Cet article a été publié ke 6 août bien avant l’annonce faite par Alassane Ouattara de se représenter à la présidentielle d’octobre prochain.
Solitude
par Pascal Airault in lopinion.fr
Reclus dans sa tour d’ivoire , Alassane Ouattara s ’apprête à livrer le combat de trop
Un mois après le décès de son dauphin désigné, le président ivoirien s’adressera le 6 août à la nation. Sa candidature à un troisième mandat porterait les germes d’une nouvelle crise socio-politique.
Les faits — Le parti au pouvoir en Côte d’Ivoire, le RHDP , a officiellement désigné comme candidat le président Alassane Ouattara pour un troisième mandat. Dans un discours à la nation, le 6 août, la veille de la fête nationale de l’indépendance, le président ivoirien pourrait annoncer qu’il répond favorablement à cet appel alors que se profile la présidentielle du 31 octobre où 7,6 millions d’Ivoiriens (dont 900 000 nouveaux électeurs) sont attendus aux urnes.
Insoutenable pesanteur de la solitude. Homme meurtri dans sa chair, Alassane Ouattara s’apprête à s’engager dans une nouvelle bataille politique après dix ans au pouvoir. Pour nombre d’analystes et de proches, le chef de l’Etat a perdu sa lucidité. Des amis de trente ans comme Marcel Amon-Tanoh, ex-directeur de cabinet puis ministre des Affaires étrangères, l’ont quitté récemment alors qu’il se replie sur un cercle de fidèles caciques originaires du nord de la Côte d’Ivoire.
« Ouattara se sent responsable de la mort d’Amadou Gon Coulibaly, autre ami de trente ans qu’il avait choisi comme dauphin alors que la plupart lui recommandait d’épargner physiquement l’ancien Premier ministre, sujet à de récurrents problèmes cardiaques », explique un de ses visiteurs réguliers.
Dès le lendemain du décès de Coulibaly , Alassane Ouattara, 78 ans, a imaginé reprendre le combat, faute d’avoir prévu un autre dauphin. Le temps du deuil, il s’est accordé un délai de réflexion. Mais son parti et le clan familial le poussent à rempiler.
Dans leur for intérieur, plusieurs caciques du RHDP espéraient être choisis. Redoutant davantage de perdre leurs positions politico-économiques, ils préférèrent reconduire Ouattara. «On avait fini par accepter la candidature de Gon Coulibaly
dont on louait la compétence, mais on ne remplace pas facilement Lionel Messi, ose en parlant de Ouattara l’un des cadres du parti. Nous ne sommes pas prêts à nous engager derrière un nouveau dauphin. »
Entre les partisans d’Amadou Gon Coulibaly , d’Hamed Bakayoko, nouveau Premier ministre, d’Adama Bictogo, directeur exécutif du RHDP, et ceux qui ont lâché Guillaume Soro, l’ex-président du parlement, les clivages sont aussi importants que la soif de pouvoir.
« Il doit ouvrir un dialogue avec l’opposition et la société civile pour reporter l’élection et mettre en place un groupe de travail pour préparer les conditions d’un scrutin inclusif et transparent »
Verrouillage sécuritaire.
Ado, comme l’appellent ses fidèles, ne leur fait pas une confiance absolue. Il aurait pu choisir Hamed Bakayoko, mais il a l’intime conviction qu’une fois élu, ce dernier ne sera plus contrôlable. « Pétri de talents, Bakayoko possède une intelligence de la rue et travaille dur politiquement, mais il a pris des risques en matière de mœurs, ajoute le visiteur. C’est un peu le Dominique Strauss-Kahn ivoirien même si ces communicants cherchent à ripoliner son image d’homme d’Etat. »
Hambak, comme on le surnomme, jouera un rôle éminent dans la campagne : celui de l’animation politique, de l’achat des consciences et surtout du verrouillage sécuritaire. Il a gardé le portefeuille de la Défense après avoir géré la Sécurité
intérieure. Il pense contrôler la jeunesse, particulièrement à Abidjan où les opposants et les activistes chercheront à embraser la rue.
Alassane Ouattara a de l’estime pour le secrétaire général du gouvernement, Patrick Achi. Mais c’est un transfuge du PDCI (opposition) et un enfant du sud. Ouattara préfère qu’il continue à gérer les dossiers économiques avec son frère, Birahima Ouattara. Le technocrate Tiémoko Meyliet Koné, gouverneur de la Banque centrale ouest-africaine, un temps pressenti, est jugé trop tendre. De peur de perdre les marchés octroyés par la présidence, les amis français et africains d’Ado ne cherchent pas à le dissuader de partir en campagne d’autant que le Président les soumet régulièrement au serment de fidélité renouvelée. Parmi ses pairs, le président nigérien Issoufou, lui a dispensé de sages conseils.
D’autres personnalités très discrètes — George Soros, le milliardaire à la tête de d’Open Society Initiative, des dirigeants de la F ondation Kofi Annan, Mo Ibrahim, le patron de fondation éponyme qui consacre son énergie à promouvoir la bonne
gouvernance — tentent de tirer Ouattara d’un mauvais pas pouvant se transformer en tragédie.
« Ouattara va devoir réprimer massivement et risque de finir dans le costume d’Idi Amin Dada »
Entonnoir
«Ado s’est mis volontairement dans l’entonnoir, explique l’un d’eux. Ses alliés d’hier l’ont quitté car il leur a laissé entendre qu’ils pourraient lui succéder. On ne peut le dissuader de se lancer dans la bataille, mais on a été très clairs sur les risques qu’il encoure, de quoi saper son héritage de bâtisseur et le redressement économique du pays. Il doit ouvrir un dialogue avec l’opposition et la société civile pour reporter l’élection et mettre en place un groupe de travail pour
préparer les conditions d’un scrutin inclusif et transparent. »
Ces personnalités lui ont suggéré d’appeler à la mobilisation nationale. Justification : la crise sanitaire et économique, le regain de tensions sécuritaires au nord.
Pour décrisper l’atmosphère, elles lui conseillent de libérer et gracier les détenus d’opinion, de permettre le retour des exilés politiques comme Laurent Gbagbo, qui a demandé à rentrer.
Les germes d’un nouveau conflit socio-politique sont perceptibles pour ceux qui prennent le temps d’écouter le cœur battant du pays. Les bons résultats économiques n’ont pas fait disparaître les fractures identitaires. La politique de réconciliation n’a pas abouti. Dans l’intimité des foyers, on dénonce l’affairisme d’une caste de privilégiés. Les opposants vont souffler sur ces braises même si les derniers venus sont difficilement crédibles après avoir participé à la cène. Guillaume Soro, présenté en héritier en 2011, a quitté Ouattara en 2019 et se trouve en exil à Paris, accusé d’avoir préparé une insurrection.
Fin 2018, l’ex-président Henri Konan Bédié a aussi rompu l’alliance gouvernementale. Il espérait qu’Ado appelle à voter pour lui après l’avoir soutenu pour sa réélection en 2015. Daniel Kablan Duncan, autre ami de quarante ans du
chef de l’Etat, qui faisait aussi figure de potentiel dauphin, a démissionné récemment de la vice-présidence de la république. D’autres alliés ont quitté le navire.
Un front anti-Ouattara se dessine, les médias francophones et les artistes de musique urbaine ressortent ses promesses de respect de la constitution. Une opposition hétéroclite exploite cette dynamique pour dénoncer des manœuvres politiciennes contraires à l’esprit de Loi fondamentale.
Fort du soutien d’élus locaux, Ouattara a pourtant décidé de passer par le chas d’une aiguille pour se faire élire au premier tour. Ses porte-voix vont faire campagne sur la constitutionnalité du troisième mandat, son lien affectif avec son peuple, son bilan. Ils devraient mettre en avant de nouvelles figures du parti originaires du centre, du sud et de l’ouest pour échapper à la stigmatisation d’un parti ethnique. Ils s’appuieront surtout sur une redoutable machine financière et électorale.
« Le conflit ivoirien est artificiel, veut croire l’un des caciques du RHDP . On s’est préparé à quelques troubles. Après le vertige des urnes, on se retrouvera entre Ivoiriens. »
Aveuglement de dirigeants usés par le pouvoir pensant que la réélection d’Ado passera comme une lettre à la poste ? «Ouattara va devoir réprimermassivement et risque de finir dans le costume d’Idi Amin Dada », conclut un de ses opposants.
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DRAMANE vient de commettre une grave erreur.