Par Venance Konan
Chaque fois que l’un de nos pays traverse une crise, genre rébellion, coup d’État, mort brutale d’un président, comme ce qui s’est récemment passé au Tchad et au Mali, par exemple, et que la France « y met sa bouche », comme on dit chez nous, nous avons tôt fait de crier: « Au secours, la Françafrique revient ! »
Et nous déplorons que ce soit Emmanuel Macron, lui, un président si jeune, si moderne, lui qui avait dit à Ouagadougou qu’il était d’une génération différente de celle des pères de la
Françafrique tant honnie, qui la fasse revenir.
En son temps, nous avions pris au mot ses prédécesseurs, à savoir les présidents Hollande et Sarkozy, qui avaient dit qu’ils allaient mettre fin à la Françafrique. Et nous avons déchanté. Au fait, de quoi parlons-nous ? Eh bien, la Françafrique, c’est disons le côté obscur des relations entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique. C’est par exemple lorsque l’on transporte d’Afrique des liasses de francs Cfa, beaucoup de liasses, dans des djembés, pour les remettre à des hommes ou femmes politiques en France, comme l’a rapporté dans une interview Robert Bourgi, qui fut mon professeur de droit à l’université d’Abidjan, avant de se reconvertir en négociant de djembés fourrés au Cfa.
En échange de ce menu service, nous demandons à la France de regarder ailleurs, au Liban ou en Biélorussie par exemple, lorsque nous bourrons nos urnes lors de nos élections très démocratiques et très transparentes ou lorsque fiston succède à papa par des élections ou des coups d’État dont le caractère démocratique ne saurait être contesté que par des personnes de mauvaise foi. C’est aussi lorsque nous offrons des marchés plus que juteux, voire des monopoles, à des entreprises françaises.
A chaque fois donc, nous, intellectuels africains, protestons contre cette Françafrique qui fait la part trop belle à la France à notre goût. Et nous attendons d’un président français qu’il vienne nous dire qu’il y met effectivement fin et le fasse vraiment. Ne sommes-nous pas de grands naïfs à rêver de cela, à savoir qu’un président français mette lui-même fin à une relation dont son pays est le plus grand bénéficiaire ? Nous sommes les seuls à ne pas comprendre qu’un président français est élu, avant tout, pour défendre les intérêts des Français et jamais ceux des Africains. Un président français, quel que soit son âge ou son idéologie politique, est élu pour trouver des parts de marché à ses entreprises, grandes ou petites, assurer leur approvisionnement en énergie à moindre coût, améliorer la qualité de vie de ses citoyens, assurer leur sécurité et faire rayonner son pays partout où cela est possible. Entendons-nous donc une bonne fois pour toutes : la France ne mettra jamais fin aux relations que nous avons avec elle, tant qu’elles lui profiteront. Peu importe le nom que l’on donne à ces relations. Si elles nous dérangent, c’est à nous de nous battre, d’élaborer des stratégies de libération de nos pays. Mais je ne crois que les incantations et les insultes puissent être considérées comme une stratégie.
Depuis quelques années, nous sommes nombreux à applaudair les Chinois parce qu’ils tailleraient des croupières aux Français dans bon nombre de nos pays. Mais bon nombre de ces pays y ont surtout gagné un formidable niveau d’endettement qui est en train de leur faire perdre leur souveraineté sur des pans entiers de leurs économies. Et depuis peu, ce sont les Turcs et les Russes que nous acclamons parce qu’ils dérangeraient les intérêts français. C’est très bien. Mais il est bon de savoir que ce n’est pas se libérer que de changer de maître. Et aussi que ce ne sera jamais la France, la Chine, la Turquie ou la Russie qui nous libèrera.
Les présidents chinois, russes ou turcs sont exactement comme les présidents français : ils travaillent d’abord pour les intérêts de leurs pays et de leurs populations. C’est seulement en Afrique que l’on trouve des dinosaures dont le développement de leur pays est le cadet de leurs soucis et dont la principale préoccupation est leur maintien au pouvoir, à n’importe quel prix. La problématique de la libération des pays africains est entre les seules mains des Africains.
Au début des années 2010, nous nous sommes tous pris à rêver d’une Afrique qui serait enfin debout, une Afrique qui serait redevenue l’espoir du reste du monde après en avoir été le désespoir. Je crois que nous avons rêvé un peu trop vite. Redescendons sur terre.
Ce vingt et unième siècle ne sera pas africain. J’ai dit que nous devrions arrêter les incantations et être un peu plus réalistes. Combien de centres de recherche avons-nous créés, combien de scientifiques, d’ingénieurs, de techniciens formons-nous chaque année sur notre continent ? Soixante ans après nos indépendances, combien d’entreprises de chez nous construisent nos routes, nos ponts, nos grands immeubles, nos barrages, nos centrales thermiques ? Qui contrôle nos communications, quelles télévisions regardons-nous, quelles radios écoutons-nous, quelles équipes de football supportons-nous, dans quel état sont nos écoles ? Si quelques pays connaissent de fortes croissances et un début d’émergence, ils sont encore trop peu nombreux pour tirer tout le continent. Non, soyons honnêtes : si l’axe du monde devait se déplacer, ce ne serait certainement pas en Afrique. Pas en ce siècle. Et la Françafrique, la Chinafrique, la Turcafrique ou la Russafrique ont encore de beaux jours devant elles
Par Venance Konan
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