Bilan de Ouattara, 3e mandat, candidature de KKB… / Lacisse Abdou (cadre Pdci à Lyon)
Les grands travaux à coups d’emprunts exorbitants ne suffisent pas à justifier de la réussite d’une politique économique
KKB, trop ambitieux, bénéficiera de notre culture du pardon
Après un récent séjour dans son pays la Côte d’Ivoire, le professeur Lacisse Abdou, cadre du Pdci résidant à Lyon s’est confié à Connectionivoirienne. Il dresse un tableau peu reluisant de la gouvernance Ouattara et conteste le bilan que le président ivoirien brandit comme le meilleur de tous les temps. Notre interlocuteur n’occulte pas la question préoccupante du moment, le troisième mandat. Interview
Vous avez séjourné récemment à Abidjan et vous avez pu voir de près le climat politique de votre pays. Avec quelle idée et quel sentiment êtes-vous reparti en France ?
Au terme de mon séjour à Abidjan, j’ai le devoir de rendre compte de ma triste expérience sur le terrain sociopolitique et économique. Tous les entretiens et témoignages recueillis traduisent sans conteste le bilan d’une faillite intellectuelle et idéologique du régime RHDP. Mon séjour a été riche d’enseignements pour avoir cerné et saisi le contour de la politique exclusive mise en œuvre par le régime RDR (RHDP, aujourd’hui réduit à sa portion congrue).
J’ai eu la conviction que notre jeunesse n’est nullement dupe de ce qui se trame, cette obsession de vouloir conserver le pouvoir. Le peuple ivoirien, en particulier sa jeunesse est à même de comprendre ce que renferme un bilan politique. La promesse phare de devenir émergent est à mille lieues d’être réalisée. Les grands travaux engagés à coups d’emprunts exorbitants ne suffisent pas à justifier de la réussite d’une politique économique.
A ce propos, comment les ivoiriens, y compris l’opposition peuvent être jaloux d’une réussite si elle profite à la nation. Il ne suffit pas de clamer qu’un bilan est positif pour qu’il le soit. Un bilan résulte toujours d’une balance, respectant ainsi le principe de la partie double. Aujourd’hui, dans ce pays aux libertés confisquées et bafouées, notre jeunesse mal formée sans réelles perspectives ne manifeste pas, parce qu’elle ne le peut pas. La jeunesse étreinte par le chômage n’occupe pas les rues, parce qu’elle ne le peut pas. Les ivoiriens insatisfaits de leur condition ne battent pas le pavé pour exprimer un quelconque malaise, parce qu’ils ne le peuvent pas ! C’est tout cela aussi l’autre partie du bilan. Cette peur qui anesthésie les braves citoyens ne doit pas être occultée.
La corruption, à tous les niveaux gangrène, notre économie notre pays. La Côte d’Ivoire (malgré son statut de PPTE réduisant son ratio de la dette publique) se classe tristement 165ème en terme d’IDH (Indice de développement humain). Les taux de croissance à deux chiffres ou peut être le meilleur du monde, vantés toutes ces années durant, profitent à qui ? Et se traduisent comment dans notre économie ? La réalité est que nous enregistrons une croissance « appauvrissante », (du jamais vu dans une économie moderne). La répartition des pseudos richesses en Côte d’Ivoire demeure très inégalitaire. Et c’est en cela l’échec de la politique dite de rattrapage voulue par ses auteurs.
Le creusement des inégalités sociales est tel que, reconduire le pouvoir en place ne fera qu’accentuer la paupérisation de la grande majorité de la population et le chômage dans toutes les catégories. Cette économie qui plonge ses racines dans les profondeurs de l’injustice demeure inacceptable. Sans langue de bois : le peuple de Côte d’Ivoire ne veut pas de ce troisième mandat, cette chevauchée effrénée qui mène à l’échec. Les conseillers du président sortant et militants RDR doivent se résoudre à éclairer leur candidat. Le viol manifeste de nos lois fondamentales n’augure rien de bon pour notre jeune nation. Les perversions institutionnelles et procédurales par nos présidents sortants constituent un réel blocage de la démocratie.
Alassane Ouattara fonde son espoir sur le bilan de ses dix années de gestion et jure que le pays ne passera pas aux mains de ceux qui l’ont détruit. Que dites-vous de ce bilan dont vous avez dû apercevoir quelques pans lors de votre séjour ?
D’où vient cette prétention que la Côte d’Ivoire, sans Ouattara ne connaîtra plus jamais de belles réussites économiques et sociales. La Côte d’Ivoire vivra encore des milliers d’années et ça sera dommage de croire que notre pays ira à la décadence en n’assurant pas la pérennité d’un bilan qui nous paraît du reste discutable. Et s’arc-bouter sur ce bilan montre que notre président «économiste» « banquier » semble ignorer : La «théorie de la destruction créatrice» de Schumpeter : processus continuellement à l’œuvre dans les économies et qui voit se produire de façon simultanée la disparition de certaines activités économiques conjointement à la création de nouvelles. Notre cher président ne serait il pas mieux inspiré par le legs d’une démocratie à notre Côte-d’Ivoire. Cette action qui aurait été plébiscitée par la jeunesse ivoirienne et africaine le grandirait d’autant. La marche panafricaine à Paris du 19 septembre 2020 est bien la traduction du rejet des dictateurs qui s’obstinent à accaparer le pouvoir. Ces velléités sont permises par un conseil constitutionnel qui balbutie, bégaye, pour des raisons qu’on imagine, devant la clarté des textes qu’il est censé mieux connaître que quiconque. Ouattara se targue d’en être l’initiateur, l’auteur et donc de mieux connaître les contours de cette réforme institutionnelle. Reconnaissant ainsi sa volonté de nous abuser et de nous flouer. En réalité il y a dol. Encore mieux, pour nous éclairer, les grands travaux engagés à coups d’emprunts exorbitants ne suffisent pas à justifier de la réussite d’une politique économique. N’importe quel dirigeant, même le plus médiocre peut endosser la chasuble et le casque du conducteur de travaux. Les résultats en trompe l’œil (électrifications et adduction d’eau potable de quelques villages) dont on nous assène régulièrement, font il de l’individu, l’homme providentiel ?
Qu’en est-il des réalités comptables et financières ?
Votre parti le Pdci refuse de participer à l’élection présidentielle du 31 octobre si rien n’est fait pour changer les conditions de l’organisation, notamment la réforme complète de la CEI. Mieux, le président Bédié, en liaison avec l’opposition et des candidats recalés, a lancé un mot d’ordre de désobéissance civile. Comment appréciez-vous la démarche de votre parti ?
La réponse du président Bédié et de notre parti me paraît pertinente et mesurée face à une telle forfaiture. Il est bien heureux et naturel que toute la plateforme ainsi que les parties d’opposition emboîtent le pas. La désobéissance civile n’est pas le boycott de l’élection. Nous sommes responsables et devons graduer notre riposte pour montrer au monde entier que la fracture de notre société incombe à l’équipe sortante.
Pensez-vous que le PDCI qui partage en partie le bilan d’Alassane Ouattara est mieux placé pour mener aujourd’hui l’offensive au sein du front uni de l’opposition ?
Le PDCI a, bien entendu, l’expérience du pouvoir et a, plus que tous, veillé à l’unité du peuple. Le PDCI n’a-t-il pas été victime de ceux qui n’ont jamais voulu du jeu de l’alternance démocratique ? Le rapprochement, le partage de la première partie du mandat avec Ouattara est bien la preuve que notre préoccupation restait centrée sur le bien-être de nos concitoyens. Les promesses non tenues et l’égocentrisme de nos alliés d’alors ont fait voler en éclat, ce qui aurait pu conduire notre nation vers des réussites certaines et un avenir meilleur.
La candidature à un troisième mandat est plus qu’inutile et surtout confligène. Nous en avons vu les prémisses (les violences observée dans de nombreuses villes du pays). L’unique motivation des dirigeants actuels repose sur le refus de l’alternance qui serait salutaire pour l’instauration d’une démocratie. Sinon, pourquoi tant de débauche d’énergie pour interpréter, justifier l’inexplicable ?
Ce concept de compteur à Zéro (virginité de mandature) par l’avènement d’une nouvelle constitution, relève de l’artifice usé par tous les dictateurs africains qui rêvent d’endosser ce costume inélégant. Doit-on comprendre et accepter qu’une simple réécriture de la constitution autorise un troisième mandat ? La ficelle est trop grosse et constitue une insulte à l’intelligence de l’ivoirien. D’ailleurs cette pandémie du troisième mandat qui est l’apanage de notre continent devient insupportable et honteux !
Avec un KKB, transfuge du PDCI qui fonce sans sourciller dans sa légitimation de l’élection, avec un pouvoir sourd à tout appel à la discussion, avec une commission électorale plus que jamais déséquilibrée, une communauté internationale qui a du mal à imposer une voie aux acteurs politiques, comment tout cela va se terminer, selon vous, à la lumière de ce que vous avez pu voir et observer de près.
Le transfuge KKB qui, lui, semble être passé à l’ennemi n’est pas à son coup d’essai. C’est un garçon un peu trop ambitieux qui manque de lucidité. Sachez que nous, africains, sommes dans une culture du pardon. Alors viendra peut-être le temps où nous accueillerons tous ces oiseaux qui se sont fâchés contre l’arbre. Le père fondateur de notre nation, ne l’a t-il pas fait pour Laurent Gbagbo ? Pour revenir aux exigences et injonction du PDCI et de ses alliés, nous devons comprendre que c’est dans l’unique but d’éviter les conflits, le déchirement et la fracture dont le pouvoir actuel n’a cure et ne cesse de cultiver. Bien ! Qu’à cela ne tienne, la validation des candidatures par la CEI est effective. Le Conseil Constitutionnel n’a pu infirmer ce concept de compteur mis à zéro. La Cedeao et le Cadhp ne sont pas en reste, de par leur inertie ou par les décisions anachroniques ou peu coercitives. Le rejet de la candidature de certains sujets, fondé sur des motifs opaques est en violation délibérée de nos textes fondateurs. Ne sommes-nous pas en droit d’imaginer ce qu’un troisième mandat pourrait présager dans ce climat délétère volontairement créé pour se maintenir aux affaires ?
En tout état de cause, les ivoiriens n’accepteront pas «ce candidat qui après avoir consommé deux bières à Yopougon, n’en sera qu’à sa première bière à son retour à Cocody». De façon très illusoire, le décor est désormais planté pour une victoire projetée, gérée et bouclée dans le scénario d’un coup K.O (Tako Kélé), comme pour accentuer une fracture sociale savamment entretenue.
Et pour conclure ?
Pour conclure, n’est-on pas à présent, à même de constater que La Côte d’Ivoire va a vau-l’eau ? A vouloir asservir tout un pays, se l’approprier tel un bien personnel. Occuper une écrasante présence dans toutes nos institutions pour en assurer pleinement leur contrôle. Quel mépris au principe de la séparation des pouvoirs ! De toute évidence le peuple a été floué dans cette dernière constitution du 08 novembre 2016 qui s’apparente à un accord léonin. Le saupoudrage de quelques subsides, au cours des visites d’état dans nos régions corrobore l’absence d’une politique économique cohérente qui n’atténue en rien la forfaiture caractérisée.
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