Et pourtant, ils annonçaient un « miracle » agricole !
Théophile Kouamouo
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Dominé comme d’habitude par la chronique des amours et des désamours des trois mastodontes de la politique nationale, l’agenda de l’actualité ivoirienne voit un sujet s’imposer à lui et à tous : l’augmentation des prix de première nécessité sur les marchés.
Fébrile, le pouvoir ne sait pas vraiment quel axe de communication privilégier. Faut-il politiser l’affaire, et pointer du doigt comme le veut la “tradition”, des opposants “tapis dans l’ombre”, nourrissant d’obscurs desseins ? Certains, parmi les porte-voix du régime Ouattara, s’y essaient sans trop de succès. Faut-il culpabiliser le peuple et ses choix économiques peu rationnels, en pointant du doigt les goûts de luxe et l’alcoolisme latent qui ne touche de toute façon qu’une partie de la classe moyenne urbaine ? Faut-il invoquer un contexte international impossible à contourner ?
Très clairement, il est vrai que la flambée actuelle des prix témoigne une fois de plus des rapports économiques internationaux défavorables à l’Afrique. La “valse des étiquettes” s’explique en partie par une inflation mondiale, elle-même liée aux politiques de relance menées en Chine et en Occident, lesquelles passent par une impressionnante création monétaire – là où l’Afrique subit de son côté aujourd’hui comme hier une “répression monétaire”, selon l’expression de l’économiste camerounais Joseph Tchundjang Pouemi. Résultat des courses : le continent qui a le moins subi les conséquences sanitaires du COVID 19 est peut-être celui qui, au final, paiera la plus grosse ardoise économique.
Facture de la “crise des délestages”
Une fois que l’on a admis cela, on est bien obligés de reconnaître que ce ne sont pas seulement des facteurs globaux qui expliquent l’actuel vertige des prix sur les marchés ivoiriens. Des “causes internes” existent, et elles nous ramènent toutes à la stratégie de la mystification économique qui a été le choix d’Alassane Ouattara et son clan, quand ils ont pris le pouvoir en 2011.
La flambée des prix actuelle est en partie la “facture” de la récente crise des délestages – rappelons-nous qu’il ne fallait surtout pas prononcer ce mot ! Pendant des mois, les entreprises industrielles ivoiriennes ont engrangé de lourdes pertes parce que leur outil de production a tourné au ralenti. Tout naturellement, elles reportent ces “frais” non prévus sur les prix publics de leurs marchandises, quand bien même ces marchandises sont produites localement. Jean-Marie Ackah, le président de la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire (CGECI), tirait la sonnette d’alarme début mai en déplorant “une situation d’une extrême gravité qui entraînera des conséquences pour l’économie nationale”. Comment cette crise énergétique a-t-elle pu arriver, alors qu’après la conclusion des accords PPTE, l’État ivoirien a eu le loisir de se réendetter de manière plutôt avantageuse – les dirigeants évoquant à plusieurs reprises de grands projets d’investissements dans les énergies renouvelables ? Des projets qui ont tous pris beaucoup de retard, comme si pour ce gouvernement la communication pouvait supplanter l’action…
Au final, la Côte d’Ivoire se retrouve quasiment dans la même configuration que lors des délestages de 2010, en tête-à-tête avec des “producteurs indépendants d’électricité”, des multinationales en réalité, véritables alliés étrangleurs qui font payer à des tarifs délirants le produit de leurs centrales thermiques qui ne peuvent satisfaire que des projections de court terme. Qu’a fait le régime Ouattara de tous les milliards qu’il a reçus en plus de dix ans ? Mystère.
L’explosion des prix des denrées alimentaires remet également sur le tapis la question de la dépendance aux exportations d’un pays qui est le premier producteur mondial de cacao, et un des poids lourds du café et de l’anacarde. Une fois de plus, la question n’est pas nouvelle. “L’Afrique produit ce qu’elle ne consomme pas et consomme ce qu’elle ne produit pas”, nous ont dit des générations de professeurs d’histoire-géo.
Mais l’on aurait pu s’attendre à ce qu’Alassane Ouattara, qui se pose en super-économiste reconnu mondialement, se serve du soutien international, de l’accalmie interne et de l’afflux inédits de fonds dont il a bénéficié, pour engager un vrai processus de transformation économique. Pour créer les conditions rendant impossible une “saison 2” des émeutes de la faim qui avaient secoué le pays en 2008.
Production agricole : des chiffres manifestement falsifiés
Au lieu de cela, le régime a sorti de sa gibecière des chiffres manifestement falsifiés glorifiant une sorte d’épopée du vivrier qui – on s’en rend compte aujourd’hui – n’a jamais existé. Entre 2011 et 2014, nous juraient les sommités qui gouvernent la Côte d’Ivoire, la production de riz avait connu une croissance de 144%. En 2015, un rapport du FMI exprimait ses doutes sur les proclamations gouvernementales au sujet de la production de manioc en 2014 – en hausse de 74% sur une seule année, nous affirmait-on. Un miracle qui représentait alors, sur le papier et à lui seul, 1,3% du taux de croissance national. Le FMI allait jusqu’à exprimer ses doutes en pointant des “faiblesses importantes dans le système statistique qui brouillent la mesure précise des performances de croissance”. Mais dans un style tellement prudent que ses réserves ne parvenaient pas à troubler le concerto de louangeurs d’Alassane Ouattara, y compris à l’international. Michel Camdessus n’hésitait pas à tutoyer le ridicule en affirmant, pince-sans-rire, que l’objectif de l’émergence était réalisable pour le pays des Éléphants même avant 2020.
Tout ceci était mensonge. La dépendance de la Côte d’Ivoire aux importations agricoles s’est “bizarrement” accrue. Désormais, Abidjan ne prend même plus la peine de publier les données sur la production de riz. Les mythes et mensonges fondent comme neige au soleil. Et l’imposture d’Alassane Ouattara éclabousse de manière indifférenciée sympathisants du RHDP, du FPI et du PDCI.
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