Par Venance Konan
En 2015, au moment de l’élection présidentielle, il avait été question de travailler à l’émergence d’un « Ivoirien nouveau », à savoir un Ivoirien qui aurait tourné le dos à un certain nombre de comportements nocifs tels que l’usage de la violence, la tricherie, la prévarication, la corruption, le népotisme, la recherche du gain facile, bref, tous les maux qui minent une société et la font régresser. Cinq ans après quel bilan pourrait-on faire ? Est-il né, cet Ivoirien nouveau ? Les scènes de violence auxquelles nous avons assisté lors de la dernière élection présidentielle, et surtout leur cruauté, avec notamment la décapitation d’un jeune homme à Daoukro et sa tête transformée en ballon de football nous ont montré que pour ce qui est du respect de la personne humaine, nous avons encore du chemin à faire.
Il y a longtemps que nous dénonçons le peu de cas que les Ivoiriens font de la vie humaine. Combien de fois n’a-t-on pas lynché des personnes dans ce pays, sur de vagues accusations de vol d’argent ou même de sexe, combien d’hommes les étudiants de la FESCI, les escadrons de la mort des Refondateurs et les rebelles de Guillaume Soro n’ont-ils pas torturé et tué, combien de femmes n’ont-ils pas violé en toute impunité ? Combien de « sorciers » n’a-t-on pas tué à la suite de prétendues révélations ? La liste des crimes impunis dans notre pays est interminable. Et chaque fois nous montons d’un cran dans l’abjection. Une société qui s’accommode d’un tel état de fait et de tous les manquements aux valeurs qui fondent une nation forte, une société qui n’a plus de morale, est une société moribonde.
Qu’en est-il de la tricherie ? Très peu de personnes dans ce pays pensent que l’on peut réussir à un concours sans une intervention ou sans payer quelque chose à quelqu’un. Qui, cadre ou élu de sa région, directeur ou détenteur de la moindre parcelle de pouvoir n’a jamais été sollicité au moins une fois pour intervenir afin de faire gagner à un concours ? Un de mes amis qui travaille à la Haute autorité pour la bonne gouvernance m’a expliqué toutes les sollicitations qu’il reçoit tous les jours afin qu’il intervienne pour l’obtention d’un poste, et son incapacité à faire comprendre à ces personnes que son travail est justement de lutter contre ce genre de pratiques. Nous proclamons partout et tous les jours que nous visons l’excellence. C’est de toutes les façons le seul chemin qui conduit à l’émergence. Mais comme le disait Aimé Césaire, une société qui ruse avec ses propres principes se condamne à mort.
Et la corruption ? Nous avons mis en place plusieurs structures et institutions pour lutter contre ce fléau et nous obtenons de bons résultats, si l’on en juge par les rapports des organismes internationaux qui notent les Etats dans ce domaine. Mais nous avons encore de gros efforts à faire pour être dans les normes acceptables et surtout pour gommer définitivement cette idée colportée par certaines presses, et qui est aussi ancrée dans les esprits de nombreux Ivoiriens, que notre pays est gangréné par la corruption.
Personne ne peut nier tous les progrès réalisés par notre pays en presque dix ans de gouvernance de M. Alassane Ouattara. L’on lui a reproché d’avoir mis l’accent beaucoup plus sur la macro-économie que sur la micro-économie. En d’autres termes, de n’avoir pas beaucoup fait du social. Pour ma part je pense qu’il faut faire de la macro avant de faire de la micro. Avant de pouvoir distribuer de l’électricité à tous les foyers, il faut bien construire des centrales thermiques, des barrages. Construire des routes, des ponts, des centres de santé, des écoles concourent aussi au social. En tout état de cause, le gouvernement a bien pris conscience de ces remarques et les années 2019 et 2020 ont été consacrées à se pencher sur le sort des plus démunis, avec la création des filets sociaux entre autres. Ces efforts doivent être poursuivis, avec dans le viseur, l’avènement d’un Ivoirien nouveau, d’un Ivoirien qui sortira de son apathie, qui aimera le travail, n’attendra pas que ce soit les autres qui fassent tout pour lui, tournera le dos à la tricherie, à la violence et à la corruption, respectera ses aînés et ses maîtres comme l’enseigne le confucianisme, cette philosophie qui a permis à l’Asie de se relever et de prendre le lead mondial aujourd’hui. Dans le christianisme il y a ce que l’on appelle « les dix commandements » qui sont des préceptes que l’on retrouve peu ou prou dans toutes nos sociétés et en forment le socle. Il s’agit pour nous de les enseigner à nos jeunes et moins jeunes, et de les appliquer afin de redresser notre nation. Aujourd’hui, très peu de nos chefs traditionnels ont de l’autorité sur les jeunes. Il en est de même pour les enseignants dont certains ont du mal à se faire respecter par leurs élèves. Nous devons mener une grande réflexion sur la manière de retrouver ces valeurs et de les inculquer à notre population. Le débat est lancé et nous ouvrons nos colonnes à toutes vos propositions et suggestions.
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