Condé et Ouattara, expulsion de Soro, renouvellement générationnel…Macron dit tout ! (interview)

« La France a une part d’Afrique en elle. Nos destins sont liés. »

Entretien du Président Emmanuel Macron avec Jeune Afrique

Benjamin Roger
Le président français Emmanuel Macron, le 16 novembre 2020 à l’Élysée. Image de la France, caricatures du Prophète, Sahel, franc CFA, Sahara, démocratie, colonisation, Ouattara, Condé, Kagame… Trois ans après le discours de Ouagadougou, le chef de l’État français s’est longuement confié à JA pour évoquer son bilan et les sujets brûlants de l’actualité.

La totalité de l’interview est à lire dans Jeune-Afrique

[…]

Morceaux choisis

Alpha Condé, Alassane Ouattara… Les modifications constitutionnelles permettant de lever le verrou du nombre de mandats des chefs d’État se multiplient. Que dites-vous à vos homologues qui ont recours à de telles modifications pour se maintenir au pouvoir ?

La France n’a pas à donner de leçons. Notre rôle, c’est d’en appeler à l’intérêt et à la force qu’a le modèle démocratique dans un continent de plus en plus jeune. L’Afrique a intérêt à construire les règles, les voies et les moyens pour avoir des rendez-vous démocratiques réguliers et transparents.

L’alternance permet la respiration. Elle est aussi le meilleur moyen de permettre l’inclusion dans la vie politique et de lutter contre la corruption, qui est le pendant d’une conservation trop longue du pouvoir. Ce ne sont pas des leçons, c’est du bon sens.

La situation est grave en Guinée, pour sa jeunesse, pour sa vitalité démocratique

Après, ce n’est pas à moi de dire : « La Constitution doit prévoir x ou y mandat ». Je rappelle que la France elle-même, jusqu’il y a douze ans, n’avait pas de limitation du nombre de mandats dans sa Constitution.

Mais il n’y a pas eu en France de changement des règles du jeu en cours de route pour se maintenir au pouvoir…

C’est exact. Pour revenir aux deux cas particuliers que vous évoquez, je vais vous dire ce que j’en pense en toute franchise. Je ne mets pas le cas de la Guinée et celui de la Côte d’Ivoire dans la même catégorie.

J’ai eu plusieurs fois des discussions avec le président Alpha Condé – des discussions très franches, y compris le 15 août 2019, quand il était en France. Le président Condé a une carrière d’opposant qui aurait justifié qu’il organise de lui-même une bonne alternance. Et d’évidence, il a organisé un référendum et un changement de la Constitution uniquement pour pouvoir garder le pouvoir. C’est pour ça que je ne lui ai pas encore adressé de lettre de félicitations. Je pense que la situation est grave en Guinée, pour sa jeunesse, pour sa vitalité démocratique et pour son avancée.

En quoi la récente réélection d’Alassane Ouattara à un troisième mandat, lui aussi grâce à un changement de la Constitution, serait différente ?

Le président Ouattara s’est clairement exprimé en mars pour dire qu’il ne ferait pas de troisième mandat. Je l’ai tout de suite salué. Un candidat avait été désigné pour lui succéder : le Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly. Mais à quelques semaines de l’échéance, il s’est retrouvé dans une situation exceptionnelle avec le décès de ce dernier. Je peux vous dire, de manière sincère, qu’il ne voulait pas se représenter pour un troisième mandat.

Je pense vraiment qu’Alassane Ouattara s’est présenté par devoir

Avez-vous essayé de l’en dissuader ?

Nous avons eu une discussion très franche en septembre, quand il est venu ici. Tout le monde a bien noté ce long déjeuner en tête-à-tête que nous avons eu. Je lui ai dit ce que je pensais et j’ai entendu ses arguments et son inquiétude pour la stabilité du pays. Il a considéré qu’il était de son devoir d’y aller et qu’il ne pouvait reporter l’élection.

Nous avons continué à avoir des discussions durant la campagne, puis au soir même du premier tour et plus récemment, le 14 novembre. Il est maintenant de sa responsabilité d’œuvrer pour la réconciliation, de faire les gestes, d’ici aux élections législatives, pour pacifier son pays. Il est parfaitement conscient des tensions actuelles qui ont causé la mort de plus de 80 personnes.

Il lui faut également réussir à se réconcilier avec les grandes figures de la politique ivoirienne. Les initiatives prises à l’égard d’Henri Konan Bédié sont, à cet égard, importantes, de même que les gestes à l’intention de Laurent Gbagbo. Mais il faudra quoiqu’il arrive favoriser un renouvellement générationnel.

La situation demeure tendue. Outre la reprise du dialogue avec Bédié et des gestes envers Laurent Gbagbo, que peut-il faire d’autre ?

Ce sont déjà deux points très importants. Il appartiendra ensuite au président Ouattara de définir les termes d’une vie politique pacifiée. Il devra sans doute faire des gestes d’ouverture dans la composition du prochain gouvernement ainsi qu’à l’égard des jeunes générations des partis politiques. Dans un pays où plus de 60 % de la population a moins de 35 ans, il serait bon que le prochain président ait moins de 70 ans…

Vous semble-t-il réceptif ?

Totalement. Il a lui-même hésité à introduire une limite d’âge dans la Constitution. Je vous le dis : je pense vraiment qu’il s’est présenté par devoir. Dans l’absolu, j’aurais préféré qu’il y ait une autre solution, mais il n’y en avait pas.

Nous ne souhaitons pas que Guillaume Soro mène des actions de déstabilisation depuis le sol français

Il y a un responsable politique ivoirien qui a moins de 70 ans et qui ne cache pas ses ambitions, c’est Guillaume Soro. Après l’annonce de la réélection de Ouattara, il a appelé, depuis la France, les forces armées ivoiriennes à le renverser…

Je crois qu’il n’est plus en France pour en parler. Il n’a pas à créer le désordre et sa présence n’est pas souhaitée, sur notre territoire, tant qu’il se comportera de cette manière.

Lui avez-vous demandé de quitter le pays ?

Pas moi directement, mais nous ne souhaitons pas qu’il mène des actions de déstabilisation depuis le sol français. Autant nous pouvons accueillir des combattants de la liberté et toute personne qui serait menacée chez elle, autant nous n’avons pas vocation à protéger des activistes qui cherchent à déstabiliser un pays.

Plus largement, quel regard portez-vous sur la vie de la démocratie en Afrique ?

Il y a un renouvellement dans tous les champs de la vie civile sur le continent : sport, culture, économie… Là où il y a un échec relatif du renouvellement des générations, c’est en politique.

Il faut rassurer les dirigeants en leur expliquant ce qu’ils deviendront quand ils ne seront plus au pouvoir

Est-ce une question d’âge ou de longévité au pouvoir ?

Il y a d’abord des habitudes qu’il faut changer. C’est pour ça qu’il faut des role models : l’Éthiopien Abiy Ahmed en est un, le Ghanéen Nana Akufo-Addo aussi. C’est important de montrer que l’on peut avoir moins de 65 ans et devenir président. Ou que l’on peut quitter le pouvoir sans problème, comme le Nigérien Mahamadou Issoufou.

Le point clé, derrière tout cela, c’est le statut des anciens présidents. L’un des chantiers que l’UA doit régler, c’est de rassurer les dirigeants en leur expliquant ce qu’ils deviendront quand ils ne seront plus au pouvoir. Beaucoup de ceux qui s’y attardent éprouvent au fond une espèce de peur panique à l’idée de ne plus pouvoir rester dans leur pays, de ne plus avoir de statut ou à l’idée qu’eux ou leur famille aient des ennuis judiciaires.

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