Michel Tournier, écrivain français dé-cédé en 2016, avait écrit, en 1980, un roman intitulé « Gaspard, Mel-chior et Balthazar » (éditions Fo-lio) qui commence avec ces mots : « Je suis noir, mais je suis roi ».
Il s’agit de l’histoire imaginée par Tournier des trois « rois mages » qui, selon la Bible, furent les premiers à adorer et à honorer l’enfant Jésus et dont la légende voudrait que l’un d’eux ait été un Noir. Que nous dit cette phrase ? En gros ceci : « Je suis noir, c’est-à-dire la lie de la société mais, ne vous en déplaise, je suis quand même roi ».
Son titre de roi l’excuse d’être noir, en quelque sorte. Dans l’histoire de Michel Tournier, ce roi noir rencontre une jeune esclave blanche et en tombe amoureux. La première fois qu’il couche avec elle, elle ne peut s’empêcher de vomir. Parce que, évidemment, dans l’esprit de Tournier, un Noir, c’est forcément dégoutant pour une femme blanche, même esclave. Plus tard, ce roi noir découvre que son esclave blanche le trompe avec un esclave blanc qu’elle avait présenté comme son frère.
Pour noyer son chagrin d’amour, il quitte son royaume et suit la comète qui le conduira jusqu’au berceau de l’enfant Jésus. Bien que roi, puisqu’il est noir, il peut être mené par le bout du nez par son esclave, si elle est blanche. Morale de l’histoire : une esclave blanche est supérieure à un Noir, même roi. Michel Tournier a écrit son livre en 1980 et personne n’a relevé sa vision des Noirs. Au contraire, il a obtenu plusieurs prix littéraires et était membre de l’Académie Goncourt. Sans doute qu’à cette époque, c’était ainsi que la société française, dans son ensemble, voyait les rapports entre Blancs et Noirs. Mais n’allez surtout pas parler de racisme.
De même est-il intéressant de lire les premières lignes du Cantique des Cantiques dans l’Ancien Testament. En effet, on peut lire ceci au verset 5 du « Cantique des Cantiques » dans la Bible, selon la traduction de Louis Segond : « Je suis noire, mais je suis belle, filles de Jérusalem, comme les tentes de Kédar, comme les pavillons de Salomon. Ne prenez pas garde à mon teint noir : c’est le soleil qui m’a brûlée. » Sa beauté rattrape en quelque sorte sa noirceur. Elle est noire, mais belle quand même. Comme l’autre était roi, mais noir quand même. Dans la même Bible, mais version Alliance biblique universelle, édition 1994, on lit plutôt : « J’ai beau avoir le teint bronzé, je suis jolie comme les tentes des bédouins, comme les tapisseries de luxe. Filles de la capitale, ne me regardez pas comme ça, sous le prétexte que je suis hâlée, brunie par le soleil ».
Dans la Bible version Traduction œcuménique de la Bible (TOB), c’est plutôt : « Je suis noire, moi, mais jolie, filles de Jérusalem, comme les tentes en poil sombre, comme les rideaux somptueux. Ne faites pas attention si je suis noiraude, si le soleil m’a basanée. » Et en note de bas de page, il est précisé que noire veut dire hâlée par le soleil. Dans la « Bible de Jérusalem (Cerf/verbum bible), on peut lire : « Je suis noire et pourtant belle, filles de Jérusalem, comme les tentes de Qédar, comme les pavillons de Salma. Ne prenez pas garde à mon teint basané : c’est le soleil qui m’a brûlée. » Et la note de bas de page donne ces précisions : « Le teint basané devait être celui de l’épouse égyptienne du Salomon historique ; ici, c’est celui d’une fille hâlée par les travaux des champs et qui se compare aux tentes bédouines tissées avec du poil de chèvre. Les anciens poètes arabes opposent le teint clair des filles de bonne naissance (ici les filles de Jérusalem) à celui des esclaves et des servantes occupées aux travaux extérieurs. » Alors, cette femme du « Cantique des cantiques » était-elle noire ou simplement bronzée, hâlée ou basanée ?
Apparemment, au fil des différentes traductions et réécritures de la Bible, livre pourtant sacré, quelqu’un a eu du mal à accepter que le texte sacré qui a fondé la civilisation judéo-chrétienne admette qu’une femme soit noire et belle et que l’on lui consacre un aussi beau poème que le « Cantique des cantiques ». Soit on édulcore son teint, soit on la range dans la catégorie des esclaves ou servantes, place naturelle des Noires.
Cette vision des choses a-t-elle changé? Dans ses mémoires, Jacques Foccart raconte que le protocole de l’empereur Haïlé Sélassié d’Éthiopie imposait que ses visiteurs se retirent en marchant à reculons. Il ne fallait jamais tourner le dos à l’empereur.
Lorsque le général de Gaulle rencontra le souverain éthiopien, à la fin de l’audience, il lui tourna ostensiblement le dos. Puis, à mi-chemin, il se retourna et hocha la tête, avant de lui tourner à nouveau le dos. Il n’était pas question que lui, le général de Gaulle, le grand chef blanc, se plie au protocole d’un roi nègre. Cet état d’esprit a-t-il changé ? Pas évident. Ainsi, en plein vingt et unième siècle, un ministre français se permet-il de tutoyer publiquement un président africain. Histoire de dire : « Tu es président certes, mais président nègre. Et moi je suis ministre certes, mais ministre blanc. » Même s’il existe une réelle amitié entre les deux hommes, la politesse aurait voulu qu’en public, le ministre use du « vous » à l’égard du président. Surtout devant son peuple.
Par Venance Konan
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