Six ans bientôt après la remise de leur rapport, le 16 décembre 2014, au chef de l’État, Charles Konan-Banny et les membres de la Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR) doivent être animés de l’amer sentiment d’avoir servi de dindons de la farce dans une opération cosmétique.
Au regard des tâches qui leur ont été assignées et des recommandations qu’ils ont produites, force est de constater que le pouvoir ivoirien fait certes quelques petits pas dans la bonne direction, mais n’exécute aucun pas de géant en faveur de la réconciliation nationale et de la paix.
Les chicanes et autres tracasseries que le pouvoir multiplie pour en découdre avec Laurent Gbagbo sont l’illustration de cette « mentalité de vengeance » que fustigeait Nelson Mandela et qui « détruit les États » au contraire de « la mentalité de pardon (qui) construit les nations ».
Du pouvoir au Collectif des victimes en Côte d’Ivoire (CVCI) en passant par l’Association des parents des femmes martyres (APAFEMA) et toutes les officines du régime, personne ne veut voir Gbagbo en pointillé.
C’est à y perdre son nouchi, l’argot ivoirien, dans ce pays qui non seulement établit les records des taux d’immigration, mais a accordé l’asile politique à des opposants comme le sécessionniste biafrais Odumegwu Ojukwu et le séditieux Jonas Savimbi.
Last but not least, l’ancien président burkinabé, Blaise Compaoré, a acquis, comme lettre à la poste, la nationalité ivoirienne. Renversé par une manifestation populaire le 30 octobre 2014, il a été accueilli dans le pays de l’hospitalité.
Et le 17 novembre, environ deux semaines après son arrivée, Alassane Ouattara prenait la décision de sa naturalisation à l’effet d’empêcher son extradition au Burkina Faso pour son implication présumée dans l’assassinat, le 15 octobre 1987, du capitaine Thomas Sankara.
« Blaise Compaoré est ivoirien; un point un trait », s’emportait, le 24 février 2016, Affoussiata Bamba-Lamine, alors porte-parole adjointe du gouvernement, face aux questions pressantes des journalistes.
L’ex-président ivoirien n’est pas logé à cette belle enseigne. Renversé, le 11 avril 2011, aux sons des bombes et kalach des forces internationales, il a été remis à la CPI pour les accusations de crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Mais Gbagbo a déjoué tous les pronostics et confondu le pouvoir et ses alliés. À La Haye, il a été acquitté de toutes les charges le 15 janvier 2019 et, en attendant l’appel de Fatou Bensouda, procureure de la Cour, il est libre, en même temps que Charles Blé Goudé, son compagnon d’infortune, de tous ses mouvements.
Le pouvoir ivoirien est ainsi à la manœuvre pour prendre sa revanche. Est-ce pour lui faire subir le malheureux sort des présidents Ahmadou Ahidjo du Cameroun et Mobutu Sese Seko du Zaïre, morts en exil et enterrés respectivement à Dakar, au Sénégal, et Rabat, au Maroc!? Difficile d’y répondre.
Mais le nom de Laurent Gbagbo a rapidement disparu de la liste électorale. Il ne peut être ni électeur ni éligible. C’est un paria. Prise en flagrant délit, la CEI tente d’expliquer la supercherie, sans convaincre.
Le 30 juillet 2020, autres déboires. Alors que le mal-aimé, en exil à Bruxelles, se démène pour obtenir, à défaut du passeport diplomatique auquel il a droit et que le pouvoir traîne pour lui accorder, un passeport ordinaire et un laissez-passer pour rentrer dans son pays, Moussa Touré, procureur de la République près le tribunal de première instance de Gagnoa, ville natale de Gbagbo, délivre un casier judiciaire qui dit que le fondateur du FPI est condamné à 20 ans de prison.
Cela ressemble à une hérésie judiciaire. Le 18 janvier 2019, au lendemain de son acquittement à La Haye, Laurent Gbagb écopait de cette peine, à Abidjan, dans un jugement prétendu par contumace pour le « braquage » de l’agence nationale de la BCEAO.
Or, le jugement par contumace et la condamnation par contumace désignent, selon des spécialistes de la question, une décision judiciaire prononcée par un juge à l’issue d’un procès en l’absence du « contumax », le condamné qui se trouve en état de fuite ou d’évasion.
Ce sont donc des procédures arbitraires menées à la hâte pour les besoins de la cause. Gbagbo ne fuit pas et n’a jamais fui la justice de la Côte d’Ivoire. Sinon, après la CPI où il comparaissait, il ne se battrait pas pour venir l’affronter.
De plus, la condamnation par contumace est comme provisoire. C’est un jugement révocable qui tombe de plein droit si le condamné se présente. Au point que le casier judiciaire de Gagnoa court le risque certain d’être frappé du sceau du faux.
C’est pourquoi Blaise Pascal dit: « La justice sans la force est impuissante et la force sans la justice est tyrannique. Mettre ensemble force et justice afin que ce qui est juste soit fort et ce qui est fort soit juste ».
F. M. Bally
Photo: Les deux candidats au second tour de la présidentielle du 28 novembre 2010, Laurent Gbagbo, le président sortant (à g.), et Alassane Ouattara, candidat du RDR (à d.), entourant le président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, facilitateur du dialogue direct, le samedi 27 novembre 2010, veille du scrutin.
Je crois qu’au nom de la réconciliation nationale, le pouvoir RDR en place doit FAIRE TABLE RASE sur le passé…. Sans cela, demain ce sont eux qui prendront la place de ceux qui sont agressés et opprimés depuis 9 ans. Kandia Camara avait confirmé dernièrement sa GRANDE PEUR, si l’opposition arrivait au pouvoir.