Le fils du président défunt et chef de la junte fait face à des pressions claniques, politiques et diplomatiques.
Photo: Manifestation contre le Conseil militaire de transition mené par Mahamat Idriss Déby Itno, le fils du président décédé, le 27 avril à N’Djamena. SUNDAY ALAMBA / AP
Idriss Déby Itno est mort mais son fantôme continue de planer sur N’Djamena. Les affiches de la dernière campagne électorale qui devait lui offrir un sixième mandat à la tête du Tchad balisent encore les artères de la capitale. Sa garde prétorienne, béret rouge et treillis sable, veille nonchalamment sur l’immense palais rose, présidence tout en moulures, lustres de verre et forteresse qu’il avait rendu imprenable à tous ceux qui, par les urnes et surtout par les armes, tentèrent de lui arracher le pouvoir.
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C’est de là que celui qui s’était fait élever en 2020 au rang de maréchal dirigeait son pays par la cooptation, la distribution de prébendes ou la peur. Cela, quand il ne partait pas au combat. La guerre, qui fut son activité la plus notable, l’a emporté, selon la version livrée par l’armée et partiellement corroborée par ceux qu’il combattait alors, les rebelles du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT).
Interrogations aussi cruciales qu’urgentes
Deux semaines après l’annonce officielle de sa mort, le 20 avril – le décès selon les récits se serait en réalité produit un ou deux jours plus tôt – le Tchad est en ébullition, traversé par une somme d’interrogations aussi cruciales qu’urgentes à traiter.
Par Cyril Bensimon (N’Djamena, envoyé spécial)
Après la mort d’Idriss Déby, une période d’incertitude s’ouvre au Tchad
Un Conseil militaire de transition dirigé par l’un des fils du président défunt s’est arrogé tous les pouvoirs. La rébellion promet de marcher sur N’Djamena « dans les heures ou les jours qui viennent ».
Par Cyril Bensimon et Christophe Châtelot
Le général Mahamat Idriss Déby Itno, fils du président défunt et désormais à la tête du Conseil militaire de transition, à N’Djamena, le 11 avril. MARCO LONGARI / AFP
Idriss Déby Itno était-il la clé de voûte politique et sécuritaire du Tchad sans laquelle le système ne peut que s’effondrer ? Une période d’incertitude inquiétante s’ouvre avec la disparition subite, annoncée mardi 20 avril, de celui qui depuis plus de trente ans dirigeait son pays d’une main de fer, autoritaire et sans partage.
Funeste coïncidence, la commission électorale indépendante venait d’annoncer, la veille, sa réélection pour un sixième mandat, scellée dès le premier tour avec près de 80 % des voix. Un plébiscite qui laissait, à nouveau, peu de doute sur la régularité de ce scrutin. Mais ce que ce chiffre écrasant ne dit pas, c’est la fragilité du système forgé à coups de masse par et pour Idriss Déby.
Pour preuve, les principales institutions républicaines ont immédiatement été suspendues au profit d’un régime d’exception. Le gouvernement et le Parlement ont été dissous. Un couvre-feu a été instauré de 18 heures à 5 heures du matin. Alors que des soldats quadrillent la capitale, les frontières terrestres et aériennes ont été fermées jusqu’à nouvel ordre. Un Conseil militaire de transition (CMT) dirigé par l’un des fils du président défunt, Mahamat Déby Itno, s’est arrogé tous les pouvoirs.
Ce général quatre étoiles de 37 ans, qui a fait ses preuves à la tête du contingent tchadien déployé en 2013 au Mali pour épauler l’intervention militaire française « Serval », avait été nommé par son père à la tête de la Direction générale des services de sécurité des institutions de l’Etat (DGSSIE), héritière de la garde présidentielle, corps d’élite le mieux équipé et le mieux organisé de l’armée tchadienne.
La stabilité du pays menacée
En 2018, Idriss Déby s’était taillé une nouvelle Constitution sur mesure. Le poste de premier ministre avait été supprimé. L’étape suivante, amorcée à la fin de l’année 2020, prévoyait la création d’un poste de vice-président qui, en cas de vacance présidentielle ou d’empêchement définitif, devait assurer l’intérim. Puis procéder à une nouvelle élection présidentielle dans un délai compris entre 45 et 90 jours au plus. Une charge que devait remplir le président de l’Assemblée nationale tant que la réforme constitutionnelle n’avait pas été menée à terme.
Mardi, le CMT s’est bien engagé à organiser des élections « libres et démocratiques », mais à l’issue d’une « période de transition » de dix-huit mois. Ce conseil réunit, outre Mahamat Déby Itno, le socle de l’ancien système : le chef d’état-major et général des armées Abakar Abdelkerim Daoud, le directeur général du renseignement militaire Tahir Erda Taïro, les ministres de la sécurité publique, de l’administration du territoire ou encore celui des armées, soit quinze généraux en tout.
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Intervenant à la télévision d’Etat, le porte-parole de l’armée, le général Azem Bermandoa Agouna, a promis que « de nouvelles institutions républicaines seront mises en place à l’issue de la transition par l’organisation d’élections libres, démocratiques et transparentes ».
Le nouvel homme fort du Tchad aura-t-il le loisir de mener jusqu’au bout cette transition ? Comment parviendra-t-il à maintenir l’unité d’un système qui se fissurait déjà malgré l’autorité et le charisme de son père ? La résurgence de rébellions anciennes et l’apparition de nouveaux groupes menacent en effet la stabilité du pays.
Une armée éparpillée sur plusieurs fronts
En 2019, les avions de chasse français étaient intervenus contre une colonne rebelle, venue de Libye. Paris avait alors justifié cette intervention aux relents interventionnistes très « françafricains » en affirmant avoir agi à la demande du président Déby, ce qui était avéré.
En revanche, la nature djihadiste de ces groupes de combattants soi-disant étrangers était erronée. La colonne décimée par les frappes françaises venait bien de Libye mais sous pavillon de l’Union des forces de la résistance (UFR), groupe rebelle dirigé par Timan Erdimi, cousin du président défunt, incarnation du morcellement familial, communautaire et tribal du Tchad.
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Une source diplomatique française expliquait alors sous couvert d’anonymat que « le président Déby redoutait que des officiers de hauts rangs ne se joignent au mouvement ou en profitent pour tenter un coup de force ». « Dans l’un ou l’autre des cas, ajoutait cette source, cela confirme que l’armée n’est pas aussi homogène ni unie derrière son chef que certains veulent bien le croire. »
D’autant que cette armée tchadienne est dangereusement éparpillée sur plusieurs fronts et des milliers de kilomètres : du lac Tchad contre Boko Haram à la zone dite des « trois frontières » (Burkina Faso, Mali et Niger) dans le cadre de la lutte contre les groupes liés à l’organisation Etat islamique et à Al-Qaida. Sur le territoire national, la région du Tibesti frontalière de la Libye est régulièrement sujette à des explosions meurtrières.
Un espace démocratique réduit à sa portion congrue
Quant au Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (le FACT), après avoir annoncé la veille que ses hommes avaient opéré un repli tactique, le chef de la rébellion Mahamat Mahdi Ali, joint par Le Monde, a promis de marcher sur N’Djamena « dans les heures ou les jours qui viennent ».
« Nos positions les plus avancées sont dans le département de Dababa, à une centaine de kilomètres de la capitale, précise-t-il. Si l’ordre constitutionnel avait été respecté, nous nous serions arrêtés et aurions été prêts à discuter. Mais là, toutes les institutions ont été dissoutes et nous ne reconnaissons pas le conseil militaire qui a été mis en place. Une succession assurée par le fils de Déby, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. »
A N’Djamena, alors qu’une bonne partie de la population a consacré la journée de mardi à effectuer des provisions par crainte de lendemains incertains, des voix s’élèvent déjà des rangs de l’opposition mais aussi de l’armée pour demander l’organisation d’un dialogue national et inclusif.
Ces dernières années, le régime s’était refermé sur lui-même, réduisant l’espace démocratique à sa portion congrue. Dans un communiqué de condoléances, la présidence française a souligné « l’importance que la transition se déroule dans des conditions pacifiques, dans un esprit de dialogue avec tous les acteurs politiques et de la société civile, et permette le retour rapide à une gouvernance inclusive s’appuyant sur les institutions civiles ».
Des exigences que Paris n’exprimait pas aussi clairement lorsque son « ami courageux » et, selon la ministre des armées, Florence Parly, son « allié essentiel dans la lutte contre le terrorisme au Sahel », piétinait les libertés fondamentales de ses « sujets ».
Cyril Bensimon et Christophe Châtelot
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