L’appel à manifester lancé par le Front national de défense de la Constitution (FNDC) pour protester contre « un hold-up électoral » fait craindre de nouvelles violences.
Par Christophe Châtelot | Lemonde.fr
En parcourant, dans la soirée du samedi 24 octobre à Conakry, les rues cahotantes du quartier de Kaloum, le centre historique et administratif de la capitale guinéenne, ou bien les deux corniches, tout aussi défoncées, longeant l’océan Atlantique, à Matam ou Matoto, on notait peu de signes révélant la victoire annoncée quelques heures plus tôt par la commission électorale nationale indépendante (CENI) d’Alpha Condé (82 ans) à un troisième mandat présidentiel. La joie électorale y est d’ordinaire exubérante.
Surtout là où la victoire du chef de l’Etat sortant n’était pas garantie, ou pas avec un tel écart. Quelques groupes de partisans, hommes, femmes et enfants vêtus du tee-shirt jaune de campagne, tapaient bien fort sur des casseroles ou des couvercles au rythme de sonos hurlantes. Bientôt rentrés chez eux, ils ont laissé le terrain aux forces de l’ordre postées dans une ville tétanisée, gagnée par un silence pesant.
En attendant la confirmation des résultats et le traitement des recours par la Cour constitutionnelle, la fin provisoire de cette meurtrière course électorale, entamée il y a un an, avec le début du processus de réforme constitutionnelle, ne met pas un terme à la partie. Loin d’un plébiscite, les 59,5 % des voix attribués à Alpha Condé par la CENI et la machine électorale du pouvoir dès le premier tour du scrutin dissimulent mal un paysage politique et institutionnel ravagé.
Au moment où la CENI annonçait ses résultats finaux à la Maison du peuple, placée sous très haute protection policière, Cellou Dalein Diallo, le principal challenger du président sortant, crédité de 33,5 % des voix, était d’ailleurs cloîtré chez lui. Les accès à son domicile sont totalement bloqués par des véhicules de la police et de la gendarmerie disposés là, en travers des rues, depuis le 20 octobre. La veille, le leader de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), particulièrement implantée au sein de la communauté peule, déjà battu à la présidentielle en 2010 et 2015, avait autoproclamé sa victoire à la présidentielle. Il expliquait ne pas vouloir attendre les résultats de ce qu’il décrit comme « un coup d’Etat constitutionnel et électoral ». Le siège de son parti a également été perquisitionné et placé sous scellés.
« Hold-up électoral »
Il y a en effet des résultats annoncés par la CENI qui reflètent un zèle civique suspicieux, susceptible d’entretenir la défiance qui existe depuis le début vis-à-vis du processus électoral. Ainsi la région de Haute-Guinée constitue depuis toujours l’un des fiefs d’Alpha Condé et de son parti, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG). Le 18 octobre, presque aucun électeur inscrit n’a manqué à l’appel. Le taux de participation annoncé par la CENI dans quatre des cinq circonscriptions de la région de Kankan oscille en effet entre 99 et 99,98 % (90 % pour la cinquième). Soit 20 points de plus que la moyenne nationale. Et, le jour du vote, quasiment pas d’électeurs malades, en voyage, abstentionnistes ou disparus depuis leur inscription sur les listes électorales. Le résultat – favorable à 95 % à Alpha Condé – n’est pas anecdotique. Presque un électeur guinéen sur quatre inscrits sur la liste nationale l’est dans cette région. Autant qu’à Conakry, ville acquise à l’opposition.
Au mois de mars, avant les législatives boycottées par l’opposition, les analystes de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) avaient relevé cette anomalie démographique en expertisant le fichier électoral. Ils avaient également noté que le nombre d’électeurs y avait quasiment doublé par rapport à la présidentielle de 2015. « Nous allons protester contre ce hold-up électoral, nous allons quand même saisir la Cour constitutionnelle, sans se faire aucune illusion », avertit le leader de l’opposition, décidé toutefois à poursuivre le combat dans la rue.
Empêcher « la violence »
Le Front national de défense de la Constitution (FNDC), large mouvement réunissant sociétés civiles, syndicats et partis d’opposition créé en 2019 pour s’opposer à ce qui n’était alors que la volonté prêtée à Alpha Condé de se présenter à un troisième mandat, appelle d’ailleurs à de nouvelles manifestations, dès lundi, au risque de nouvelles pertes humaines. Une cinquantaine de personnes ont en effet été tuées durant les mouvements de protestation préélectoraux.
Depuis le vote du 18 octobre, et l’autoproclamation, le lendemain, par Cellou Dalein Diallo de sa victoire, dix autres personnes ont été tuées, selon le ministère de la sécurité. Vingt-sept, selon le décompte de l’opposition.
Chacun se renvoie la responsabilité des violences et personne ne veut jeter l’éponge. Le premier ministre, Ibrahima Kassory Fofana, a ainsi envoyé, dimanche, à l’opposition, un message de fermeté jugeant « inacceptable » les violences et blocus de l’opposition relevés à Conakry et également dans leurs fiefs de province.
Alors que l’armée a été réquisitionnée et déployée pour maintenir l’ordre, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a appelé à une « solution pacifique » par le « dialogue » de la crise post-électorale, demandant aux principaux acteurs d’empêcher « la violence ». Le secrétaire général « exhorte également les leaders d’opinion et la presse à mettre un terme à tout discours incendiaire et appel à la dissension d’inspiration ethniciste ». Dans le même temps, des émissaires de l’ONU, de l’Union africaine et de la Cédéao sont arrivés dimanche en Guinée pour une « mission diplomatique préventive ».
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Christophe Châtelot (Conakry, envoyé spécial)
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