Le cardinal Laurent Monsengwo s’est éteint, le dimanche 11 juillet 2021. Une semaine plus tôt, il avait été évacué en France, parce que la République démocratique du Congo (RDC), malgré ses immenses matières premières, manque cruellement d’hôpitaux et de centres de santé équipés en matériels médico-techniques. Ce paradoxe est une des choses qui choquaient l’ancien archevêque de Kisangani. Tel le tribun qui mettait son talent de magistrat, d’officier ou de poète au service de la plèbe (le peuple) dans la Rome antique, tel Amos, l’impitoyable pourfendeur des injustices sociales, Monsengwo n’eut jamais peur de parler pour les gens exploités, humiliés ou écrasés, s’inscrivant ainsi dans la continuité des Eugène Kabanga, archevêque de Lubumbashi à qui on doit la fameuse lettre pastorale de 1976 intitulée ‘Je suis un homme’, Bakole Wa Ilunga, archevêque de Kananga et auteur des “Chemins de libération’ ou Joseph-Albert Malula. Ce dernier eut en 1972 des démêlés avec Mobutu à cause d’un édito de l’hebdomadaire catholique ‘Afrique Chrétienne’ dans lequel on pouvait lire ceci : “Allons-nous exhumer de la nuit du passé une philosophie africaine originale, qui n’a pu être, si du moins elle a un jour existé, que l’expression d’une situation et d’une vie sociale, à jamais périmées ? Notre monde n’étant plus celui de nos ancêtres, leur conception de la vie ne saurait non plus être la nôtre. Que nous ne perdions pas notre temps à bavarder d’une négritude un peu dépassée. Il faut que nous mobilisions toutes nos énergies pour corriger les faiblesses qui freinent notre marche vers l’avenir. Nous ne réussirons pas cela en déterrant les vieilles conceptions de la vie, qui ont fait la faiblesse de nos ancêtres devant la colonisation. Ce n’est pas en ressuscitant une philosophie, que nos déroutes passées ont condamnées, que nous gagnerons les batailles du monde moderne.” C’était l’affront de trop aux yeux de Mobutu qui prit une série de sanctions contre Malula, ce qui émut de nombreuses personnes parmi lesquelles le cardinal Hyacinthe Thiandoum. Le premier archevêque noir de Dakar disait, entre autres, ceci : “Nous ne pouvons admettre que des fils de l’Afrique, une fois parvenus au pouvoir, commettent des actes que le colonisateur lui-même n’a pas osés. Nous, évêques de l’Afrique, nous ne voulons pas mettre de l’huile sur le feu. Nous faisons appel à Mobutu pour trouver une solution : elle est possible, nous le croyons.” Basé dans la capitale sénégalaise, l’hebdomaire catholique ‘Afrique nouvelle’ estime, pour sa part, que le cardinal Malula est “victime d’une authenticité douteuse”.
Quand Mobutu et l’Église catholique étaient à couteaux tirés, Monsengwo n’était pas encore évêque. Il le deviendra en 1980. Après une année à Inongo, il sera transféré à Kisangani. Il y servira d’abord comme auxiliaire (1981-1988), puis comme archevêque (1988-2007). “Patron” de l’archidiocèse de Kisangani, il donne régulièrement son avis sur la gestion et la marche du pays. Sa pondération et son calme séduisent plusieurs Congolais. Toutes ces raisons ont probablement pesé pour que ses compatriotes lui confient en 1991 la présidence de la conférence nationale souveraine (CNS). Il dirigera ensuite le Parlement de transition. Pour certains Congolais, si cette transition a échoué, c’est uniquement à cause de l’intransigeance du Premier ministre Étienne Tshisekedi. D’autres considèrent que le prélat commit une erreur majeure en voulant coûte que coûte impliquer dans la sortie de crise Mobutu alors que ce dernier, affaibli et vomi par le peuple, s’était retiré dans son village. Sa mauvaise lecture de la situation, sa naïveté et son inexpérience en politique permirent au vieux renard de Gbadolite de reprendre la main, ajoutent-ils. Ce qui est certain, c’est que Laurent Monsengwo tombe en disgrâce après la CNS. C’est en 1997 qu’il sortira de son silence. Arrivé au pouvoir avec l’aide de l’Ouganda et du Rwanda, Laurent-Désiré Kabila ne tarde pas à se comporter comme Mobutu. Monsengwo monte au créneau pour fustiger ses excentricités. En 2011, il conteste l’élection de Kabila fils. 5 ans plus tard, Kabila, qui a achevé ses deux mandats à la tête du pays, veut rempiler. La réponse de Laurent Monsengwo ne se fait pas attendre. Au cours de la messe de minuit du 24 décembre 2016, il parle de “temps révolu où l’on cherchait à conserver le pouvoir par les armes, en tuant son peuple”.
Décembre 2017, Joseph Kabila n’a pas abandonné son diabolique projet de se maintenir au pouvoir alors que la Constitution congolaise le lui interdit. Fera-t-il un passage en force ? Le pays retient son souffle, l’opposition est muette. Monsengwo profite de la messe du 2 janvier 2018 pour faire connaître son point de vue. “Il est temps que les médiocres dégagent et que règnent la paix et la justice en RDC”, tonne-t-il. Il ajoute : “Comment ferons-nous confiance à des dirigeants incapables de protéger la population, de garantir la paix, la justice, l’amour du peuple ? Comment ferons-nous confiance à des dirigeants qui bafouent la liberté religieuse du peuple, liberté religieuse qui est le fondement de toutes les libertés ?” Le peuple congolais jubile. Les partisans de Kabila, eux, sont en colère contre ce cardinal qu’ils soupçonnent de vouloir diriger le pays. Mais Monsengwo était-il vraiment intéressé par la conquête et l’exercice du pouvoir temporel ? Lui qui était cultivé et informé pouvait-il ignorer que l’Église “interdit aux clercs de remplir les charges publiques qui comportent une participation à l’exercice du pouvoir civil” (Code de Droit canonique de 1983, canon 285, par. 3) ? Pouvait-il ne pas savoir que “le prêtre, serviteur de l’Église, qui par son universalité et sa catholicité ne peut se lier à aucune contingence historique, se tiendra au-dessus de tout parti politique, ne peut pas prendre une part active dans des partis politiques ou dans la direction d’associations syndicales” ? N’avait-il jamais appris que “ces fonctions, tout en étant bonnes en elles-mêmes, sont toutefois étrangères à l’état clérical, puisqu’elles peuvent constituer un grave danger de rupture de la communion ecclésiale” (Congrégation pour le clergé, ‘Directoire pour le ministère et la vie des prêtres’, 1994, n. 33) ?
Si “la construction politique et l’organisation de la vie sociale [incombent uniquement aux] fidèles laïcs, agissant de leur propre initiative avec leurs concitoyens”, pourquoi Mgr Monsengwo dirigea-t-il la CNS et le Parlement de transition ? Il le fit parce que, d’une part, c’était en réponse à l’appel de la Nation et, d’autre part, parce que le Vatican l’autorisa à le faire pour un temps limité. Mgr Isidore de Souza (Bénin), Mgr Ernest Kombo (Congo-Brazzaville), Mgr Basile Mvé (Gabon) et Mgr Philippe Fanoko Kpodzro (Togo) bénéficièrent de la même autorisation.
Comme on peut le voir, Laurent Monsengwo n’était pas qu’un diseur de messes. Il n’était indifférent ni aux souffrances ni aux luttes du peuple congolais pour une société plus juste et plus humaine. S’il n’a jamais été attiré par un poste électif, il était toutefois convaincu que le prêtre et l’évêque “ont le droit et le devoir d’exprimer des principes moraux qui gouvernent la vie sociale”, que leur bouche doit être “la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche” (Aimé Césaire dans ‘Cahier d’un retour au pays natal’), que leur rôle est de veiller sur la communauté, veiller à ce que celle-ci ne devienne pas une jungle et que la meilleure manière, pour les clercs, de contribuer à la bonne marche de la Cité, c’est de combattre, par la dénonciation, les injustices sociales, économiques ou politiques.
Jean-Claude DJEREKE
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