Christophe Boisbouvier
En Côte d’Ivoire, deux ans après la chute de Laurent Gbagbo, les langues commencent à se délier sur le jeu politique des uns et des autres. Quel rôle a joué Guillaume Soro ? L’ancien Premier ministre a-t-il un destin national ? Alafé Wakili est le directeur du journal L’Intelligent d’Abidjan. Il publie chez L’Harmattan, Notre histoire avec Laurent Gbagbo. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Dans votre livre, on découvre de multiples facettes de l’ancien président ivoirien. A un moment, vous dites : « Quand j’ai vu le virage de Laurent Gbagbo en faveur de l’ivoirité, j’ai regretté le Gbagbo d’avant. »
Alafé Wakili : Oui, le Gbagbo d’avant, c’était l’homme de gauche, le socialiste qui combattait les injustices, qui avait dit : « Il est anormal que des Burkinabè ayant vécu ou qui sont nés en Côte d’Ivoire depuis longtemps, soient encore Burkinabè, ne soient pas devenus Ivoiriens. » C’était le Gbagbo d’avant. Et je l’ai regretté !
Et un jour à New York, vous croisez un Ivoirien qui vous dit : « Mais, Alafé Wakili, là…Ton nom…Ça vient de quel village ? »
Oui, avant qu’il soit bété, il est originaire de Côte d’Ivoire. Il est devenu Américain mais il n’a pas « américanisé » son nom. Il trouve anormal que je sois Ivoirien, alors que je m’appelle Alafé Wakili. Comme s’il y avait une typologie des noms pour être Ivoirien.
Et visiblement, tout au long de votre livre, on sent que l’ivoirité, c’est vraiment le cancer de la République ivoirienne
Oui, il y a une sorte de refus dirigé de la nation dans cette quête d’identité. Parce que cette quête d’identité ne s’arrête pas uniquement à la nation ivoirienne. Vous verrez que l’homme du Nord rejettera l’homme du Sud. Et l’homme du Centre rejettera l’homme de l’Ouest. Ce n’est pas forcément face à l’étranger, à l’homme de l’extérieur et à cette quête d’identité. C’est en cela que c’est un véritable poison, parce que l’ivoirité finit par devenir de l’ethnicité, de la « bétéité », et de la « dioulaité ». Et c’est un cancer qu’il faut éradiquer en Côte d’Ivoire !
En 2008, vous êtes jeté en prison, parce vous êtes soupçonné de ne pas être véritablement Ivoirien et d’avoir menti sur votre nationalité. Mais entre les lignes, on devine que ce n’est pas la vraie raison de votre arrestation, et que tout cela vient d’une rencontre ratée avec Simone Gbagbo. De quoi s’agit-il ?
Oui, quelques semaines avant mon arrestation, j’ai un entretien, une rencontre avec Simone Gbagbo, qui veut savoir d’où nous tirons nos informations relatives à une résidence qu’elle a dans sa ville natale.
En fait, vous avez fait une enquête sur le patrimoine d’un certain nombre de personnalités ivoiriennes ?
Tout à fait. De tous les bords. Et nous avons donné un chiffre précis concernant son patrimoine. Et ça l’a intrigué. Elle a voulu savoir qui était notre informateur. Nous avons dit que nous avions appris cela comme ça, par hasard, et qu’il n’y avait pas d’informateur, de manipulateur. Elle ne l’a pas cru. Par la suite, tout s’est emballé me concernant.
Tout au long de votre livre, on suit les méandres de la politique de Laurent Gbagbo, entre les durs et les modérés de son camp. L’une des erreurs de l’ex-chef de l’Etat ivoirien, dites-vous, c’est en 2007, quand il accepte de prendre Guillaume Soro comme Premier ministre. « Le boulanger n’est pas celui qu’on a cru », dites-vous…
Oui. Il a peut-être pensé pouvoir tirer toujours les cartes, ruser, gagner du temps, retarder l’élection, fatiguer Bédié, fatiguer Ouattara, qui auraient vieilli et qui n’auraient pas eu le même dynamisme que lui.
Ça c’était le calcul de Laurent Gbagbo ?
Oui, c’était le calcul. Et puis, fabriquer un nouveau leader, Guillaume Soro, au détriment des anciens leaders. Bédié, Ouattara vieillissant, Guillaume Soro étant du Nord. On a vu que cela n’a pas marché.
Est-ce qu’à la primature, Guillaume Soro était en mission commandée par Alassane Ouattara, pour endormir la méfiance de Laurent Gbagbo ?
Il y a un peu de ça. Et ce qu’il faut noter, c’est que Laurent Gbagbo n’a pas été tout à fait naïf sur la question, puisqu’il a fait une analyse simple, en se disant : même si Guillaume Soro serait un méchant (agissant pour) Alassane Ouattara, le fait qu’il travaille sous les ordres de Gbagbo et dise qu’il était bon président, faisait finalement que son soutien à Ouattara n’avait aucune valeur.
Ce calcul fonctionne jusqu’au lendemain du deuxième tour de la présidentielle de 2010, car à ce moment-là, Guillaume Soro bascule ouvertement dans le camp Ouattara. Mais vous dites que ce choix n’était pas aussi évident que cela. Pourquoi ?
Parce que lorsque le Conseil constitutionnel déclare Laurent Gbagbo vainqueur, des tractations et des pressions énormes sont faites en direction de Guillaume Soro, pour lui dire qu’il est le Premier ministre, il est l’arbitre. Il n’a pas à prendre position, à déménager à l’hôtel du Golfe, et entrer dans le gouvernement de Ouattara. Il ne va pas célébrer la victoire avec le vainqueur ! Après le match, il s’en va ! Or, il se trouve que Guillaume Soro a choisi le camp des vainqueurs, pour continuer de travailler avec lui.
Aujourd’hui à Abidjan, beaucoup disent que le jour où Alassane Ouattara quittera le pouvoir, deux personnalités sortiront peut-être du lot. C’est Guillaume Soro, justement, et le ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Ce n’est pas tout à fait faux. Mais il y a d’autres partis. Il y a le FPI (Front populaire ivoirien, parti de l’ex-président Gbagbo) qui se recompose, il y a le PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire) qui essaie de se trouver un leader après Bédié. Il est évident que dans l’après-Ouattara, au niveau du RDR, ces deux personnalités seront présentes. Mais d’ailleurs, ce ne sont pas les seules.
Est-ce qu’il n’y a pas de fait, dès aujourd’hui, une rivalité entre un camp Guillaume Soro et un camp Hamed Bakayoko ?
Une rivalité, peut être, des entourages, des partisans. Mais les deux semblent avoir un peu la tête sur les épaules. Ils sont assez réalistes pour dire que c’est inutile, prématuré, de faire ce combat, d’entretenir cette rivalité. Ils se sont rencontrés dernièrement pour faire des mises au point. Eux-mêmes sont conscients des ravages d’une rivalité, d’une guerre ouverte. Ils ont peut-être intérêt à s’entendre. On voit d’ailleurs aujourd’hui le PDCI et le RDR qui ne s’entendent pas, ce que cela produit ! Donc, si à l’intérieur même du RDR il y a des divisions de cette nature-là, il est clair qu’ils n’iront nulle part, les deux.
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