Lors de la visite que les populations du Sud-Comoé militantes du RHDP ont rendu au Président de la République Alassane Ouattara le dimanche 25 juillet 2020, le porte-parole de la délégation, le ministre de la santé Dr Eugène Aka Aouélé a, dans son allocution, visé sans les nommer le Vice-président Daniel Kablan Duncan et le ministre Amon Tanoh Marcel, tous deux démissionnaires. Les images utilisées, en plus d’être caricaturalement maladroites, illustrent l’ingratitude et le mépris du RHDP à l’endroit de ceux qui, il n’y a pas très longtemps, en étaient membres. Comment peut-on se permettre de parler de « gens en nombre infinitésimal et insignifiant » même si elles ont décidé de prendre leur destin en main et de faire route à part ? La logique aurait été qu’elles soient royalement ignorées. Socrate ne disait-il pas que « si un âne te donne un coup de pied, ne lui rends pas », adage qui est devenu « on répond au coup de pied de l’âne par le silence » ?
Mais, si monsieur Aka Aouélé ne peut s’empêcher de parler de ces démissionnaires originaires du Sud-Comoé et se fait fort d’en faire la matière de son allocution, c’est qu’ils ne sont pas aussi insignifiants que cela : « on ne jette des pierres qu’à l’arbre qui porte des fruits » dit-on. Il démontre par-là que leur départ fait un gros tort aux dirigeants du RHDP dans la mesure où ce départ qui n’est pas sans conséquences en termes de mobilisation des populations réduit considérablement son espace d’expression dans le Sud-Comoé. Par ailleurs, en utilisant aussi un vocable militaire pour qualifier ces démissions (« cette solitaire désertion » dit-il), monsieur Aka Aouélé colle à leurs auteurs une image de lâches et les rend indignes de mériter le moindre respect comme la moindre considération d’autant plus qu’ils ne représenteraient que leur seule personne. Le vocable de désertion, punissable selon le code de justice militaire, sous-entend-il, chez monsieur Eugène Aka Aouélé, que les concernés encourent des représailles et lesquelles ? Doit-on s’attendre, les jours à venir, à des chasses aux sorcières ? Nous acheminons-nous vers un Sorogate bis ? Si monsieur Aka Aouélé avait l’intention d’informer les concernés de la foudre qui devrait bientôt s’abattre sur eux, il vient d’éventer un secret d’Etat.
Après les propos méprisants tenus la semaine dernière sur les plateaux de TV5 par monsieur Adama Bictogo à l’endroit de ces personnalités démissionnaires, ceux utilisés par le ministre de la santé achèvent de convaincre que les cadres du RHDP ont de sérieux problèmes avec le respect dû à la qualité des concernés. Ils sont aussi en conflit avec l’élégance des convenances langagières qui siéent à leurs anciens statuts.
Même si le RHDP sait construire des ouvrages, qualifiés à juste titre d’ailleurs de biodégradables à cause de la vitesse éclaire à laquelle ils se dégradent, il est très loin de savoir construire des valeurs humaines comme le respect, la considération d’autrui non limitée à la soumission servile, l’acceptation de la contradiction et le droit à la différence. L’arrogance et le mépris des autres dans lequel ce parti s’est installé depuis quelques temps (refus de tout compromis politique sur les questions d’intérêt national liées aux élections générales, refus des débats en interne comme avec les autres formations politiques) illustrent clairement son incapacité à construire les chemins de la paix, de l’unité nationale et de la cohésion sociale. Cette attitude de mépris achève de convaincre plus d’un que ses dirigeants, tout ministres ou responsables de parti politique qu’ils sont, sont loin d’être des hommes d’Etat comme il convient. Cette attitude montre aussi que les personnalités méprisées restent des hommes de valeur qui permettaient à ce parti de cacher ses laides aspérités. Elles parties, le RHDP redevenu RDR retrouve ses réflexes et fait feu de tout bois comme un parti aux abois face à des défections qu’il n’arrive pas à endiguer et qui sont des frappes chirurgical dans leur camp.
Cette occasion qui a servi à un fils du Sud-Comoé pour vilipender d’autres fils de la même région résulte d’une imposture. Les populations ont été piégées par les organisateurs de la cérémonie. A l’origine, il était question de présenter ses civilités au Président de la République et de compatir à sa douleur suite au décès du Premier ministre. Les populations ont été surprises de voir le porte-parole et maître d’œuvre de toute cette campagne courtisane évoquer la question à polémique de la candidature pour un troisième mandat. A leur corps défendant, elles ont écouté cet appel à se porter candidat relevant des manœuvres d’un autre âge qu’elles ont vécu dans leur chair comme une trahison. On comprend pourquoi certains rois et chefs n’ont pas voulu voir leur image associée à cette mascarade.
Il est malheureux de voir ces pratiques moyenâgeuses être ressuscitées par le RHDP parce qu’il ne sait plus par quelle entourloupe il pourrait amener le Président Alassane Ouattara qui est comme un homme de parole à se dédire. « Quand un Ouattara dit, il le fait », aime-t-il le clamer. Il est tout autant malheureux de voir un fils du Sud-Comoé jeter l’anathème sur ses frères. Cette sale besogne aurait pu être réservée à une personne plus éloignée de cette zone géographique et culturelle, même si l’on connaît le but de la manœuvre : se servir de cette affaire de démission comme strapontin pour espérer consolider sa propre position au sein du RHDP.
Le spectacle livré à ce propos étale les limites d’un parti en perte de vitesse et la maladresse d’un cadre du Sud-Comoé, le ministre de la santé, capable de noircir pour se faire plus de place l’image de ceux qu’il appelait hier « mes frères ». Pourtant, sa présence politique dans le Sud-Comoé depuis des années montre qu’il n’a pas besoin de ce spectacle désolant. L’histoire politique de cette zone est là pour lui rappeler l’intangibilité de certaines valeurs. Cela n’a jamais été dans son ADN politique et, nul ne devrait se laisser corrompre (moralement, je veux dire) par des contre-valeurs parce que la paix, le dialogue et la fraternité ne sont pas encore des valeurs perdues en Côte d’Ivoire. On peut être opposé ; on peut critiquer « son frère » parce que le champ politique est du domaine du contradictoire. Mais la Côte d’Ivoire doit rester la Côte d’Ivoire, « la patrie de la vraie fraternité ».
Pascal FOBAH EBLIN
Analyste politique
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