Guiglo-Tabou en Côte-d’Ivoire: Une route de 381 km de plus en plus fréquentable (reportage)

Saint-Tra Bi | Fratmat

L’axe Guiglo-San-Pedro, long de près de 400 km et traversant plusieurs villes importantes de la Côte d’Ivoire, représentait un immense espoir de développement dans les premières années de l’accession du pays à l’indépendance.

Un espoir partagé par son premier Président, Félix Houphouët-Boigny, qui soutiendra en 1962, au cours d’un voyage sur cette route internationale, qu’elle était le levier du désenclavement du port de San-Pedro. Car, cet axe constituait la voie par laquelle transiteraient toutes les marchandises en provenance du Mali, de la Guinée et du Liberia à destination du port de San-Pedro.

Considéré à juste titre comme le moteur du développement de toutes les villes qu’il traverse, l’axe Guiglo-San-Pedro n’a malheureusement pas confirmé, au fil des années, tous les espoirs qu’il avait suscités à sa création. Pire, sa fonction a été pervertie, et de vecteur de développement, cette route est devenue, en l’espace de quelques années, l’axe de la peur, l’axe du mal ou la route de la mort. Car dans un passé récent, cet axe fut tristement célèbre pour avoir été le refuge de grands bandits et autres coupeurs de route qui ont violenté des milliers de voyageurs et endeuillé de nombreuses familles.

À la fin de la crise post-électorale de 2011, des milliers de miliciens en déroute ont trouvé refuge dans les localités situées le long de cet axe, précisément de l’autre côté de la frontière ivoiro-libérienne. Plus de dix attaques ont été perpétrées contre les positions des forces de défense et de sécurité ivoiriennes en service dans les localités situées le long de cette route. Plus de 50 civils, miliciens et militaires y ont perdu la vie. Six casques bleus nigériens ont péri au Carrefour Sao, à 6 km de Para, dans la sous-préfecture de Djiroutou. Six ans après la dernière attaque survenue à Olodio, nous sommes retournés sur cette route.

Il est 17 h 30 lorsque nous quittons Guiglo, capitale de la région du Cavally, à bord d’un véhicule de type personnel, après avoir pris les provisions nécessaires à notre périple. Car qui veut aller loin, ménage sa monture. Notre voyage pour ce billet retour s’annonce long, voire périlleux au regard de la vieille réputation de cet axe. Mais la curiosité et le besoin de s’informer pour informer sont plus forts et transcendent l’inquiétude qui nous anime.

Guiglo, Zagné, Taï puis Para. En l’espace de trois heures de temps, nous parcourons des localités autrefois parcourues en deux ou trois fois plus de temps, en raison de l’état de dégradation très prononcée de la voie. Mais aujourd’hui, c’est une route reprofilée et nivelée, à la pratique agréable que nous empruntons.

Bordée de part et d’autre d’un paysage plaisant, fait de champs s’étendant à perte de vue et alternant, au fil des kilomètres, de champs de cacaoyers et d’hévéa, l’ancienne route de la peur se laisse découvrir avec joie au cours du trajet.

L’ambiance que nous découvrons dans les villages de Pona, Sakré et Ziriglo, attaqués lourdement par les assaillants venus du Liberia voisin après la crise post-électorale, contraste avec les images que nous avions prises il y a six ans… 18 personnes y avaient perdu la vie en septembre 2011. À Nigré, les stigmates des différentes attaques et affrontements intercommunautaires sont toujours visibles. Les impacts résistent toujours au temps.

À l’orée du village de Para, dans le campement de Sao-Carrefour, nous marquons une halte pour recueillir le sentiment des populations, neuf ans après le douloureux événement qui les a endeuillées. Six casques bleus nigériens de la mission de l’Onuci ont, en effet, perdu la vie dans cette bourgade en juin 2012, à l’occasion d’une attaque.

Ninsemon Eric, natif de Sao, se souvient encore de cet incident. « C’était vraiment chaud à l’époque, mais aujourd’hui, les gens ont oublié. La paix est revenue et les parents sont au travail », raconte-t-il.

Bakary Fomba, planteur d’hévéa d’origine burkinabè, révèle : « En 2012, c’était vraiment difficile. On a failli nous chasser de nos champs. Mais grâce à Dieu et aux chefs de village, les choses se sont calmées et on vit bien ensemble avec nos frères de Sao, relate-t-il. Après Para, nous traversons Djiroutou puis Néka avant d’atteindre Youkou avec toujours le même sentiment de sûreté dû à l’animation particulière que nous découvrons dans ces localités, malgré la nuit.

Après Youkou, nous arrivons à Grabo. Il est 21h30. À l’approche de cette ville, la variation du paysage n’a pas manqué d’attirer notre attention. Les vastes champs de cacao et d’hévéa ont cédé la place à d’interminables palmeraies et cocoteraies. Notre périple nous a ensuite conduit à la ville de Tabou et son poste frontalier de Prolo à la frontière ivoiro-libérienne.

Prolo, c’est une véritable ville carrefour, particulièrement animée en dépit de la fermeture officielle de la frontière, que nous découvrons. Des cargaisons de graines de palme et d’hévéa en provenance du Liberia transitent par cette localité pour être transformées dans les industries ivoiriennes. Prolo est aussi connue pour être la capitale du ‘’cane juice’’ ou ‘’tchin jousse’’.

Ce breuvage à base de jus de canne à sucre très apprécié est transporté en quantité importante dans des milliers de bidons par des femmes libériennes, dans des embarcations de fortune, qui viennent le vendre dans ce village. Ces dernières s’approvisionnent sur place en denrées diverses et rares sur les marchés libériens avant de regagner leur pays. Ces activités commerciales font de la ville frontalière de Prolo un immense centre commercial.

Dame Grâce James, originaire de la ville côtière d’Harper, dans le sud du Liberia, exerce le métier de commerçante transfrontalière depuis plus de quinze ans. Cette mère de trois enfants, âgée de 51 ans, s’approvisionne en denrées alimentaires de base et en ustensiles de cuisine à Prolo, et parfois à Tabou quand les affaires marchent (où ils reviennent moins chers), pour les revendre sur divers marchés au Liberia où tout manque.

Son commerce, nous dit-elle, a connu une croissance régulière depuis qu’elle a arrêté de faire de la contrebande, il y a quatre ans, pour s’établir en tant que commerçante régularisée. Mais la fermeture de la frontière à cause du Covid-19, l’a poussée à renouer avec cette pratique illégale. ‘’Il faut vivre. La Côte d’Ivoire est notre terre nourricière. Toutes mes commandes de ‘’tchin jousse’’ proviennent de la Côte d’Ivoire…’’, ajoute-t-elle sans plus de précision.

Lorsque nous franchissons l’entrée de la ville de Tabou, le compteur de notre véhicule, mis à zéro au départ de Guiglo, affiche 381 Km.

381 kilomètres, telle est la longueur de l’axe Guiglo-Tabou. Au terme de ce périple, on peut l’affirmer sans risque de se tromper que l’ancienne route de la peur est désormais devenue la route de l’espoir. Un espoir de vie qui se lit dans la vie, le quotidien et l’envie de vivre des populations.

Les populations et les usagers en appellent au gouvernement pour le bitumage de cet axe essentiel à l’essor des localités qu’il traverse, pour l’économie de la Côte d’Ivoire et pour l’intégration sous-régionale.

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Grabo, ville constamment attaquée entre 2011 et 2014

A Grabo, ville frontalière en proie à d’incessantes attaques entre 2011 et 2014, se dégage le même sentiment de bien-être et de sécurité. Nous passons la nuit sur place. Le lendemain, nous reprenons notre route dès 7 heures du matin.

À la vue des éléments des forces de sécurité, le sentiment que cet axe est bien sécurisé se renforce. Un sentiment qui contraste avec l’inquiétude suscitée en nous par la pléthore de barrages ou de checkpoints qui jalonnent ce trajet.

En matière sécuritaire, pourrait-on laisser entendre, il n’y a pas de mesures de trop. Mais la multiplication des barrages et les contrôles intempestifs entravent la fluidité routière et suscitent l’inquiétude chez les voyageurs.

Une bretelle au départ de Grabo débouche sur le poste frontalier de Faitai que nous avons également visité. Cette localité endeuillée en 2014 par l’assassinat d’éléments des Fds et de villageois, a fière allure. La vie y a bel et bien repris ses droits avec à la clé un poste frontalier flambant neuf, fait pour rassurer les populations

Par Saint-Tra Bi

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