Pauvreté du débat parlementaire français sur le fcfa

Le 9 septembre, la Commission des finances de l’Assemblée nationale française a évoqué le franc Cfa d’Afrique de l’Ouest et la réforme le concernant. Il s’agissait pour elle d’examiner «le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre le gouvernement de la République française et les gouvernements des Etats membres de l’Union monétaire ouest-africaine» et de donner un avis. La même commission avait auparavant auditionné, le 12 février, un représentant du Trésor français et un technicien de la Banque de France.

Il faut lire le compte-rendu de cette séance pour mesurer la pauvreté du débat mené au sein des instances démocratiques françaises sur cet enjeu monétaire crucial.

Plaidoyer pro-Cfa et silence sur les questions qui fâchent

On notera pour commencer que le député préalablement désigné «rapporteur pour avis» se livre à un bel exercice de plaidoyer pour le franc Cfa et sa réforme. Il suit ainsi la ligne du gouvernement français, avançant les habituels arguments fallacieux sur les bénéfices supposés du franc Cfa, le rôle «désintéressé» de la France, l’attachement des Africains à cette monnaie coloniale, etc. Nous avons déjà eu l’occasion d’analyser tous ces aspects.

Le rapporteur note que la réforme, décidée en décembre 2019, est intervenue «sur l’initiative, en particulier, du président de la Côte d’Ivoire – M. Ouattara – et du président de la République française». Ce qui confirme les présomptions de la plupart des observateurs – le discours officiel tendait jusque-là à laisser croire que l’initiative venait de tous les chefs d’Etat de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa).

En écoutant le député-rapporteur, on n’est guère rassuré à propos de la prétendue indépendance politique de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest Bceao. Selon lui, les agents de la Bceao, qu’il dit avoir rencontrés personnellement, seraient attachés à la parité fixe avec l’euro et à la «garantie française». Ils s’inquiéteraient par ailleurs du fait que «les banques françaises [soient] moins présentes proportionnellement en Afrique qu’elles ne l’étaient par le passé». Est-ce le rôle de la Bceao de se soucier du déclin des parts de marché des banques françaises en zone Uemoa ?

Certains des députés présents ont soulevé des préoccupations importantes : le détachement du franc Cfa de l’euro, le risque que la réforme du franc Cfa n’enterre le projet de monnaie unique pour les quinze pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), le fait que la coopération monétaire entre la France et l’Uemoa n’ait toujours pas permis à cette dernière de pouvoir fabriquer elle-même ses billets de banque et ses pièces de monnaie, le fait que cette coopération monétaire soit en elle-même un anachronisme qui entrave l’indépendance monétaire des pays africains, etc. Autant de questions qui n’ont pas eu de réponses.
De cette séance de travail de la Commission des finances, on retiendra plusieurs points.

Avenir incertain du franc Cfa à réformer

L’avenir du franc Cfa devant être rebaptisé eco est décidément incertain. «Il n’y a aucune date pour l’entrée en vigueur de la nouvelle monnaie» ; «Il y a une incertitude sur la date» ; «Le calendrier est sensiblement décalé – entre 2023 et 2025 selon certains, je ne saurais dire» ; «L’ap­probation de l’accord est le préalable à la diffusion de la nouvelle monnaie, pour laquelle aucune date précise n’a d’ailleurs été avancée», a expliqué le rapporteur.

Après avoir vendu à ceux qui voulaient bien les entendre l’idée que le franc Cfa est désormais une histoire passée, les autorités françaises font mine de découvrir que le processus pourrait (s’il arrive à son terme) être long, notamment parce qu’il faudra imprimer de nouveaux billets. Sur cet aspect, un député rappelle que «les banques centrales des zones franc Cfa sont les principaux clients de la Banque de France, hors zone euro, pour la fabrication de billets. Celle-ci représente, par exemple, plus de 50% de l’activité de l’imprimerie de Chamalières».

Des députés peu informés et peu compétents

Les députés français ne disposent pas des informations et compétences nécessaires pour saisir la totalité des enjeux entourant le franc Cfa. Un député semble même patauger totalement lorsqu’il demande : «A la suite de cet accord, le Tchad et le Niger n’auront plus la même monnaie, n’est-ce pas ? Le fait pour les pays du G5 Sahel d’avoir des monnaies différentes ne sera-t-il pas une source de complexité supplémentaire pour le fonctionnement de l’alliance ?» Le Tchad et le Niger utilisent déjà et depuis fort longtemps, chacun une monnaie différente, même si ces deux monnaies fonctionnent sur le même principe et ont le même acronyme Cfa.
Les députés présents n’ont pas relevé plusieurs erreurs du rapporteur. Ce dernier a par exemple soutenu que la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac) «utilise elle aussi un franc de la communauté financière africaine, le franc Cfa d’Afrique de l’Est». La référence à l’Afrique de l’Est au lieu de l’Afrique centrale est sans doute un lapsus. Toutefois, le rapporteur doit savoir que le franc Cfa en Afrique de l’Ouest se nomme «franc de la communauté financière africaine», tandis que le franc Cfa de l’Afrique centrale est le «franc de la coopération financière en Afrique centrale».

Les élus sont également restés passifs devant d’autres imprécisions et affirmations douteuses. «L’inflation est très faible dans cette zone, ce qui rend possibles les transactions», leur a-t-il été notamment expliqué. Ceci voudrait-il dire qu’il n’y a pas de transactions commerciales dans les pays africains où l’inflation est plus forte ?

Autre exemple : «L’existence d’une zone monétaire qui fédère ces pays […] leur permet d’avoir une activité commerciale.» Cela signifierait-il qu’il ne peut y avoir d’activité commerciale entre pays qui ne partagent pas la même monnaie ? La réponse est négative, bien entendu. S’il s’agit plutôt de souligner que le partage d’une même monnaie favorise le commerce intra-zone, le propos n’a pas davantage de validité, surtout en ce qui concerne les pays de la zone franc. Malgré 75 ans de partage d’une même monnaie, le commerce entre les six pays de la Cemac tourne en effet autour de seulement 5% de leur commerce extérieur.
Il a été en outre affirmé que la zone Uemoa ne présente pas de «singularité» car de nombreux pays africains auraient eux aussi opté pour un régime de change fixe. Un rapport récent du Fmi datant d’août 2020 montre pourtant que les quinze pays africains de la zone franc, le Cap-Vert et Sao Tomé et Principe sont les seuls pays africains dont le taux de change est fixe (conventional peg dans le langage du Fmi) et, qui plus est, avec l’euro. Autrement dit, pour rendre compte du choix d’un pays africain d’arrimer sa monnaie à l’euro, il faut regarder du côté du legs colonial plutôt que du côté de la logique économique stricto sensu.

Une réforme qui ne changera rien !

La réforme ne changera rien fondamentalement à la relation de domination monétaire qui existe entre la France et les pays qui utilisent le franc Cfa en Afrique de l’Ouest (on le savait déjà). Le rapporteur l’a fait remarquer : «Je le répète, l’essentiel est conservé du point de vue monétaire et économique.» Il a enchaîné pour préciser : «L’évolution est légitime, elle est demandée et n’est en rien cosmétique.» Comment affirmer une chose et son contraire en deux phrases…

Répétons-le : mettre fin à ce système de colonialisme monétaire qu’est le franc Cfa suppose l’abolition de l’accord de coopération monétaire entre la France et les pays de l’Uemoa (idem pour les pays de la Cemac), au lieu de son renouvellement.
Il faut bien comprendre que le seul argument censé «légitimer» l’ingérence française dans les affaires monétaires de ses anciennes colonies est son statut de «garant» financier. Or ce statut a toujours été putatif et le restera. Le rapporteur indique lui-même que la «garantie» française n’a pas été activée depuis 1994 (pour être plus précis, il faudrait dire qu’elle n’a pas été activée «au moins» depuis 1994, date de la dévaluation du franc Cfa, une mesure consécutive, justement, au refus de la France d’activer sa «garantie»). «La garantie offerte est donc certes très forte, mais elle n’est pas utilisée car, traditionnellement, la Bceao, installée à Dakar, est très prudente», ajoute-t-il (sans stipuler que la «prudence» de la Bceao est le résultat de règles très strictes imposées par le système Cfa). Pour rassurer ses pairs, le rapporteur continue en annonçant : «Le pari est fait qu’il en ira de même à l’avenir.»

Voilà qui est bien dit : un «garant» de long terme, qui ne garantit rien, qui ne prévoit pas d’honorer sa promesse dans le futur, mais qui pourtant insiste pour signer et faire signer une «convention de garantie» ! Et à ce raisonnement qui défie toute logique, est ajouté le supposé argument-massue selon lequel : «Croyez-moi, les pays de l’Uemoa sont très attachés à la garantie de la France.»

Conclusion : il est naïf de penser qu’un débat démocratique réel et informé sur la question du franc Cfa aura lieu dans un futur proche au sein du Parlement français. Les parlements des pays de l’Uemoa pourront-ils changer la donne ? Force est de constater qu’ils se sont jusqu’à présent complu dans le mutisme.

Fanny PIGEAUD
et Ndongo Samba SYLLA

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