Une contribution de l’ancien ministre Koné Katinan inspirée de la victoire devant la CPI
L’exercice est certes difficile, mais pas impossible. Son accomplissement est bel et bien dans nos limites si nous acceptons tous de tirer les leçons de notre passé commun. Le verdict de la CPI du 31 mars 2021 est une chance qui est offerte à la Côte d’Ivoire de se retrouver et de conjurer, dans un élan national et patriotique, le mauvais sort qui la suit depuis plus d’une trentaine d’années. Pour réussir cette entreprise de catharsis au sens qu’Aristote donne à cette thérapie qui soulage l’âme, il nous faut nous appuyer sur deux valeurs essentielles. L’humilité dans la victoire et l’espérance dans la défaite. Les deux situations (victoire et défaite) sont les deux pôles émotionnels, qui bien qu’antinomiques, s’entretiennent mutuellement dans une logique de dialectique. Elles traduisent la fragilité émotionnelle de l’hommes et ont besoin, de ce fait, d’être solidement encadrées par les deux valeurs humaines ci-dessus rappelées.
Quiconque, doté d’une infime dose de bonne foi, qui a côtoyé Laurent GBAGBO pris dans sa dimension humaine, sans titre politique et académique, ou avec ceux-ci, ne pouvait accepter le destin que l’on lui prédisait à la CPI. Pour ces nombreuses personnes, l’heureuse fortune qu’il a finalement connue à la CPI, matérialisée par son acquittement et celui du ministre Charles Blé Goudé, constitue une victoire éclatante. Notre joie, à la limite de l’extase, est largement compréhensible. Elle est même légitime en ce qu’elle est proportionnelle à la fatale désespérance qui était attachée au sort qui était prédit à notre leader. Le chemin parcouru a été long et pénible. Mais nous ne pouvons ignorer le contexte dans lequel intervient cette victoire. Notre pays est toujours à la recherche de matériaux pour se bâtir une paix solide qui repose sur une réconciliation ; et tout le monde est unanime pour reconnaître que le Président Laurent GBAGBO, notre leader et notre modèle, en constitue l’architecte principal. Dès lors, il est un impérieux devoir pour nous de lui permettre de jouer pleinement ce rôle. Il nous faut célébrer notre victoire sans excès qui pourrait trahir notre humilité, celle que nous devons tirer de la vie quotidienne de celui à qui nous nous référons.
C’est dans la mesure que l’éclat de notre victoire va scintiller pour longtemps au-delà des frontières nationales. Tous les grands destins se construisent toujours dans une sorte de mouvement révolutionnaire dans lequel chaque étape appelle une autre jusqu’à l’accomplissement total du destin. Notre erreur serait de nous contenter d’une victoire d’étape qui, bien qu’importante, ne peut constituer pour autant l’ultime victoire. Notre grande victoire, celle qui cadre parfaitement avec le destin fabuleux de notre chef, consistera à aider celui-ci à rebâtir sur un terrain que les ressentiments divers de part et d’autre rendent a priori non aedificandi.
Cependant, notre détermination à consacrer notre victoire à la construction de la paix et au renforcement du contrat social national pourrait s’avérer insuffisante si ceux ou celles qui croient que cette victoire constitue une défaite pour eux, vivent celle-ci dans la désespérance. Le désespoir n’a pour finalité que de maintenir à un niveau insoutenable les frustrations et la haine. Aucune douleur n’est à négliger si nous voulons prendre ensemble un nouveau départ. Cependant, il faudra bien admettre que les discours de 2011 ne peuvent plus prospérer en 2021 parce qu’entre temps des informations complémentaires sont venues confirmer ou infirmer certaines certitudes longtemps entretenues de part et d’autre. L’objectif de la justice n’est pas seulement de punir, mais surtout d’établir la vérité, la seule qui soulage les cœurs et fait reposer les esprits. C’est pourquoi, il est juste et légitime de la part d’une victime de rechercher la justice pour d’abord connaître la vérité et ensuite réclamer ou non réparation. Or, la recherche de la vérité est absolument incompatible avec les a priori définitivement figés. Vouloir rendre absolument Laurent GBAGBO le coupable pré-désigné de ma situation de victime n’est pas la recherche de la vérité. Dans n’importe quel procès, quelle que soit la juridiction de jugement devant laquelle celui-ci se tient, la culpabilité ou l’innocence du prévenu s’établit toujours en fonction des preuves. Le juge n’étant pas présent au moment de la commission du crime allégué contre le prévenu, ce sont les preuves et elles seules qui lui parlent.
La pertinence des preuves dans un procès ne dépend pas de la quantité de celles-ci, mais surtout de leur logique agencement qui donne une cohérence aux allégations de la partie qui s’en prévaut. C’est cette cohérence qui fait éclater la vérité. Il arrive parfois que celle-ci se déjoue de toutes les certitudes de départ sur le ou les coupables. Chaque victime a un droit de vérité sur l’auteur et les circonstances du meurtre d’un parent, mais elle ne dispose d’aucun droit de condamnation sur la ou les personnes soupçonnées d’avoir commis ce meurtre jusqu’à ce qu’un juge en établisse leur culpabilité. Or en l’espèce, le Président Laurent GBAGBO et le ministre Charles Blé Goudé ont été acquittés. Ils sont donc déclarés innocents. Nous pouvons comprendre la peine et les frustrations des victimes si cette peine et frustrations découlent du fait que finalement les vrais coupables de la mort de leurs proches courent encore librement. Mais leur insistance à désigner les deux acquittés comme les coupables des crimes qu’elles ont subis malgré leur acquittement devient hors de raison.
Ce qui vaut pour les victimes vaut également pour les tierces personnes qui avaient appelé, de bonne foi, ce procès ou qui l’ont suivi d’une façon ou d’une autre. Il s’agit des organisations des défenses des droits de l’homme, des médias ou de certains acteurs de ce procès. Leurs prises de position, parfois tendancieuses sur le verdict de cette affaire, ne participent pas à l’apaisement des esprits dont a besoin notre pays. En effet, insinuer que les deux prévenus ont été acquittés parce que le procureur a mal fait son travail laisse persister l’opinion selon laquelle leur culpabilité préétablie n’a finalement pas été révélée à la Cour Pénale Internationale que par la faute du procureur qui n’aurait pas pu réunir le minimum de preuves à cette fin. Une telle perception des choses s’écarte forcément de la recherche de la vérité dans le drame qu’a connu notre pays. Elle ne fait qu’empirer l’état psychologique des victimes qui pourraient croire que ce verdict d’acquittement du Président Laurent GBAGBO et du ministre Charles Blé Goudé constitue un déni de justice pour elles.
Aidons les victimes à se réconcilier avec la vérité qui découle du verdict confirmé le 31 mars dernier : à savoir que les deux prévenus ont été acquittés parce qu’ils ne sont pas coupables des faits qui leurs étaient reprochés malgré les a priori qui ont précédé ce procès dont les médias avaient fait, parfois avec excès, de larges échos. La rhétorique de 2011 qui faisait de Laurent GBAGBO un coupable avant jugement est devenue diffamatoire à l’encontre de celui-ci depuis le 31 mars 2021. En effet, par trois fois, correspondant aux trois étapes de ce long procès, les juges de la CPI ont établi l’innocence du Président Laurent GBAGBO. Le 03 Juin 2013, la chambre préliminaire, qui joue le rôle de chambre d’instruction, avait déjà jugé que les preuves étaient insuffisantes pour conduire un procès contre le Président Laurent GBAGBO. Une extension de période d’enquête avait été autorisée au Procureur pour renforcer la pertinence ou la force probante de ses preuves. Pendant ce temps, le Président Laurent GBAGBO était maintenu en prison. Les conditions assez obscures dans lesquelles les charges ont été confirmées un an plus tard (le 12 juin 2014) n’avaient pas levé tout le doute sur la faiblesse des preuves de l’accusation. Le 15 Janvier 2019, la Chambre de jugement est arrivée à la même conclusion de la faiblesse exceptionnelle des preuves à charge. Ce verdict sera confirmé le 31 mars 2021. Trois instances d’une même juridiction ne peuvent pas se tromper sur les mêmes faits. L’on ne peut pas dire non plus que le Président Laurent GBAGBO aurait participé à la dissimulation des preuves ou à l’intimidation des témoins à charge. Il était en prison et par douze fois la liberté provisoire lui a été refusée. Au total, le Président Laurent GBAGBO aura passé plus 8 ans en prison et aura été privé de sa liberté totale pendant pratiquement 10 années pour des faits pour lesquels il a été finalement déclaré innocent. La constante faiblesse des preuves relevée depuis le début de procès signifie tout simplement que les personnes poursuivies n’ont pas commis les actes criminels qui leur étaient reprochés. C’est la seule conclusion possible qu’il convient de tirer de cette affaire.
Le gouvernement ivoirien a certainement fait des efforts dans la réparation des souffrances morales de certaines victimes. Il faudra aller plus loin en créant un nouveau cadre de réparation plus transparent. N’ayons pas peur de dire les choses telles qu’elles se présentent. Des motivations pécuniaires se cachent derrière la position inflexible de certaines victimes réelles ou suscitées. La pauvreté des populations les rend très sensibles à certaines promesses même quand celles-ci sont aléatoires comme c’est le cas des dommages et intérêts à verser à une partie civile. Malheureusement, la règle veut que ceux-ci n’existent jamais d’eux-mêmes. La partie civile n’a de succès que lorsqu’une condamnation pénale est prononcée. Dans l’occurrence, l’acquittement du Président Laurent GBAGBO met fin à toutes les prétentions des victimes. Dieu seul sait quelles en étaient leurs attentes. Il est fréquent, dans ces genres de situations, que les attentes des victimes soient entretenues ou boostées par des entremetteurs se présentant comme des consolateurs des victimes alors qu’ils ne sont que de vils affairistes qui entendent faire fortune sur la douleur de celles-ci. Un cadre de réparation transparent adopté par le gouvernement pour toutes les victimes du drame ivoirien devrait permettre d’extirper de leurs rangs les redoutables requins des eaux sombres qui, en réalité, se soucient très peu de la souffrance et de la peine des vraies victimes. Il faut ranger dans cette catégorie tous ceux et toutes celles qui ne peuvent prospérer que dans la persistance de la crise ivoirienne. On les recrute aussi bien à l’intérieur de la Côte d’Ivoire comme à l’extérieur de celle-ci.
Ces charognards, qui ne voltigent qu’au-dessus des corps morts ou en agonie, ne ménageront aucun de leurs efforts pour maintenir la division dans le pays. Ils souffleront inlassablement sur les braises de la division en contant fleurette à gauche et à droite pour séduire des personnes et les rallier à leurs lugubres entreprises. Il est temps que le manteau noir de la tristesse quitte notre pays. Le gouvernement a une responsabilité accrue dans l’inflexion de la courbe de la division et de la haine entre les citoyens du pays. Il doit prendre des décisions courageuses pour faire revivre tout le pays.
Depuis une trentaine d’années, notre pays s’offre à la risée du monde entier. L’exposition de nos contradictions y compris les plus intimes au reste du monde découle de notre manque de confiance en nous-mêmes. Le verdict du 15 janvier 2019, confirmé le 31 mars dernier, doit être vu comme une opportunité que la bonté divine nous offre pour prendre le destin de notre nation en main. Sommes-nous capables ? Je le pense.
Le ministre Justin Katinan KONE
Porte-Parole du Président Laurent GBAGBO
Vice-Président du FPI
Premier Vice-Président d’EDS
Président de la coordination du FPI en exil
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