En novembre 2016, Bruno le Maire disait n’avoir “rien trouvé de très surprenant ou novateur dans les idées de Macron”. Après que ce dernier eut présenté la colonisation comme un crime contre l’humanité, il exigeait des excuses devant les Français parce que “son geste est une faute politique contre la France et contre les Français”. Dans l’émission ‘les 4 vérités’ du 17 mai 2017, il qualifiait Macron de “coquille vide” et de “candidat qui change de discours suivant l’auditoire et qui avance masqué”. Quand Emmanuel Macron fut élu, le même Le Maire, toute honte bue, le rejoignit et accepta le ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance. François Bayrou, Philippe Édouard et Gérarld Darmanin, avant d’aller à la soupe, avaient, eux aussi, attaqué Emmanuel Macron, avaient moqué le “tribun adepte d’un populisme désinvolte qui n’assume rien mais promet tout, avec la fougue d’un conquérant juvénile et le cynisme d’un vieux routier” (E. Philippe).
Ce petit flash-back (retour en arrière) n’a pas d’autre but que de montrer que, hormis Jacques Delors qui avait toutes les chances d’être élu en 1995 mais refusa d’être président de la République parce qu’il n’était pas certain de faire triompher ses idées et de mener à bien ses réformes, parce qu’il ne voulait pas compromettre son programme dans une cohabitation avec la droite, parce que, pour lui, “une politique n’est pas un discours, ni l’occupation d’un pouvoir, mais une volonté, c’est-à-dire la visée en actes d’une fin” (Jean-Luc Nancy, “Jacques Delors, un candidat perdu” dans ‘Libération’ du 22 décembre 1994), les politiques francais sont des hommes sans principes ou des hommes ayant fait de la duplicité une vertu. Tout ce qui les intéresse, c’est le pouvoir et l’argent qu’il permet d’amasser facilement. Pour gagner cet argent, pas toujours propre, ils sont capables de retourner leur veste et de tourner le dos à celui qu’ils soutenaient hier. En 1981, Chirac n’abandonna-t-il pas Giscard au profit de Mitterrand ? Lui-même ne fut-il pas lâché par Balladur en 1995 ? Fillon et Macron ne se retournèrent-ils pas en 2017 contre Sarkozy et Hollande ? Ces retournements de veste et trahisons ne sont point le fruit du hasard, tant s’en faut, mais un héritage. Faire aujourd’hui le contraire de ce qu’on disait hier, Bruno Le Maire et Compagnie le tiennent de la France qui célèbre les résistants sur son sol tout en les vouant aux gémonies en Afrique, de cette France qui condamne les assassins du préfet Claude Érignac tout en déroulant le tapis rouge aux voyous qui ôtèrent la vie à Émile Boga Doudou.
Bruno Le Maire était en Côte d’Ivoire du 29 au 30 avril 2021 au nom de la France qui agit comme une sangsue, non pas pour demander la libération des prisonniers politiques, mais pour arnaquer une fois de plus les Ivoiriens. En effet, comment peut-on prétendre offrir à la Côte d’Ivoire 1, 4 milliard d’euros pour un métro qui sera construit par des entreprises françaises (Bouygues TP, Keolis, Colas Rail et Alstom) ? Et qui peut croire que 37 km de trajet sur des rails existants puissent coûter 918 milliards de F CFA alors que les 51 kilomètres de métro reliant Dakar au nouvel aéroport Blaise Diagne ont été réalisés avec de nouveaux rails à 400 milliards de F CFA ? Qu’y a-t-il eu pour que le montant du projet passe de 300 milliards à 900 milliards de F CFA ? Pourtant, avec seulement 200 milliards de F CFA, l’on pourrait construire 571 usines, ce qui créerait 45 000 nouveaux emplois directs et 200 000 emplois indirects, selon les calculs faits le 1er décembre 2017 par Philippe Attey. Dix-sept jours plus tard, parce qu’il avait donné son avis sur le futur métro d’Abidjan, l’ex-directeur général de la Société des transports abidjanais (SOTRA) apprenait que sa résidence d’Abidjan avait été saisie pour impôts impayés. Ce métro, qui coûte excessivement cher et qui aurait dû entrer en service en 2019, toute personne sensée comprendra qu’il n’est ni utile, ni prioritaire. Ce qui est urgent, aujourd’hui, c’est d’offrir l’eau et l’électricité aux populations ivoiriennes. Que ceux que la France a placés à la tête de notre pays en soient incapables, alors qu’ils avaient annoncé l’émergence du pays pour 2020, est tout simplement honteux. Il y a quelques années, les mêmes personnes complexées et incompétentes avaient confié la direction de notre équipe nationale de football à un célèbre inconnu, uniquement parce que ce dernier avait la peau blanche, lui versaient un gros salaire. La suite est connue : les Éléphants ne purent prendre part à la Coupe d’Afrique des nations (CAN). Quand on regarde ce qui se passe dans d’autres pays africains, on s’aperçoit maheureusement que c’est toute l’Afrique francophone qui souffre de ce complexe d’infériorité qui fait que n’importe quel va-nu-pieds français est reçu en grande pompe ou traité comme un roi par nos dirigeants. Même ceux dont on pouvait penser qu’ils étaient éclairés et pouvaient éclairer les autres semblent avoir attrapé le virus de l’aplatissement devant le Blanc. Je veux parler de certains diplômés africains qui se prennent pour des intellectuels et qui croient que l’ancien colonisateur cessera, après le sommet de Montpellier, les 9 et 10 juillet 2021, d’être ce qu’il a toujours été : voyou, voleur et assassin. Ces pseudo-intellectuels, que les médias français veulent nous imposer, se comportent exactement comme une personne qui, après avoir été cambriolée, se rend chez le cambrioleur pour aider celui-ci à mieux dévaliser son domicile la prochaine fois. Le Sénégalais Boubacar Boris Diop a raison d’écrire à ce sujet : “C’est à la fois choquant et pathétique. La Françafrique nous a habitués à adapter le système colonialiste en fonction des circonstances de chaque époque. C’est dans son ADN. C’est ainsi qu’au sortir de la 2e Guerre mondiale, les gens se sont rendu compte que ce n’était plus possible de faire les choses comme avant. Ils nous ont alors amené des élites qui leur étaient favorables pour continuer à faire la même chose. Le discours de La Baule, dans les années 1990, et les conférences nationales qui ont suivi se sont aussi inscrits dans le même sillage, avec la fin de la Guerre froide. Aujourd’hui, la France se rend compte qu’il y a une grande colère des populations africaines, particulièrement la jeunesse… Ils se rendent compte que c’est une lame de fond à laquelle il faut faire face. Comment ? On coopte des intellectuels que je ne veux pas mentionner. On se dit que les jeunes n’écoutant plus les chefs d’État qui sont leurs hommes liges, il faut parler avec les intellectuels et les sociétés civiles. Au fond, il y a tant de mépris dans la démarche. C’est l’image d’un pouvoir dominant qui se rend compte que son système est en train de s’effriter et qui trouve des gens pour voir comment arranger ça.”
Pour ma part, je reste convaincu que rien de bon ne sortira de la rencontre de Montpellier puisqu’elle ne dira rien sur le franc CFA, la présence des bases militaires françaises en Afrique, l’ingérence de la France dans nos affaires, son soutien à des rébellions meurtrières, la déportation injuste et illégale de Laurent Gbagbo à la Haye, etc. Et puis, n’est-ce pas un manque de respect à tout un continent lorsqu’un petit pays le convoque chez lui ? Tout Africain digne et sérieux devrait donc boycotter ce sommet auquel Macron est obligé de s’accrocher comme un naufragé à une bouée. Les intellectuels de l’Afrique du Nord auraient été invités par Macron qu’ils auraient répondu “non” parce qu’ils ne sont pas dans ce genre de plaisanterie et de “foutaise”, parce qu’ils sont contre toute forme d’infantilisation, parce que, depuis longtemps, ils ont dit adieu à l’inconscience et à la naïveté, parce qu’ils croient avec Césaire que, “dans notre conscience, nous avons pris possession de tout le champ de notre singularité et que nous sommes prêts à assumer sur tous les plans et dans tous les domaines les responsabilités qui découlent de cette prise de conscience, singularité de notre « situation dans le monde » qui ne se confond avec nulle autre, singularité de nos problèmes qui ne se ramènent à nul autre problème, singularité de notre histoire coupée de terribles avatars qui n’appartiennent qu’à elle, singularité de notre culture que nous voulons vivre de manière de plus en plus réelle” (‘Lettre à Maurice Thorez’, 24 octobre 1956).
Jean-Claude DJEREKE
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