Honoré Droh | Lebanco.net
Partis du chef-lieu de la préfecture de Sipilou à 8 heures ce samedi 16 janvier 2021, nous sommes arrivé à Kpéaba aux environs de 9 heures 30 minutes, après avoir parcouru 22 km et successivement traversé Koulaleu, de vastes plantations de caféiers feuillus, une bande de forêt dense et franchi le pont de fortune qui traverse la rivière Kpéa qui a donné son nom au village. L’air est encore frais. Kpéaba ,une localité peuplée de plus de 600 habitants ; enveloppée dans la bruine matinale, s’éveille doucement au son des bruits des pilons qui écrasent des grains de riz paddy dans les mortiers.
À l’entrée du village, sur un terrain vague, dans la cour de l’école primaire, un troupeau de moutons. À côté d’une case construite en terre battue, un commerçant solitaire, debout devant son étal de fortune où sont exposés des gadgets en plastique, distribue gratuitement des bonbons à des bambins, pour la plupart nus, et aux ventres bien arrondis. Au loin, au milieu du village, au sommet de la colline qui surplombe Kpéaba flotte, au gré du vent, un fanion. Celui de la République de la Guinée. Les patrouilles des forces de l’ordre guinéennes à Kpéaba, selon la population, sont permanentes. Au moins trois fois par mois.
Importantes réserves de nickel, d’or et de diamant
Depuis plusieurs décennies, Kpéaba est la pomme de discorde entre la Guinée et la Côte d’Ivoire. Chacun des deux pays réclamant cette bande de terre. À Kpéaba est construite une école primaire publique qui dépend l’Inspection de l’enseignement préscolaire et primaire de Sipilou. Au titre de la rentrée scolaire 2020-2021, cette école a enregistré 94 élèves dont 30 jeunes filles. La population du village est ivoirienne. Exclusivement des Yacouba et Mahou originaires de Sipilou et Ouaninou (Touba).
Selon Aubain Diomandé, chef du canton de Sipilou rencontré dans la matinée du 17 janvier, « Kpéaba est bel bien un village ivoirien appartenant à Sipilou ». Il fait observer que Kpéaba est convoité à cause de la forêt encore dense qui couvre cette bande de terre au sol très fertile. Une région au sous-sol renfermant d’importantes réserves de nickel, d’or et de diamant. « La présence en permanence du drapeau guinéen sur le toit de Kpéaba nous préoccupe et nous irrite. Mais que pouvons-nous faire ? » observe le chef de canton de Sipilou.
Sékou Touré réclamait Man, Biankouma et Sipilou
Les premières crises sérieuses à Kpéaba ont débuté en 1968. En 1967, Philippe Grégoire Yacé, alors président de l’Assemblée nationale et Mamadou Coulibaly, président du Conseil économique et social se rendent à Sipilou pour répondre au président Sékou Toure. Sékou Toure avait déclaré que non seulement Sipilou, mais aussi Biankouma et Man étaient des localités installées sur son territoire. Peu après la visite du président Yacé à Sipilou, les menaces verbales du président Sékou Toure se multiplient et sa volonté d’annexion d’une partie du territoire ivoirien s’affirme. En novembre 1994, des soldats guinéens font irruption dans plusieurs campements agricoles de Sipilou, notamment à Kpiyama, Golougbeu-Pleu, et Anatole-Pleu. Ces soldats demandent aux populations de se considérer comme des Guinéens, si elles veulent vaquer à leur occupation. Au cours de cette opération de représailles trois paysans natifs de Koulaleu (Sipilou) sont arrêtés et conduits à Lola (Guinée) avant d’être libérés. Les autres occupants des campements sont traqués et chassés. Les différentes cases et greniers détruits.
Début février 2013, situation identique. Les soldats guinéens font irruption à Kpéaba intimident la population, ’installent leur quartier général et hissent le drapeau de la République de Guinée sur le toit d’une des cases du village. Après une offensive diplomatique, les soldats guinéens se retirent de Kpéaba, mais laissent flotter le drapeau de leur pays dans le ciel ivoirien. Depuis, ce fanion est retiré et réinstallé au gré de leurs humeurs.
En décembre 2016, ne pouvant plus supporter ce drapeau, un habitant de Kpéaba le décroche. La réaction est immédiate. Aux environs de 2 heures du matin, le 22 décembre 2016, des soldats guinéens assiègent Kpéaba. Des maisons d’habitation sont détruites, la population est battue et un habitant est tué par balle.
De notre envoyé spécial à Kpéaba,Honoré Droh
Quelques dates
Voici quelques dates importantes des visites des hommes politiques venus au chevet de Kpéaba et des crises survenues.
Le 7 novembre 1995, Essy Amara, alors ministre des Affaires étrangères se rend en Guinée et participe à une réunion, visant à la mise sur pied d’une commission mixte de coopération en vue d’un règlement définitif de ce conflit frontalier.
En 2000, le général Robert Guéi, président de Côte d’Ivoire, en visite à Sipilou, est informé par la chefferie traditionnelle des difficultés éprouvées par les populations vivant à Kpéaba.
Le 17 mars 2014, Paul Koffi Koffi, ministre auprès du président de la république chargé de la Défense se rend à Kpéaba, en vue de s’imprégner des réalités. Le 14 avril 2014, une délégation de la commission sécurité et défense de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire conduite par Oualata Gaoudi se retrouve à Sipilou. Pendant les échanges, notables et chefs traditionnels s’inquiètent de la présence prolongée du drapeau guinéen à Kpéaba.
H. D.
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