Un sommet du G5 Sahel a lieu ce vendredi 9 juillet en visioconférence. Mais la menace jihadiste s’étend depuis plusieurs années aux pays côtiers. Le Bénin a été touché en 2019. La Côte d’Ivoire, elle, a fait face à plusieurs attaques depuis un an, dont la dernière à la mi-juin, une attaque qui a provoqué la mort de trois soldats ivoiriens. Quelles sont les zones de ces pays qui sont touchées ? Les États font-ils le nécessaire pour lutter efficacement contre ces groupes ? Des questions que Pierre Firtion a posées à William Assanvo, chercheur à l’Institut d’études de sécurité, l’ISS, basé à Abidjan.
RFI : Quels sont les pays côtiers les plus exposés, aujourd’hui, à la menace jihadiste ?
William Assanvo : Je pense que tous les pays côtiers sont exposés à cette menace. Il y a, effectivement, certains qui le sont beaucoup plus que d’autres, je veux parler de la Côte d’Ivoire ou du Bénin, où il y a déjà eu un certain nombre d’incidents qui ont été enregistrés au cours des derniers mois, mais je n’irais pas nécessairement jusqu’à dire, sur cette base, que ce sont les pays les plus exposés. Il faudrait véritablement, je pense, considérer que tous les pays côtiers, tout au moins les pays qui sont frontaliers du Burkina Faso et du Mali, dans une certaine mesure, qui sont concernés par cette menace.
Arrêtons-nous sur le cas de la Côte d’Ivoire… Le mois dernier, quatre soldats sont morts dans le nord-est du pays. Deux attaques avaient été perpétrées fin mars. En juin 2020, c’était 14 soldats qui avaient été tués, lors d’une attaque à Kafolo. Comment expliquer cette recrudescence des offensives jihadistes depuis un an, maintenant ?
Je pense que la multiplication des attaques, que l’on a observées dans le nord de la Côte d’Ivoire, traduisent une volonté de certains groupes liés à cette mouvance-là, de porter la lutte armée sur les territoires ivoiriens. Cela traduit aussi, il me semble, des capacités que ces groupes ont développées pour pouvoir porter ce combat sur le territoire ivoirien.
Le parc national de la Comoé est-il aujourd’hui un sanctuaire pour les jihadistes étrangers ?
Sanctuaire, c’est peut-être trop dire, pour l’instant. Ce que l’on peut dire avec certitude, c’est que ces groupes ciblent ces zones frontalières, notamment les zones où il y a des forêts de cette nature, qui leur offrent un couvert forestier à l’intérieur duquel ils peuvent se réfugier, se replier et mettre en place des camps d’entraînement, des zones de repli et même des zones de confort.
Le Bénin est également sous le coup de cette menace jihadiste. Une seule attaque a été recensée à ce jour, en 2019, sur le sol béninois. Mais le centre de réflexion Clingendael a récemment alerté sur la situation dans trois régions du nord du pays. Dans ces zones, comme dans le nord de la Côte d’Ivoire, on constate une intensification des conflits communautaires.
Les conflits communautaires, ce sont des conflits qui préexistent à la donne sécuritaire actuelle. Ce sont des dynamiques qui sont traditionnelles dans les sociétés, notamment dans ces zones-là. Ce qui pourrait être inquiétant, c’est justement la capacité qu’ont développée ces groupes-là à exploiter ces conflits locaux, en prenant fait et cause pour certaines communautés contre d’autres, mais aussi en jouant le rôle d’arbitre. On a noté aussi que dans certaines zones où les groupes se sont implantés, cela a contribué à geler les conflits. Donc je pense qu’il faudrait penser le rôle, ou alors l’interaction entre les groupes extrémistes violents et les conflits locaux, de manière aussi large que possible et pas de manière réductrice.
Comment parvenir à contrer cette menace dans ces différents pays ?
Je pense qu’il est important, dans chacun des pays concernés, de pouvoir identifier toutes les vulnérabilités d’ordre socioéconomique, d’ordre sécuritaire, en termes de coexistence entre les communautés, en termes d’inclusion socioéconomique. Il est important de pouvoir identifier ces différentes vulnérabilités, qui à tous les coups vont faciliter l’implantation des groupes.
Les États font-ils le nécessaire, selon vous, pour lutter efficacement contre ces groupes ?
Les pays côtiers concernés font feu de tout bois pour pouvoir prévenir une extension de cette menace. Il y a, bien entendu -et cela concerne tous les pays- le réflexe sécuritaire que l’on a observé. Il y a aussi des mesures qui ont été prises pour renforcer la vigilance et la veille au sein des communautés. Il y a des mécanismes institutionnels qui ont été aussi mis en place pour lutter et prévenir contre l’extrémisme violent. Cela a été le cas au Togo et dans une certaine mesure au Bénin. Il y a des stratégies qui ont été développées dans certains pays, comme au Ghana, ou qui sont en cours de développement, comme en Côte d’Ivoire. Il y a des actions, aussi, qui sont menées par des ONG, pour agir sur les vulnérabilités que j’évoquais précédemment. Il y a aussi, bien entendu, la coopération bilatérale et multilatérale qui a été mise en œuvre. Donc je pense que de ce point de vue, il y a quand même une réelle prise de conscience que l’on peut noter, de la part des pays concernés.
Mais est-ce que la coopération entre les différents pays est suffisante ? On a le sentiment, par exemple, qu’entre Ouagadougou et Abidjan la coopération n’est pas forcément très bonne, en raison de tensions politiques entre les deux capitales. Est-ce que c’est aussi votre sentiment ?
La coopération, il ne faudrait pas la considérer comme un long fleuve tranquille, il y a toujours des efforts à fournir pour pouvoir la renforcer. Et je pense qu’entre la Côte d’Ivoire et le Burkina, c’est vrai qu’il y a un certain nombre de contentieux et un passif sur certains aspects de la coopération. Mais du point de vue de la lutte contre le terrorisme, je pense qu’il y a une volonté affichée des autorités de ces pays-là, de pouvoir collaborer pour contrer cette menace. Je pense qu’il y a des actes à encourager, à renforcer, malgré les passifs qu’il pourrait y avoir sur d’autres plans.
Par Pierre Firtion / RFI
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