Source: La rédaction de Valeurs actuelles
En mars 2019, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) accordait l’asile politique à l’homme d’affaires béninois et opposant politique Sébastien Ajavon. Qu’est ce qui a conduit à cette décision en faveur de ce multimillionnaire controversé et visé par une notice rouge d’Interpol ?, interroge cet expert des questions africaines sous couvert d’anonymat. Tribune.
Sébastien Ajavon est un homme d’affaires béninois également connu pour être un opposant politique au Président en exercice, Patrice Talon. Réfugié politique en France, il est condamné en 2018 par la justice du Bénin à 20 ans de prison ferme pour trafic de drogue ; sa fuite entraîne l’émission d’une notice d’Interpol à la demande de son pays d’origine. Sébastien Ajavon dément fermement cette accusation et se dit victime de persécutions politiques. Une ligne qu’il a défendue jusque devant la Cour africaine des droit de l’homme (CADHP), assisté de ses avocats.
L’un d’eux n’est autre qu’Antoine Vey, associé de l’avocat pénaliste et ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti. Loin d’être un inconnu, Maître Vey a déjà été médiatisé dans le cadre de la défense de l’ex-ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, ou d’Abdelkader Merah, frère du terroriste Mohammed Merah. Pourtant les ennuis judiciaires de Sébastien Ajavon, qui vont de la fraude à des faits de torture sur ses employés en passant par des faux en écriture publique, sont pour certains bien antérieurs à son entrée en politique. Que reproche-t-on alors au multimillionnaire depuis le Bénin ?
Fraudes en série
Déjà sous l’ère de l’ex-Président Boni Yayi (2006-2016), dont le peu d’estime pour la probité du millionnaire est connue, Sébastien Ajavon était un habitué des tribunaux. L’État béninois a eu avec lui plusieurs démêlés, dont le plus célèbre fût la condamnation de sa société Comon-SA en 2013 pour des faits datant de 2009-2011. L’entreprise de Sébastien Ajavon avait alors été condamnée à un redressement fiscal de 35 milliards FCFA pour une fraude à la TVA. La Comon-SA contournait la taxe en déclarant des produits à l’export qui étaient ensuite réintroduits frauduleusement sur le territoire et écoulés sur les marchés locaux.
En 2017, Sébastien Ajavon et sa société Comon-Sa sont une nouvelle fois poursuivis conjointement pour des faits datant de 2003. Les condamnations sont prononcées pour « faux en écriture publique, complicité de faux en écriture publique, usage de faux et escroquerie ». Selon des sources ministérielles, au moment des faits, et des douanes béninoises, Sébastien Ajavon avait en effet falsifié des quittances d’exportation. Cette manoeuvre lui permettait d’être exonéré de taxes et de bénéficier de facilitations de procédures douanières dans le cadre de ses opérations de réexportation de produits congelés vers le Nigeria voisin.
Enfin, en 2018, trois de ses entreprises sont impliquées et condamnées (un redressement de 155 milliards FCFA, soit 236 millions d’euros) dans une affaire de fraude au fisc. Plusieurs sources à la Direction générale des impôts insistent sur le fait que les accusations ne proviennent pas d’interprétations des magistrats béninois, mais ont bien été faites sur pièces après contrôle des inspecteurs des impôts. Par ailleurs, à la même époque, de nombreuses entreprises, dont des entreprises publiques (Soneb, CNSS, ORTB) ou réputées proches du régime de Patrice Talon subissent la même pression du fisc. Les accusations de pressions politiques formulées par Sébastien Ajavon tiennent donc difficilement.
Affaires pénales
C’est dès 2001 que monsieur Ajavon fait l’objet d’une condamnation par la Cour constitutionnelle pour torture et sévices corporels aggravés sur un de ses employés accusé de vol. S’il échappe à la prison, son image est durablement ternie. Tant et si bien qu’il fait l’objet d’une tentative d’invalidation de sa candidature lors de l’élection présidentielle de 2016 à l’appel de plusieurs associations issues de la société civile béninoise.
Toutefois, l’exil de Sébastien Ajavon n’intervient qu’au moment où il risque la prison. Déjà accusé de trafic de drogue en octobre 2016 – 18 kilos de cocaïne avaient alors été découverts dans l’un de ses conteneurs -, il bénéficie d’une relaxe en novembre. Mais les différentes affaires de fraude et d’escroquerie qui ont touché le multimillionnaire n’ont pas incité les magistrats béninois à faire preuve d’indulgence. Plusieurs éléments d’enquête finissent par déclencher une nouvelle procédure.
En octobre 2018, il est finalement condamné, par contumace, à vingt ans de prison par la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET), investie du dossier. Les avocats de la défense, qui avaient boycotté la séance, crient au scandale et portent l’affaire devant la CADHP qui donnera gain de cause à Sébastien Ajavon et condamnera l’Etat béninois à une amende de 36 milliards de francs CFA – un jugement refusé par le gouvernement du Bénin. Pour rappel, Sébastien Ajavon avait demandé des dommages et intérêts de l’ordre de 550 milliards FCFA, soit un quart du budget béninois annuel…
Curieux réfugié
Les critères de sélection de l’Ofpra, apparaissent alors particulièrement obscurs. En décembre 2020, l’Office avait en effet refusé l’asile à un couple d’Iraniens menacés de mort dans leur pays d’origine pour s’être convertis au christianisme. Mais il accorde le statut de réfugié à un opposant politique condamné plusieurs fois pas la justice pénale de son pays, parfois des années avant l’arrivée à la présidence de Patrice Talon, dont il fut brièvement l’allié en 2016. Les abattoirs de poulets de l’homme d’affaires, situés en Bretagne, auraient-ils pesé dans la décision de l’Ofpra ? En tout état de cause, cette décision brouille la cohérence du droit d’asile français censé distinguer les réfugiés politiques des condamnés de droit commun.
La manœuvre est d’autant plus obscure qu’on en saisit difficilement l’opportunité stratégique. En plus d’être un opposant au gouvernement du Président Talon, Sébastien Ajavon est isolé du reste de l’opposition. Cette dernière, qui a monté une coalition dans le cadre de l’élection présidentielle d’avril 2021, le Front pour la restauration de la démocratie, n’a en effet pas pris la peine de le solliciter, malgré son poids électoral non négligeable. Par ailleurs, le droit international relatif aux réfugiés politiques empêche Sébastien Ajavon de se présenter à une élection béninoise, cela malgré les injonctions de la CADHP. Quel intérêt y a-t-il donc à le protéger ?
La posture de l’Etat interpelle, dans la mesure où la France est le principal fournisseur et premier investisseur étranger du Bénin. Considéré comme l’une des économies les plus dynamiques du continent africain, le Bénin est courtisé par de nombreux acteurs internationaux qui ne seraient pas mécontents de voir la France descendre de son piédestal dans la région.
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