La France a accentué la crise ethnique ayant conduit au génocide au Rwanda (rapport Duclert)

C’est un sujet explosif depuis près de 27 ans. Après deux ans de travail à partir d’archives parfois ouvertes pour la première fois, une commission d’historiens a remis à l’Elysée un rapport historique sur le rôle de la France pendant le génocide contre les Tutsis de 1994.

Par Le Parisien avec AFP

Des « responsabilités lourdes et accablantes », une « faillite » de la France, un président français et son entourage « aveuglés idéologiquement »… Dans un rapport de 1000 pages, une commission de quatorze historiens dresse un bilan de l’engagement de la France avant, pendant et après le génocide rwandais et lève une partie des zones d’ombre qui subsistent depuis 27 ans. « Les autorités françaises ont mené une politique qui a été totalement déconnectée de la réalité, une politique qui portait les stigmates de la colonisation, ultra ethniciste, qui n’a pas vu effectivement que le Rwanda pouvait s’en sortir et au fond a accentué la crise ethnique, s’est alignée sur le régime du président Habyarimana qui était un régime raciste », explique Vincent Duclert, président de la Commission d’historiens sur le rôle de la France au Rwanda.

Si la responsabilité de la France et celle du président français François Mitterrand sont engagées, le rapport conclut que rien ne démontre la complicité de la France. « La France a été aveugle, la France a refusé toutes les alertes, c’est effectivement un gros problème, insiste Vincent Duclert. Mais si on doit effectivement considérer qu’il y a là complicité de génocide, ça veut dire qu’au fond, toute la communauté internationale sera complice de ce génocide. » Après des années de tensions entre Paris et Kigali, les autorités françaises espèrent que le rapport participera à un réchauffement des relations entre les deux pays.

Génocide des Tutsi du Rwanda: La France rattrapée par l’Histoire

Le rapport de la commission composée de 14 historiens sur le génocide des Tutsi du Rwanda commis en 1994 a été remis ce vendredi, au président français Emanuel Macron.

« Face à la dérive du régime rwandais corrompu, violent et raciste de l’époque, la France est restée aveugle et porte des responsabilités lourdes et accablantes dans la tragédie », selon les conclusions du rapport d’une commission d’historiens publié vendredi qui pointe ainsi « la faillite de la France au Rwanda ».

François Mitterrand, alors président Français «entretenait une relation forte, personnelle et directe» avec Juvénal Habyarimana, ce qui justifie notamment «la livraison en quantités considérables d’armes et de munitions au régime rwandais, tout comme l’implication très grande partie des militaires français dans la formation des Forces armées rwandaises», peut-on lire dans le rapport.

Le document insiste sur la responsabilité cruciale du président socialiste de l’époque, François Mitterrand, dans cette politique.

«Cet alignement sur le pouvoir rwandais procède d’une volonté du chef de l’Etat et de la présidence de la République», écrivent les quatorze historiens de la Commission. François Mitterrand entretenait «une relation forte, personnelle et directe» avec Juvénal Habyarimana, soulignent-ils.

Cette relation, doublée «d’une grille de lecture ethniciste» de la situation au Rwanda, a justifié «la livraison en quantités considérables d’armes et de munitions au régime d’Habyarimana, tout comme l’implication très grande des militaires français dans la formation des Forces armées rwandaises» gouvernementales.

Le rapport dénonce également «l’existence de pratiques irrégulières d’administration, de chaînes parallèles de communication et même de commandement, de contournement des procédures légales, d’actes d’intimidation» dans la mise en œuvre d’une politique qui était essentiellement décidée à l’Elysée et dans le cercle proche de M. Mitterrand.

Au moment du génocide, la France «a tardé à rompre» avec les responsables, et a continué à placer la menace du FPR (Front patriotique rwandais, l’ex rébellion tutsi qui mit fin au génocide) au sommet de ses préoccupations», écrivent les historiens.

«Elle a réagi tardivement» avec l’opération militaro-humanitaire Turquoise entre juin et août 1994, «qui a permis de sauver de nombreuses vies, mais non celles de la très grande majorité des Tutsi du Rwanda exterminés dès les premières semaines du génocide», ajoutent les auteurs du rapport de la Commission présidée par l’historien Vincent Duclert, et mise en place en 2019 par Emmanuel Macron.

Radia Mehdi
lapatrienews/Algerie

Rwanda, les mots à dire

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Le génocide d’un million de Tutsis, entre avril et juillet 1994, continue de hanter les rescapés… et les complices, au Rwanda et en France. Ainsi, en 2006, l’Association des veuves du génocide d’avril a réuni une centaine de survivants qui avaient alors entre 8 et 12 ans, afin qu’ils rédigent leur témoignage. L’historienne Hélène Dumas compose un livre de longs extraits de cahiers sur lesquels les orphelins ont « couché les souvenirs de leur enfance saccagée », sobrement contextualisés et commentés (1). Ces textes saisissants, où ils « n’épargnent rien des détails cruels accompagnant la traque des leurs, précédant leur mise à mort », montrent « un génocide qui s’éprouve encore dans le quotidien ».

Cette histoire par le bas et par l’enfance se décline en trois temps : avant, pendant, après. La « vie d’avant » se retrouve idéalisée, marquée par la « concorde » au sein de ces familles élargies du monde rural. La guerre survient en 1990, après la première offensive du Front patriotique rwandais (FPR), venu de l’Ouganda, dans le nord-est du pays. Les récits relatent la « politique du génocide : l’assassinat des ascendants comme des nourrissons, visant la rupture de la filiation » — un génocide commis par leurs voisins. L’un de ces témoins écrit : « Quand vous voyez mon visage, on croit que je suis sain, pourtant mon cœur est une pourriture puante et ma tête est comme morte. »

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Et la France dans tout cela ? Le physicien François Graner, déjà auteur d’un livre sur le sujet (2), et Raphaël Doridant, membre de l’association Survie, démontrent, dans un ouvrage étayé par plus de mille notes et références, la « complicité » de fait de l’État français (3). D’abord, « les autorités françaises sont informées [dès le 7 avril 1994] du déclenchement du génocide des Tutsis et de l’assassinat des Hutus démocrates » ; ensuite, « la diplomatie française cautionne la formation d’un gouvernement [le gouvernement intérimaire rwandais (GIR)] qui, pendant cent jours, couvrira politiquement et encadrera le génocide ». Enfin, la « zone humanitaire sûre » établie par l’opération « Turquoise » (22 juin – 21 août 1994) a servi de « base arrière » à des unités des forces armées rwandaises, fidèles au GIR, et permis leur fuite vers le Zaïre. Quelles leçons tirer de ces événements ? Graner et Doridant rappellent que, « dans toute l’histoire de la Françafrique, la théorie de la stabilité a été invoquée pour conserver en place des dictateurs comme au Cameroun, au Tchad, au Congo-Brazzaville, (au Gabon et au Togo ». Ils soulignent que « la politique étrangère de la France, tout particulièrement la politique militaire en Afrique, se situe hors de la démocratie » en raison de la faiblesse du contrôle exercé par le Parlement. « Face à cette irresponsabilité organisée des gouvernants », les auteurs proposent des « changements structurels » : « diminuer le poids du président, renforcer la répartition collective du travail au sein du gouvernement » en accordant davantage de pouvoir au ministère des affaires étrangères et moins au ministère de la défense, « ouvrir les archives d’intérêt public », et favoriser les « contre-pouvoirs » — presse libre, partis et associations, débat public.

Tangi Bihan

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