vue.
Douglas Mountain oceanpremier4@gmail.com
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