« Personne n’a vécu dans le passé, personne ne vivra dans le futur ; le présent est le mode de toute vie » (Arthur Schopenhauer)
Hier 6 août 2020, Alassane Ouattara a prononcé la traditionnelle allocution du Chef de l’Etat à la veille de la fête de l’indépendance et, la nouvelle tant redoutée par tous les démocrates du monde entier est tombée. Il est candidat à un 3e mandat. Les raisons évoquées pour justifier ce recul démocratique nous semblent quelque peu faibles et nous nous en expliquons à l’aide de commentaires affectés à chacune d’elles.
– « La constitution me permet de faire un autre mandat ».
Mon commentaire :
En démocratie, il n’y a pas de 3e mandat. Ceci est un acquis planétaire. Aucune contorsion intellectuelle ni aucune prestidigitation juridique ne peut permettre de justifier cela parce que cela contrevient à l’esprit de la loi qui est à la limitation du mandat présidentiel à deux. Alassane Ouattara, par cette décision de se représenter pour un 3e mandat, se donne l’image d’un homme fort. Le timbre de sa voix et sa mimique pendant l’allocution allaient dans ce sens. Il s’impose aux ivoiriens par sa seule volonté de rester au pouvoir et quitte les voies de la démocratie pour rejoindre la liste très longue des présidents africains qu’on ne cite en exemple que dans le non-respect de la démocratie.
– « Les récents événements tragiques : le décès du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly laisse un vide au niveau de l’équipe que j’avais mise en place pour poursuivre et consolider le programme de développement économique et social pour lequel vous m’avez fait confiance » ;
Mon commentaire :
Gon Coulibaly, le chef d’équipe, est décédé alors qu’il était le candidat désigné. Donc, quand le chef d’équipe n’est plus là, il n’y a plus d’équipe, l’équipe disparaît littéralement au point qu’elle est incapable de susciter en son sein un de ses membres pour prendre la place du chef tombé au combat ? Alassane Ouattara est en train de nous dire, dans l’implicite de son message, qu’Amadou Gon Coulibaly était le seul capable, dans son entourage, de protéger ses intérêts et ceux de son clan. En dehors de Gon Coulibaly, point de salut. Qu’y a-t-il de si important à préserver ou protéger au point que sans Amadou Gon et Amadou Gon Coulibaly, personne d’autre n’en est capable. Quels sont les intérêts en jeu pour Alassane Ouattara et ses amis ? Que craint-il pour lui et ses amis ? Houphouët-Boigny est mort en 1993. Henri Konan Bédié lui a succédé et, depuis lors, la Côte d’Ivoire a toujours eu des ministres du plan, de l’économie et des finances pour poursuivre, avec l’aide de ses partenaires, son programme de développement économique et social qui ne s’est pas arrêté le 7 décembre 1993. Nous pensons plutôt que le meilleur moyen de se protéger soi-même contre tout coup de l’histoire ne peut être que soi-même.
– « Le calendrier très serré, à peine trois mois avant l’élection présidentielle » ;
Mon commentaire :
Alassane Ouattara exprime-là sa peur de voir le RHDP qui a perdu ses pieds et est redevenu RDR dans les faits perdre lamentablement l’élection présidentielle d’octobre 2020. Quid alors d’Ahmed Bakayoko et des autres ? Leur popularité ne serait-elle que du vent ? Leur CV les rend-il si illégitimes et indignes de la magistrature suprême ? N’ont-ils aucune épaisseur politique ? Ne sont-ils pas capables de penser un projet de développement ambitieux pour la Côte d’Ivoire ? N’ont-ils pas autour d’eux des cadres compétents et des conseillers susceptibles de légitimer leur capacité à gérer un pays et des dossiers d’Etat ? Aux Etats-Unis où le président Ouattara a eu son doctorat, le projet présidentiel est porté par un visage mais c’est l’équipe qui fait le président avec des conseillers en communication puissants et non l’inverse, sinon Donald Trump, avec sa personnalité iconoclaste par rapport à certains acquis américains dans le monde comme en interne, ne serait jamais devenu président de ce puissant pays.
– « Les défis auxquels nous sommes confrontés pour le maintien de la paix, la sécurité nationale et sous-régionale » ;
Mon commentaire :
A part le candidat Alassane Ouattara, la Côte d’Ivoire est si dépourvue en hommes capables de relever les défis sécuritaires qui se posent à elle qu’il faut nécessairement qu’il soit encore candidat et président pour une troisième fois consécutive ? Sans lui comme président, le ciel nous tombera-t-il sur la tête ? Donc le ministre de la défense ne s’est pas montré à la hauteur de la tâche au point qu’il ne peut être adoubé par son parti pour être son candidat à l’élection présidentielle à venir ? Et tous les autres qui entretiennent la ferveur militante au RHDP, du menu fretin ? Pourquoi Gon a-t-il été le seul préparé au point que, lui parti, tout s’écroule comme un château de cartes et que le Président soit obligé de se dédire devant le monde entier. A qui la faute quand aucun des autres fils d’un chef d’entreprise, à part l’ainé qui malheureusement est mort, ne peut prendre la succession de son empire économique ?
– « La nécessité de juguler la crise sanitaire ».
Mon commentaire :
Cela voudrait-il dire que le Premier ministre et le ministre de la santé ne sont pas capables de gérer la crise sanitaire sans l’autorité d’Alassane Ouattara ? Cela voudrait-il dire aussi que, sans le président actuel, il sera difficile de venir à bout du covid-19 ? Il s’agit d’une crise sanitaire mondiale dont le président n’est pas responsable. Elle est tombée sur nous sans qu’on s’y attende et jusque-là le monde peine à la juguler. Si Alassane Ouattara n’est plus là, nous pensons, en toute honnêteté que quelqu’un d’autre dans son entourage ou dans l’opposition peut valablement reprendre le flambeau du combat contre cette pandémie. Nul n’est irremplaçable même si chacun est important. Seuls sont irremplaçables Mahomet, Jésus et le Bouddha pour ne citer que ceux-là parce qu’ils sont au-delà de l’humanité. Pour le moment, on n’a pas encore trouvé d’homme semblable en sainteté à eux. Les compétences en Côte d’Ivoire pour venir à bout des défis qui se présentent à elle existent et elles existeront toujours, à moins qu’on nous dise que notre société est incapable de produire la moindre compétence et que tous ceux qui sont ministres ou à la tête des structures de l’Etat n’ont pas les compétences requises pour aider la Côte d’Ivoire à poursuivre son développement. Félix Houphouët-Boigny était simplement médecin et non économiste. Mais quel génie politique de premier jamais égalé jusque-là n’a-t-il pas été si bien que c’est à l’ombre de son image que certains se font une place politique au soleil ?
– « Le risque que tous les acquis après tant d’efforts et de sacrifices consentis par toute la population soient compromis ».
Mon commentaire :
Sans Alassane Ouattara à la présidence de la République, tout risque de s’écrouler en Côte d’Ivoire ? Cela voudrait-il dire que quand Félix-Houphouët-Boigny a disparu, la Côte d’Ivoire s’est totalement effondrée ? Non, bien au contraire. Il y a eu des gens comme Henri Konan Bédié, lui-même Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo, un homme de gauche, pour poursuivre son œuvre en faveur d’une Côte d’Ivoire encore plus rayonnante. A contrario, voudrait-on nous parler des acquis d’un clan et qu’on voudrait protéger ? La rhétorique du clan assiégé développée ces jours-ci par certains cadres du RHDP trouve-là un défenseur. Nous n’osons pas croire qu’Alassane Ouattara tombera dans ce piège du népotisme.
– « Le risque que notre pays recule dans bien des domaines ».
Mon commentaire :
Ah bon, sans le coup d’Etat de 1999 et la rébellion armée, que serait et où serait la Côte d’Ivoire aujourd’hui ? Si recul il y a eu, c’est l’œuvre de ceux qui ont inspiré et financé le coup d’Etat et la rébellion armée qu’on ignore toujours. Soro Guillaume a aujourd’hui du regret pour avoir participé à cette entreprise de sabotage et ne cesse de demander pardon aux ivoiriens. Il cherche toutes les voies possibles pour se racheter de son erreur tout comme le président Bédié voudrait se racheter auprès des ivoiriens en fermant une parenthèse que la Côte d’Ivoire n’aurait jamais dû ouvrir, une parenthèse qu’il avait contribué lui-même à entretenir. Sans Alassane Ouattara, la Côte d’Ivoire a existé. Henri Konan Bédié était ministre de l’économie et des finances de 1968 à 1977 quand la Côte d’Ivoire avait le même PIB que la Corée du Sud. Bédié est un acteur-clé du miracle économique ivoirien. Depuis qu’Alassane Ouattara est président, le PIB de la Côte d’Ivoire a-t-il atteint le niveau de la Corée du Sud comme pendant la période de 1968 à 1977 où les deux pays étaient au même niveau ? Il y a certes eu croissance économique et des avancées importantes qu’il ne faut pas négliger. Loin de là. Mais il n’y a pas eu de miracle véritable comme dans la période indiquée où la Côte d’Ivoire avait de réelles chances de devenir un pays assez développé n’eût été la crise des matières premières. Avant Alassane Ouattara président, la Côte d’Ivoire a existé. La Côte d’Ivoire existera aussi après Alassane Ouattara. Nous lui savons gré pour le travail abattu pour les ponts bâtis, pour les routes réalisées même si certaines routes se dégradent souvent trois ou six mois après leur livraison à la circulation, endettant davantage les ménages ivoiriens. D’autres Grands viendront après lui et pourraient se servir de ses acquis. La vie d’un Etat est faite de moments de développement fulgurant, de doutes, de stagnations, de reculs qui préparent des développements encore plus importants. On n’inventera rien de nouveau. « Ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera, il n’y a rien de nouveau sous le soleil » (Ecclésiaste 1, verset 9).
– « (Je suis) face à un cas de force majeure et, par devoir citoyen, j’ai décidé de répondre favorablement à l’appel de mes concitoyens me demandant d’être candidat à l’élection présidentielle du 31 octobre 2020 ».
Mon commentaire :
Le cas de force majeure évoqué ne concerne que le seul RHDP. Il ne concerne pas la nation dans son entièreté. Les concitoyens sont plutôt les seuls militants du RHDP. Il y a, dans le propos, de l’emphase qui est un habillage. Mais l’hyperbole répond au besoin de la cause et on se comprend.
– « Par cette décision, je veux prendre le temps d’achever de préparer la relève ».
Mon commentaire :
C’est un aveu d’échec personnel. Cela voudrait dire qu’à part Gon Coulibaly, personne n’a été préparé à la gestion d’un Etat au RHDP. Un ministre est-il incapable de devenir président de la République ? Tous auraient-ils été écrasés par une hyper-présidence qui les a rendus incapables de maîtriser les rouages de l’Etat ? Ce qu’il n’a pas pu réaliser en 9 ans de gouvernance, comment le Président pourrait-il le réaliser en 5 autres années ? Avec la paresse dont fait preuve son entourage pour apprendre à ses côtés les subtilités de la gestion d’un Etat, comment pourrait-il réussir ?
– « J’entends renforcer les actions de rassemblement et de réconciliation de tous nos compatriotes ».
Mon commentaire :
N’a-t-on pas dit, à grand renfort de publicité, que la réconciliation était un processus achevé et réussi et que les ivoiriens se crachaient dans la bouche ? Donc, l’opposition a raison de dire que le processus de réconciliation est un échec et que tout doit être repris. Comment peut-on rassembler les ivoiriens pendant qu’on pousse certains à l’exil ou qu’on empêche d’autres de rentrer en usant d’arguties ? Faisons un peu de vocabulaire : on ne renforce que ce qui est branlant, ce qui n’est pas suffisamment solide, ce qui est faible, ce qui n’est pas ferme.
EN CONCLUSION,
nous estimons que la rhétorique du Président pour justifier sa candidature nous semble peu convaincante. Cette candidature n’aurait pas dû être annoncée ce jeudi 6 août lors d’une allocution télévisée à la nation. Cela contrevient à l’esprit républicain. Elle aurait dû être faite devant les militants du RHDP réunis en assemblée. On comprend pourquoi des écrans géants ont inondé la ville d’Abidjan pour leur permettre de suivre cette allocution comme s’ils étaient réunis dans une salle. La pirouette est maladroite. Par ailleurs, les 40 jours de deuil donnés par l’islam semblent avoir été violés : le Président avait dit observé le deuil de son « fils » Amadou Gon. Ce qu’il a annoncé ce 6 août pouvait bien être annoncé lors du conclave du RHDP à l’hôtel Ivoire que cela n’aurait rien changé d’autant plus que, dans chacun des cas, les 40 jours de deuil n’ont pas été observés.
La rhétorique utilisée lors de l’allocution télévisée par le Président Ouattara met en avant une image de soi surdimensionnée jamais présentée auparavant et qui risque plus de faire peur que de rassembler. Cette image écrase symboliquement partenaires et adversaires et se rapproche des exemples historiques de Pharaon et de certains rois français dont le célèbre Louis XIV. Le Président gagnerait à adoucir cette image terrifiante en l’habillant d’un peu plus d’humanité parce que l’on a toujours peur des dieux tout-puissants et des hommes de poigne qui écrasent tout sur leur passage. « Après moi, c’est le vent. Je trône dans le firmament et nul ne saurait m’égaler. Inclinez-vous devant ma face terrible. Je suis le distributeur de châtiments et de grâces. Je suis Dieu ». Ces paroles sorties de la bouche d’un dieu ne doivent jamais être humaines sinon les démons du despotisme risquent de prendre sous leur autorité l’âme et l’esprit du concerné et l’utiliser pour accomplir leur entreprise de destruction des fondements de la démocratie. Ainsi a été perdu Néron resté tristement célèbre depuis des siècles.
Pascal FOBAH EBLIN
Analyste politique
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