Anselme BLAGNON
Le président de la Ligue ivoirienne des droits de l’Homme (LIDHO), Willy Neth, a souhaité que l’application de la loi en Côte d’Ivoire, pays qui a connu des violences électorales en 2020, soit la même pour tous les citoyens, estimant qu’ »on ne doit pas, sur la base d’arrangements politiques, sacrifier la justice », dans une interview à ALERTE INFO.
Le processus électoral lors de la présidentielle de 2020 a été émaillé de violences qui ont fait au moins 85 morts et 484 blessés, selon les chiffres officiels. Des responsables de partis politiques accusés entre autres de « complot contre l’autorité de l’Etat, mouvement insurrectionnel » ont été libérés, alors que d’autres personnes dont un membre de la société civile sont toujours en détention. Comment réagit la LIDHO ?
De notre point de vu, la loi doit être d’égale application et le fait que des personnes qui sont interpellées pour les mêmes faits, soient discriminées dans la même procédure nous inquiète, et c’est ce que nous avons toujours dénoncé. Si ce sont les mêmes faits qui sont reprochés à ceux qui ont été interpelés et que seule une partie est libérée, se pose alors le problème de l’application sélective de la loi. Cependant, si les faits incriminés sont différents d’un prévenu à l’autre, on peut alors comprendre que c’est tout à fait normal que la justice suive son cours. Les procédures étant différentes qu’il y ait des approches différentes, des décisions différentes. Mais encore une fois, si ce sont les mêmes faits, il est regrettable que ce soit ainsi.
A ce propos, quelles sont les actions menées par votre organisation pour aboutir à une application de la loi comme vous l’avez évoqué?
La LIDHO a, dans son action de promotion, de protection et de défense des Droits de l’Homme, une approche multiforme. La première démarche fait référence aux différentes interpellations et dénonciations à travers les déclarations qui sont produites chaque fois que de besoin. La deuxième se rapporte à des actions de plaidoyers et de lobbying, car la LIDHO se veut aussi une force de proposition et de réflexion et in fine, nous assistons juridiquement et judiciairement nos concitoyens et tous ceux qui sont dans le besoin, afin de les aider à être restaurés dans leurs droits.
A cet effet, nous sommes régulièrement sollicités par plusieurs individus, familles et organisations communautaires dont les membres ont eu leurs droits violés. Cette assistance se fait par notre Groupe d’Action Juridique et Judiciaire (GAJ), qui est une de nos structure interne qui travail au quotidien depuis notre création.
En 2018, à l’occasion de la journée nationale de la paix en Côte d’Ivoire, trois organisations dont la votre ont rendu public le recours introduit auprès du président Alassane Alassane contre l’amnistie en faveur de 800 personnes poursuivies après la crise postélectorale de 2010-2011. Quelle a été la suite ? Votre recours a-t-il eu une suite favorable ?
Cette action est l’action conjuguée de trois organisations, à savoir la FIDH, le MIDH et la LIDHO. Nos organisations on d’abord fait un recours gracieux qui consiste en la saisine du supérieur hiérarchique de celui qui à pris l’acte concerné et vu qu’en l’espèce, que l’auteur de l’acte est le Président de la République, c’est à lui que nous avons adressé le recours gracieux demeuré vain.
Nous avons par la suite, saisi le Conseil d’État par une requête pour recours en annulation pour excès de pouvoir en avril 2018; jusqu’au moment où nous vous vous parlons, nous sommes encore en attente de la suite.
Pour rappel et pour faire simple, nos organisations estiment que l’ordonnance 2018-669 du 6 août 2018 portant amnistie, est non seulement illégale aussi bien dans la forme que dans le fond, mais aussi en totale contradiction avec l’ensembles des engagements pris par le chef de l’Etat, à l’issue de la crise post électorale depuis 2011.
Des procédures judiciaires ont été annoncées après les violences électorales de 2020, qu’attendez-vous concrètement. Pensez-vous qu’au nom de la réconciliation il faut faire table rase de tout ce qui se passé ?
Nous, en tant que défenseurs des droits de l’Homme, la seule alternative crédible pour nous, c’est la mise en œuvre de la justice. Depuis bientôt 20 ans, nos autorités et les différents acteurs politiques de notre pays, prennent et/ ou encouragent des décisions supposées favoriser la réconciliation nationale, et très souvent au mépris de la justice. Cependant, force est de constater que tous ces arrangements en dehors de la justice n’ont pas apportés la paix durable tant souhaitée. C’est pourquoi, nous pensons que le meilleur moyen pour parvenir à la réconciliation véritable reste la voie de la justice.
Pensez-vous que comme 2018, en 2020, les acteurs politiques s’arrangent toujours pour se sortir d’affaire, après les violences constatées.
Votre question corrobore notre pensée. Comme le disait feu le premier ministre Hamed Bakayoko à l’occasion d’une session du dernier dialogue politique, en substance, « Pourquoi attendre toujours que le mal soit fait avant de nous retrouver autour de la table pour renouer le dialogue ? N’est-il pas plus judicieux de faire l’économie de toutes ces violences, destructions et morts inutiles en discutant en amont pour préserver la Paix ? »
On ne peut pas et on ne doit pas, sur la base d’arrangements politiques, d’intérêts politiques, sacrifier la justice. Pour nous, l’application de la loi doit être égale pour tous, peu importe le statut des individus; leaders politiques ou pas, militants, sympathisants politique ou citoyens lambda, tous doivent être égaux devant la loi. Nous ne sommes pas et ne saurions être solidaire d’aucune action, décision ou orientation, qui ne soit basé sur la justice et la Loi. Seule, l’application de la Loi et le refus systématique de l’impunité pourra rétablir la paix et l’ordre.
Qu’en est-il des procédures judiciaires à l’encontre de certaines personnes jugées à l’extérieur et condamnées par contumace la justice ivoirienne pour des faits similaires ?
En matière pénale, il existe la règle du non bis in idem qui est d’une importance très particulière du fait qu’elle constitue une garantie essentielle pour le prévenu. Cette règle commande que nul ne peut être traduit deux fois devant une juridiction répressive pour des faits identiques. La Côte d’Ivoire à travers ses juridictions, reconnaît cette règle. Nous laissons donc le soin à chacun et à chacune d’en tirer les conséquences.
Le parti de l’ancien président Laurent Gbagbo dénonce une lenteur des autorités concernant son retour en Côte d’Ivoire. Au cas où la chambre d’appel de la CPI l’acquitte définitivement le 31 mars 2020, pensez-vous qu’il peut revenir au pays ?
Bien sûr ! En tant que citoyen ivoirien et de surcroit ancien Président de la République, il serait tout a fait normal qu’après son acquittement par la Cour Pénale Internationale (CPI), le Président Laurent GBAGBO puisse regagner son pays si tel est son désir ; surtout que notre Constitution stipule que nul ne peut être contraint à l’exil. Ceci étant et de notre point de vu, il incombera à nos autorités, le moment venu de prendre toutes les dispositions en la matière pour faciliter son retour en toute sécurité eu égard à son statut.
Quelles sont les attentes de la LIDHO après la réinstallation d’un ministère de la Réconciliation nationale?
D’abord, quand on crée un ministère de la Réconciliation, ça veut dire que nos autorités sont conscientes qu’il y a des clivages qui existent entre les Ivoiriens et que ces clivages méritent d’être adressés, d’être discutés et qu’on puisse avoir un environnement apaisé. C’est la compréhension que nous avons du ministère de la Réconciliation.
Maintenant créer un ministère de la Réconciliation, c’est une chose, mais mettre en œuvre des activités ou bien prendre un dispositif ou des dispositions qui permettent d’être véritablement réconciliés, c’est une autre chose.
Voilà pourquoi, nous, bien que saluant l’avènement de ce ministère, nous restons en attente des mesures, des décisions ou des initiatives véritables qui pourraient définitivement réconcilier les Ivoiriens. Mais encore une fois, nous réaffirmons et réitérons que sans la justice, il serait difficile voir impossible d’obtenir une réconciliation durable.
Alerte info/Connectionivoirienne.net
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