Les sit-in et marches de protestation organisés par quelques parents d’élèves et anciens élèves n’auront pas réussi à faire reculer Mgr Jean-Pierre Kutwã. Le 24 juin 2021, en effet, l’abbé Augustin Obrou, chargé de communication de l’Archevêché d’Abidjan, annonçait la démolition de l’Externat Saint-Paul du Plateau. Une mesure qui concerne également “les bureaux regroupant certaines institutions nationale et diocésaine, le centre d’hébergement et le restaurant du Centre d’accueil missionnaire (CAM) et toutes les boutiques”.
L’Externat, créé il y a 65 ans, sera relocalisé à Faya Génie 2000, sur la route de Bingerville. Il cédera la place à “un complexe immobilier moderne comportant des bureaux, des commerces et un hôtel”. C’est le Français Éric Duval qui réalisera le complexe de 60 millions d’euros. Le contrat fut signé le 30 juin 2021 dans la capitale économique ivoirienne entre son groupe immobilier et l’archidiocèse d’Abidjan. Selon le P. Obrou, la fermeture de l’école avait été programmée initialement pour l’année 2020. Point n’est besoin de rappeler que de hauts cadres sont sortis de cette école maternelle et primaire d’excellence (100% de réussite aux examens).
Si certains parents comprennent la décision du cardinal, d’autres jugent la pilule amère et difficile à avaler. Pour eux, remplacer un temple du savoir par un centre de commerce est tout simplement une bêtise qu’on ne peut voir qu’en Côte d’Ivoire. Quand on leur oppose le fait que l’école manquait d’argent et qu’elle ne pouvait plus faire face à ses charges, ils répondent que les clercs n’ont jamais voulu associer les parents à la gestion de l’école ni recourir à leur expertise pour « sauver » l’institution.
Ils dénoncent aussi le manque de transparence et le pillage de l’argent de l’école par les prêtres. Ceux-ci, d’après eux, ne sont pas forcément compétents en comptabilité et confondent souvent l’argent de la paroisse avec celui de l’école. Ils ajoutent que, si le collège Notre Dame du Plateau est à l’abri d’un déficit financier et s’il n’a jamais songé à quitter le Plateau, c’est parce que les religieuses de Notre Dame de la Paix qui le gèrent sont honnêtes et vivent modestement. Le pire, insistent-ils, c’est que les “curés” qui détournent l’argent des écoles, mouvements, paroisses et diocèses bénéficient d’une totale impunité. Ils affirment n’avoir pas oublié la faillite de la procure d’Abidjan et de la librairie Carrefour de Cocody, faillite dont les responsables (évêques, prêtres et laïcs qui sont des prête-noms dans bien des cas) ne furent ni limogés, ni sommés de rembourser l’argent détourné. Il est temps, concluent-ils, que le pape François sévisse contre ces criminels en soutane comme il l’a fait avec Mgr Giovanni Angelo Becciu. Non seulement le cardinal italien fut démis en septembre 2020 de ses fonctions à la tête de la Congrégation chargée de nommer les saints mais un procès sera organisé le 27 juillet 2021 pour lui et neuf autres personnes impliqués dans des crimes financiers (détournement de fonds, blanchiment d’argent, fraude, extorsion et abus de fonction, achat d’un immeuble dans un quartier luxueux de Londres).
Le lien affectif et la préservation de notre patrimoine (culture et histoire) sont deux autres éléments qu’il convient de prendre en compte pour comprendre la levée de boucliers de certains parents et anciens contre la fermeture de l’Externat. “Saint-Paul est une âme, un esprit, une histoire. Va casser Harvard, Yale, La Sorbonne ou London School of Economics and Political Science pour un hôtel ou un centre commercial. Une âme, un esprit, une histoire, ça ne se reconstruit pas”, plaide l’un d’entre eux. “Casser la cathédrale Notre Dame de Paris pour la délocaliser ne pourra jamais effleurer qui que ce soit en France où on a le respect de l’histoire. Bâtir Notre Dame de Paris sur un autre site, ce n’est plus Notre Dame de Paris. Chez nous, en Côte d’Ivoire, on s’en fout éperdument de l’histoire, parce que l’argent, le nouveau dieu de certains Ivoiriens, a conquis les cœurs. Les Français préservent Notre Dame de Paris et la plupart de leurs édifices catholiques, non pas parce qu’ils sont tellement chrétiens, mais parce que ça fait partie de leur histoire”, renchérit un autre.
Je voudrais saisir cette opportunité pour poser le problème de la reconnaissance des anciens élèves. En Occident, plusieurs anciens (les Alumni) font régulièrement des levées de fonds et des dons pour venir en aide à leur ancienne école. C’est une manière, pour eux, de se montrer reconnaissants, d’exprimer leur gratitude pour tout ce que cette école leur a apporté. Chez nous, des écoles, collèges, lycées et séminaires sont dans un grand délabrement dans l’indifférence des cadres, grands et moyens, que ces établissements ont formés. Est-ce normal et juste ? C’est bien beau de dire fièrement qu’on a étudié dans telle ou telle école mais, en retour, qu’est-ce que cette école a reçu de nous ? Qu’avons-nous fait pour elle ? L’État ne peut pas tout faire. On ne peut pas tout attendre de lui. Nous, qui avons été colonisés par la France et qui le sommes encore sous des formes différentes, devrions nous inspirer des Anglophones qui ont la culture du “give back” et n’attendent pas tout de l’État. La Côte d’Ivoire nouvelle à laquelle nous aspirons tous commande, entre autres, que nous apprenions à retrouver le chemin de nos anciennes écoles pour partager avec elles un peu de ce qu’elles nous ont donné.
Je regrette le départ de l’Externat Saint-Paul du Plateau pour les raisons avancées plus haut par certains parents et anciens élèves. Mettre à la place de cet établissement qui forma plusieurs générations d’Ivoiriens un complexe qui générera de l’argent ne doit pas occulter le fait que, dans l’Église catholique en Côte d’Ivoire, il y a 3 réels problèmes qu’il faut affronter le plus tôt possible : la course à l’argent qui se développe chez certains clercs, la criarde incompétence de plusieurs membres du clergé dans le domaine de la gestion, l’exclusion des laïcs des réflexions et décisions dans les paroisses et diocèses. Tout se passe ici comme si les prêtres et évêques savaient tout, avaient le monopole de l’Esprit Saint ou étaient imperméables, voire hostiles, aux textes des papes, synodes et conciles. Dans plusieurs diocèses, le clergé méprise et infantilise les laïcs, ne fait appel à ces derniers que lorsqu’il a besoin d’argent. Or, selon l’ancien pape, ceux-ci doivent être “considérés non pas comme des collaborateurs du clergé, mais comme des personnes réellement coresponsables de l’être et de l’agir de l’Église” (Benoît XVI, Message à Mgr Domenico Sigalini, assistant général du Forum international d’Action catholique, 22 août 2012). 6 ans plus tard, François mettait les nouveaux cardinaux en garde en ces termes : “Personne parmi nous ne doit se sentir ‘‘supérieur’’ à quelqu’un. Personne parmi nous ne doit regarder les autres de haut. Nous pouvons regarder ainsi une personne uniquement quand nous l’aidons à se relever.” (Discours aux 14 nouveaux cardinaux, le 28 juin 2018)
Jean-Claude DJEREKE
Côte d’Ivoire: Le diocèse d’Abidjan maintient la délocalisation de l’Externat Saint Paul
Au cours d’un point de presse qu’il a animé jeudi 24 juin, le père Augustin Obrou, chargé de communication du diocèse d’Abidjan, a annoncé que la décision de délocaliser l’Externat Saint Paul est définitive.
Le chapitre est désormais clos pour le diocèse d’Abidjan qui maintient la délocalisation de l’externat Saint-Paul du Plateau. « À partir de cette année, il n’y aura ni inscription et réinscription à l’Externat Saint Paul du Plateau », a informé le père Augustin Obrou, chargé de communication et des relations extérieures du diocèse d’Abidjan, lors d’un point de presse jeudi 24 juin, à la cathédrale saint Paul du plateau.
Les conférences de presse, les sit-in, encore moins la vidéo produite par les parents d’élèves de l’externat saint Paul du Plateau pour faire entendre leur cause, n’auront pas suffi à faire reculer le diocèse d’Abidjan. La décision du cardinal Jean Pierre Kutwa, archevêque d’Abidjan de délocaliser cette prestigieuse école d’enseignement primaire située depuis 1956 dans la commune du plateau, le quartier d’Affaires d’Abidjan, n’est pas acceptée par les parents d’élèves. Lundi 10 mai, ils ont manifesté pour s’opposer à ce projet. « Nous, parents d’élèves de l’externat saint Paul du Plateau disons non à la fermeture et à la délocalisation de cette prestigieuse école qui a formé d’éminents cadres de ce pays », affichaient-ils sur une banderole qu’ils tenaient, ruban blanc au poignet.
« Face à cette situation et devant l’échec des négociations entamées avec les représentants de l’archevêché », ils ont demandé à l’archevêque de reconsidérer sa position et de leur accorder un moratoire d’a minima une année pour trouver une solution consensuelle pour tous. A lire: Polémique autour de la délocalisation de l’externat saint Paul.
« Le Diocèse d’Abidjan ne reviendra plus sur sa décision »
Le chargé de communication qui invite les parents d’élèves « à souscrire aux propositions et solutions du diocèse dans un délai raisonnable » est formel : « En tout état de cause, le diocèse d’Abidjan ne reviendra plus sur sa décision ». Rappelant les mots du cardinal Kutwa lors de la pose de la première pierre du Cours secondaire catholique Marcel Callo, le père Obrou insiste : « l’intelligence ne saurait résider dans les murs d’une école mais dans la conscience professionnelle des enseignants, des élèves et de l’encadrement des parents ».
Ainsi, pour ceux qui souhaitent garder leurs enfants dans une école catholique dans le quartier d’Affaires, les responsables du diocèse réitèrent la proposition « de redéployer les élèves chez les sœurs Notre Dame du Plateau qui disposent de nombreuses salles de classe non utilisées à hauteur de 1 000 places alors que l’effectif total de l’Externat Saint Paul est de 700 élèves ». Dans le cas contraire, la priorité d’inscription sera donnée aux élèves de l’Externat saint Paul du Plateau dans les établissements catholiques de leur choix appartenant au diocèse d’Abidjan.
L’externat Saint Paul sera pour sa part ouvert progressivement sur son nouveau site à Faya-Génie 2000 (Abidjan) pour lequel l’Église diocésaine a obtenu le permis de construire le 15 juin, a fait savoir le prêtre. « Nous voulons ici saisir l’occasion pour féliciter et remercier les parents qui, ayant compris la vision de l’évêque, y ont adhéré ».
Projet « Notre père »
L’objectif de cette conférence de presse était d’informer que l’archevêché d’Abidjan a plusieurs projets pour son autonomisation dont la construction d’un complexe immobilier moderne comportant des bureaux, des commerces et un hôtel. Ce projet dénommé « Notre père » sera bâti dans le quartier d’Affaires, sur le site abritant l’Externat saint Paul, les bureaux regroupant certaines institutions nationale et diocésaine, le centre d’hébergement et le restaurant du centre d’accueil missionnaire (CAM) et toutes les boutiques.
Toutes ces infrastructures seront démolies, excepté le Sanctuaire Eucharistique Saint Paul du Plateau et de son presbytère. « Ce projet n’est pas une surprise pour les parents, ils ont été informés. »
Guy Aimé Eblotié
Africa.la-croix.com
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