Que la France ne voie pas d’un bon œil la présence et l’engagement de la Russie en Centrafrique, on peut le comprendre car l’arrivée de Moscou dans ce pays de lAfrique centrale signifie entre autres, pour Paris, ne plus avoir accès à l’uranium, à l’or, au cuivre, au diamant et aux puits de pétrole centrafricains. Il est en revanche incompréhensible que la même France essaie de monter les Africains contre la Russie en répétant à l’envi que “Moscou n’est pas à Bangui pour les beaux yeux des Centrafricains” et que seules les mines centrafricaines intéressent les Russes. Pourquoi ces arguments fallacieux et de mauvaise foi sont-ils irrecevables ? Parce que, en 6 décennies, la France ne nous a apporté que misère, mort et chaos, parce que la Russie est en train de stabiliser la République centrafricaine, ce que la France fut incapable de faire malgré le déploiement des opérations Barracuda (1979-1981), Almandin (1996-1998), Cigogne (1997-1998), Boali (2002-2013) et Sangaris (2013-2016), parce que, tout en interdisant aux Houphouët, Senghor, Bongo et autres d’avoir des relations avec les Soviétiques et les autres pays du Pacte de Varsovie, les autorités françaises échangeaient culturellement, intellectuellement et économiquement avec les Russes. Un ami me fit remarquer récemment que l’on pouvait dénombrer à cette époque vingt vols quotidiens entre les aéroports français et soviétiques dans les deux sens. Pour lui, la France se comporte à l’égard de l’Afrique “comme un proxénète qui met une fille sur le trottoir puis calomnie auprès de celle-ci tout honnête homme qui voudrait délivrer cette prostituée des actes nocifs de son criminel souteneur”.
Mais les mises en garde contre la Russie ne viennent pas uniquement de la France. Quand on explique que, pour mettre fin à la criminelle françafrique, l’Afrique francophone n’a pas d’autre choix que de nouer des liens avec un allié militairement puissant comme la Russie, certains Africains rappellent l’action de l’ex-URSS en Hongrie, dans l’ex-Tchécoslovaquie, en Pologne, en Roumanie (hier), en Ukraine (aujourd’hui). Pour eux, se tourner vers les Russes, c’est se jeter tout simplement dans les bras d’un autre impérialiste. En plus du fait que la Russie ne fait pas partie des pays qui colonisèrent et saignèrent l’Afrique, ce type d’arguments est révélateur de quelque chose de profond chez certaines personnes : la peur de la liberté, l’incapacité à s’affranchir de celui qui les domine et opprime, la difficulté à prendre leur destin en main. Ces personnes, qui semblent préférer l’esclavage à la liberté, sont semblables aux hommes qui vivent dans l’obscurité et qui n’imaginent pas l’existence d’autre chose. L’allégorie de la caverne de Platon présente en effet “des hommes enchaînés qui ne connaissent que les ombres projetées sur les murs de leur caverne par un feu allumé derrière eux”. Si l’un d’entre eux découvre la lumière et annonce aux autres que la vie est meilleure dehors, il se heurtera à leur incompréhension, voire à leur hostilité, parce que cette annonce les bouscule dans le confort de leurs habitudes, ajoute Platon (cf. ‘La République’, Livre VII).
À bien analyser les choses, ceux qui pensent qu’une alliance avec la Russsie est une mauvaise idée ont peur de couper le cordon ombilical qui nous relie à la nuisible France. Le pire, c’est qu’ils ignorent tout de l’histoire des relations entre les Russes et l’Afrique. Sinon, ils n’affirmeraient pas sans aucune preuve que la Russie est aussi hégémonique et aussi avide de matières premières que la France. Pour moi, ils ont tout faux car non seulement les Soviétiques n’avaient pas de colonie en Afrique mais ils aidèrent certains mouvements de libération tels que la SWAPO (Namibie), l’ANC (Afrique du Sud), le FRELIMO (Mozambique), la ZAPU (Zimbabwe), le MPLA (Angola),le PAIGC d’Amilcar Luis Cabral à combattre le colonialisme. Non seulement la Russie fournit à ces mouvements des armes mais elle forma les indépendantistes africains. Un an après que la Guinée eut dit “non” au projet de la communauté franco-africaine du général de Gaulle, Sékou Touré aurait été renversé par un coup d’État fomenté par la France si l’URSS informée à temps n’avait pas envoyé des soldats dans le pays. L’expédition de Suez, lancée fin octobre 1956 par la France et la Grande-Bretagne contre Nasser qui venait de nationaliser le canal de Suez, échoua parce que l’URSS, l’ONU et les États-Unis avaient refusé de la cautionner.
La seconde vérité est que, contrairement à la France qui n’a rien et qui est obligée de tuer ou de soutenir des rébellions armées pour voler, la Russie possède d’énormes gisements de pétrole, de gaz naturel, de charbon, d’uranium, de fer et d’acier, etc. Elle est le premier pays en termes de nickel, de platine, d’or et de nombreux autres minéraux. Cette Russie va faire quoi avec nos petites richesses ?
De plus, Vladimir Poutine a dit que ça ne l’intéresse nullement de s’immiscer dans les affaires des autres pays, de leur donner des leçons de démocratie ou de bonne gouvernance. Les pays qui aiment moraliser les autres tout en faisant l’inverse, ceux qui valident les coups d’État et 3e mandats ici mais les condamnent là-bas, on les connaît.
Que le maître du Kremlin veuille étendre l’influence de son pays en Afrique est indiscutable et je serais le dernier à m’en plaindre car il y a influence et influence. Qui ne voit pas les bienfaits de l’influence russe en Syrie et en Centrafrique ? Y a-t-il terme plus fort que “néfaste” pour qualifer celle de la France ?
Les Africains, qui se méfient de la Russie sous prétexte qu’elle ne serait en rien différente de la France, conseillent que l’Afrique arrache seule son indépendance politique et économique. Conseil fort louable mais, si les anciennes colonies françaises pouvaient se libérer toutes seules de la France, cela se saurait. De même que la France eut besoin en 1945 de la Russie et des troupes africaines pour sortir des griffes du nazisme hitlérien, de même nous faut-il nous appuyer sur Poutine pour nous débarrasser de ceux qui nous font tourner en rond depuis 1960. Pourquoi Poutine ? Parce qu’il est efficace et parce qu’il est craint aujourd’hui par les pays occidentaux qui le regardent comme un ennemi. Le 21 avril 2021, il prononça son discours sur l’état de la Nation devant les parlementaires russes. À cette occasion, il fit clairement savoir que “tous ceux qui organiseront des provocations contre nos intérêts vont le regretter” tout en espérant que “personne n’aura l’idée de franchir la ligne rouge dans ses relations avec la Russie”.
Le fait d’avoir des relations historiques avec la France, le fait d’y avoir étudié ou le fait de parler la langue de Molière ne veut rien dire car cela n’a jamais empêché les Français de nous mépriser et de nous appauvrir. Ce qui aurait du sens, c’est que l’ennemi de nos ennemis devienne sans tarder notre ami. Ce qu’il faudrait, aujourd’hui, c’est que le colonel Assimi Goïta et d’autres dirigeants de l’Afrique dite francophone emboîtent vite le pas à Faustin-Archange Touadéra en signant des accords militaires avec la Russie de Poutine.
Jean-Claude DJEREKE
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