FIGAROVOX/ENTRETIEN – Le coup d’État survenu au Mali le 18 août pourrait préfigurer une déstabilisation de l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, argumente Caroline Roussy, chercheuse à l’IRIS.
Caroline Roussy est chercheuse à l’IRIS (Institut des Relations Internationales et Stratégiques) et docteur en histoire de l’Afrique contemporaine.
FIGAROVOX. – Que sait-on du coup d’État militaire qui a conduit à la démission du président du Mali, Ibrahim Boubacar Keïta? Comment l’expliquer?
Par Aziliz Le Corre Le Figaro
Caroline ROUSSY. – Mardi 18 août au matin, ou en milieu de journée, il y a eu une mutinerie au camp de Kati, située à 15 kilomètres de Bamako. Cette mutinerie s’est transformée dans la journée en coup d’État avec l’arrestation dans la capitale du président Ibrahim Boubacar Keïta, du Premier ministre Boubou Cissé, et d’autres membres du gouvernement dont on ne connaît pas encore les noms. Les loyalistes, fidèles du président IBK ont sans aucun doute été écartés, comme le laisse entrevoir le déroulement de la journée. Cela laisse penser qu’il s’agit d’un coup d’État programmé comme l’affirme au demeurant des spécialistes ; les militaires n’ont pas agi sur un coup de tête.
À ce stade considérant l’instabilité de la situation, des hypothèses s’imposent. Personne, en dehors d’IBK, en fin de soirée sur la télévision publique ORTM, n’a pris la parole. Mais visiblement l’ensemble du mécontentement s’est fait entendre au moment des législatives, en mars, à la suite de l’enlèvement du chef de file de l’opposition, Soumaila Cissé, doublé d’indices plus que sérieux de trafic des élections. L’imam Dicko, devenu à son tour leader de l’opposition, a déclaré sans ambages: «après le blanchiment d’argent nous avons assisté au blanchiment des voix». C’est un pays qui s’est enfoncé dans la crise. À partir du 5 juin, les militants de trois associations qui ont fusionné dans le Mouvement du 5 juin ont réitéré leur appel à la démission du président IBK et les manifestations se sont multipliées. Toutes les tentatives de négociation ont avorté. Le 10 juillet, la troisième grande manifestation contre le pouvoir a dégénéré en trois jours de troubles meurtriers à Bamako, qui avaient abouti à la mort de 11 personnes, selon le premier ministre Boubou Cissé. Une division de la Mission des Nations unies dans le pays (Minusma) parle quant à elle de 14 manifestants tués, quand le M5 évoque 23 morts et des centaines de blessés. Le rapport d’Amnesty International est à ce titre édifiant et nécessite une enquête.
Si on retrace la chronologie des évènements, on constate qu’il n’y a pas eu d’essoufflement des manifestations (la trêve de la Tabaski n’a pas démobilisé les gens), mais au contraire un emballement de la violence viciant les capacités de négociations entre les différentes parties. Certains étaient prêts à en découdre.
Est-ce comparable au coup d’Etat perpétré en 2012?
Huit ans plus tôt, la même base militaire était déjà le point de départ du coup d’État qui avait provoqué la chute du président Amadou Toumani Touré et le contrôle de la région nord par des groupes djihadistes. Le 21 mars 2012, des soldats s’étaient mutinés dans ce camp pour protester contre l’inaptitude du gouvernement à gérer l’offensive touareg dans le nord du pays et la présence djihadiste dans les pays limitrophes.
Lors du coup d’Etat de 2012, les mutins avaient écarté le président du pouvoir, précipitant la chute du nord du Mali aux mains de groupes islamistes armés.
Les mutins avaient alors écarté le président du pouvoir, précipitant la chute du nord du Mali aux mains de groupes islamistes armés. Ces derniers avaient ensuite occupé la région pendant neuf mois avant d’être endigués par une intervention militaire internationale lancée par la France en janvier 2013: l’opération Serval, remplacée en 2014 par l’opération Barkhane, dont les actions se poursuivent aujourd’hui encore. Ibrahim Boubacar Keïta, lui, avait été élu en septembre 2013.
Même si une fois encore la mutinerie est partie de Kati, le contexte sociopolitique n’est pas le même. On a une présence militaire française depuis 2013, un État qui n’a quasiment plus de pouvoir au nord et au centre du pays, avec une coagulation des mécontentements: l’absence d’éducation des enfants et leur déscolarisation dans certains endroits du pays ; la manifestation du corps enseignant en raison de salaires trop faibles ; les besoins sociaux de bases qui ne sont pas assurés ; les accords d’Alger qui ne sont pas suivis à la lettre. Et la situation sécuritaire est loin de s’être améliorée, comme le montre la conjoncture dans les pays voisins, au Burkina Faso et au Niger, témoignant d’une expansion de la menace par-delà les frontières de l’État du Mali, épicentre de la crise.
Comment expliquer l’instabilité institutionnelle du Mali?
Les citoyens maliens n’ont plus confiance en leurs politiques et en leur capacité à les représenter. Au fil des années, un fossé s’est creusé entre les populations et les responsables politiques, en déphasage avec les attentes de la jeunesse, qui numériquement est plus nombreuse dans le pays.
Les élections législatives ont selon toute vraisemblance été truquées
D’ailleurs ces politiques sont-ils vraiment les représentants des Maliens, dans la mesure où les élections législatives ont selon toute vraisemblance été truquées? Certaines populations n’ont d’ailleurs jamais eu accès aux bureaux de vote, notamment dans les zones échappant au contrôle de l’État. La question de la représentativité se pose.
La corruption et la mal gouvernance sont très difficiles à vivre pour des pays en situation de pauvreté. La Mali fait partie des 10 pays les plus pauvres du monde, il est évidemment insupportable pour les populations de voir que certains profitent de la corruption pour vivre dans l’opulence.
Le Mali est l’épicentre du la crise au Sahel dans sa définition géopolitique englobant les pays du G5. La crise a commencé en 2013 avec le déploiement de l’opération Serval. Le Mali souffre entre autre d’avoir été un territoire d’exploitation créé durant la colonisation qui n’avait pas vocation à devenir un État-nation, même s’il y a eu des réappropriations à différents niveaux. Dans ce contexte, la capacité à faire nation s’avère problématique.
Emmanuel Macron «condamne la mutinerie, source d’instabilité et opportunité pour les groupes djihadistes». Ce coup d’État risque-t-il de compromettre encore davantage l’équilibre de la région, ou au contraire mènera-t-il à «une transition politique civile conduisant à des élections», comme l’ont affirmé les militaires maliens?
Il est normal que le président Macron condamne cette action afin de ne pas créer les conditions d’une jurisprudence dans un contexte régional fragile. Les différentes options mises sur la table restent envisageables. Il y a un risque avéré de déstabilisation. Il y a le risque que ces évènements se répandent dans d’autres pays. On peut craindre un soulèvement contre des présidents qui ne respectent pas la Constitution, en Côte d’Ivoire ou en Guinée, où l’alibi de révisions constitutionnelles semble annihiler les mandats précédents. Certains craignent aussi que cette période de confusion profite aux djihadistes.
On peut craindre un soulèvement contre des présidents qui ne respectent pas la Constitution, en Côte d’Ivoire ou en Guinée.
Est-ce que cette transition proposée par les militaires, qui en ont appelé à Barkhane et à la Minusma et qui propose ce gouvernement de transition civile, ne va pas apaiser les tensions? Est-ce que le M5 va se reconnaître dans cette proposition? On peut l’espérer!
Même s’il faut condamner un coup d’État contre un président de la République, il faut désormais regarder comment les différents acteurs vont se positionner. L’action politique se poursuit nonobstant les obstacles. Reste à savoir quelles stratégies seront retenues.
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