Laurent Gbagbo est donc rentré et a annoncé la couleur. Il n’est pas venu réconcilier les Ivoiriens. Il est venu se réconcilier avec Henri Konan Bédié contre Alassane Ouattara. C’est cela la politique en Côte d’Ivoire depuis quelque temps. On ne se réconcilie pas tous en même temps, mais on le fait à deux contre un. Ou, pour être plus précis, on s’allie à deux contre un, celui qui est au pouvoir, dans l’espoir de le faire tomber.
C’est ainsi qu’en 1994, il y eut le Front républicain constitué du Front populaire ivoirien (FPI) et du Rassemblement des républicains (RDR), dans l’objectif de faire tomber Bédié qui était alors au pouvoir. Bédié finit par tomber en 1999, mais sous les coups de boutoir des militaires. Aussitôt le Front républicain se disloqua. Le FPI s’allia aux militaires pour barrer la route au RDR dans la course au pouvoir. Et il prit le pouvoir en écartant aussi le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) de la course et en roulant les militaires dans la farine. En 2010, c’est le RDR et le PDCI qui s’allièrent dans le cadre du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) pour faire tomber le FPI.
Laurent Gbagbo battu, le RHDP prit le pouvoir. Mais le malentendu vint de ce que le PDCI estima que le RDR se taillait la part du lion dans le partage du gâteau et que ce dernier devait lui laisser la place en 2020. Le fameux « Appel de Daoukro » de 2014 n’avait pas d’autre objectif que de demander au président Ouattara de céder la place à Henri Konan Bé-dié en 2020. Certains pensèrent que Bédié voulait simplement que le candidat du RHDP à la présidentielle de 2020 et successeur de M. Ouattara soit issu du PDCI. Non, il voulait que ce soit lui. D’ailleurs, les problèmes de Daniel Kablan Duncan au sein du PDCI commencèrent lorsqu’il fut désigné vice-président et donc dauphin constitutionnel du président de la République.
De nombreuses personnes virent en lui le futur candidat du RHDP. Et le divorce ne survint pas parce que le président du PDCI refusait que son parti soit phagocyté par le RHDP comme on a pu l’entendre ici et là, mais bien parce que Bédié n’avait pas été soutenu par le président Ouattara dans sa volonté de revenir au pouvoir. Et du coup, la grande fraternité qui unissait les deux hommes se mua en haine chez Bédié, au point que le nom Ouattara (Alassane et Dominique) qui avait été donné à une avenue et une place à Daoukro, fut enlevé. Même la plaque qui indiquait que le château d’eau du village de Pépressou, village du président Bédié, a été construit grâce au « programme présidentiel d’urgence » (PPU) fut aussi enlevé.
Que le nouvel allié de Bédié réfléchisse bien, si des cadeaux lui sont offerts à Daoukro. Ses partisans de Daoukro, eux, n’ont pas encore oublié qu’ils furent pourchassés, qu’un chef du village fut destitué et vit ses biens incendiés pour avoir soutenu le FPI et son patron. On dit que la présidentielle de Côte d’Ivoire se gagne à deux contre un. Cela s’est vérifié en 2010, lorsque le RDR et le PDCI se sont mis ensemble. Et ils sont nombreux à croire qu’il en sera toujours ainsi. Alors, au nom de cette loi, Bédié cherche désespérément un allié depuis qu’il a quitté M. Ouattara. Lorsque Gbagbo n’était pas encore acquitté par la Cour pénale internationale et que son retour au pays était très improbable, Guillaume Soro qui était en rupture de ban avec Ouattara apparut comme l’allié idéal. Il fut donc reçu en grande pompe à Daoukro.
Pour l’occasion, Henri Konan Bédié esquissa même des pas de danse en public, ce qui est très rare chez lui. Mais les données ont changé. Soro a pris la route de l’exil et Gbagbo est rentré de son exil. Il devient du coup le nouvel allié idéal. Exit donc Soro dont on ne prononce plus le nom, et tapis rouge, fanfare et veau gras pour Gbagbo l’enfant prodigue. Tant que tu hais l’autre et que tu peux ajouter ta haine à la mienne, nous sommes faits pour nous entendre. Et la haine, on peut dire que Gbagbo est venu le cœur plein de cela. Au point qu’il a oublié tous ses militants, ceux qui sont morts pour lui à l’ouest, dans la région de Duékoué, ceux qui sont en prison, encore en exil, qui ont battu le pavé pour lui, bravé les hivers et les distances pour aller le soutenir à la Haye. Non, aucun mot pour eux.
Il est venu avec son épée en main, contre Ouattara. Et le vieux Sphinx de Daoukro ne peut que l’intéresser. ‘’Atoh, prête-moi ta palabre ! ‘’Non, que M. Bédié ne se leurre pas. Gbagbo ne va pas se battre pour lui. Il va se servir de sa haine contre Ouattara pour étancher la sienne. On ne va pas nous faire croire que leur rencontre de Bruxelles puis de Daoukro ont levé soudainement les contentieux entre eux. Je doute fort que Gbagbo ait oublié que l’alliance Bédié-Ouattara lui a fait perdre le pouvoir. Bédié a soutenu fermement le transfèrement de Gbagbo à la Haye, et avant que le divorce n’intervienne entre lui et Ouattara, il estimait que la place de Gbagbo était en prison. Non, Gbagbo n’a pas la mémoire si courte et le pardon si facile. Que Bédié l’aide à faire tomber Ouattara, oui. Mais pour le reste, si cela advenait, on aurait le temps de savoir qui de Bédié et de Gbagbo est le meilleur boulanger.
Par Venance Konan
Commentaires Facebook