Côte-d’Ivoire «Mon devoir, c’est de faire échouer le remake de l’élection de 2010» (Interview)

Par Connectionivoirienne

Présidentielle 2020 / Kouadio Konan Siméon dit KKS :

• ‘’Tout est fait pour que les autres candidats boycottent afin que le Rhdp aille seul’’
• ‘’Le parrainage c’est sur la liste électorale définitive et non celle de 2018’’
• ‘’Le décret de Ouattara pris le 13 juillet est illégal’’

Candidat aux présidentielles de 2010 et 2015, le seul candidat qui avait refusé les 100 millions de FCFA de l’état en guise d’aide aux candidats, Kouadio Konan Siméon revient à la charge. Il n’a pas du tout confiance dans le processus électoral tel qu’il se déroule. Il appelle à un dialogue plus ouvert et propose une transition. Il parle également des conditions d’une éventuelle candidature et se pose en négateur du scénario de 2010 qui avait conduit à la guerre suite à un contentieux électoral.

Interview

Connectionivoirienne : Le 7 juillet dernier vous avez organisé une conférence de presse dans la laquelle vous avez déclaré que les élections présidentielles ne peuvent se tenir à la date constitutionnelle avec les problèmes de retard et de parrainage. Cependant, lors d’un séminaire organisé par la CEI avec les partis politiques et les journalistes le 15 juillet sur le parrainage citoyen, le président de la CEI M. Ibrahim Kuibiert COULIBALY déclarait que le délai était tenable du fait qu’il devrait se faire en tenant compte de la liste électorale de 2018 et ensuite celle de 2020 quand elle sera affichée. Avez-vous participé à ce séminaire et quel est votre avis, monsieur le Président ?

KKS : Je n’y ai pas participé pour la simple raison que nous n’y avons pas été invité, c’est d’ailleurs avec surprise que nous avions lu dans les journaux les rapports de cette réunion. Pour ce qui concerne la question du parrainage, je continue d’affirmer que juridiquement, techniquement et matériellement l’élection ne peut se tenir au 31 octobre. Pour la simple raison que le parrainage institué par le nouveau code électoral n’a pas légiféré conséquemment et je m’inscris en faux quand le président de la CEI dit qu’on pourrait utiliser la liste électorale de 2015, de 2018 et de 2020. Je veux rappeler que la loi dit que la liste électorale est un document administratif qui est tenu régulièrement à jour chaque année. Nulle part, ni la constitution, ni le code électoral ne mentionnent qu’il y a plusieurs listes électorales. Il ne saurait donc y avoir une liste électorale pour une élection donnée de 2015, 2018 et de 2020. Il y a une seule liste électorale. Et la liste électorale, quand elle est en confection comme c’est le cas actuellement, reste en confection et ne sera liste électorale que quand ça sera définitif. Et c’est la raison pour laquelle je maintiens que sur le plan du droit la liste électorale de 2018 ne peut être acceptable. D’ailleurs, j’espère que vous journalistes, vous lui avez posé la question. Quand on commence avec la liste électorale de 2018 qui me fixe par exemple à Toumodi, qu’il me faut réunir pour la région du Bélier 1256 électeurs comme parrains. Si je vais faire ce travail et que deux semaines après, trois semaines après on ne sait quand, on me dépose une liste électorale de 2020 qui aura évolué et qui me dit qu’il faut 2000 électeurs dans le Bélier, nous faisons comment ? Je retourne ou bien ?

Le président de la CEI répond que dans ce cas vous allez compléter car sur la liste de vos parrains, des gens ne figurent pas sur la liste actualisée.

KKS : Et tout cela en 15 jours. Parce que ce que je veux vous dire c’est que le président, parce que j’ai suivi aussi a dit que normalement, depuis toujours on donne un mois pour le dépôt des candidatures mais que lui, il a bien voulu donner 45 jours justement pour qu’on fasse le parrainage. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que M. Kuibiert prévoit donc deux semaines en réalité pour le parrainage puisque moi je suis allé par deux fois aux élections présidentielles et effectivement pour tous les autres dossiers, on nous donne un mois, quand on y ajoute le parrainage de 1% sur le corps électoral dans 17 régions on donne deux semaines, ce n’est pas sérieux. C’est la raison pour laquelle je dis, regardons la vérité en face, ne faisons pas la politique de l’autruche, levons-nous et observons que nous ne sommes pas prêts. Observons que nous nous sommes piégés. En voulant éliminer des candidats dits plaisantins on a pris une loi sans savoir que cette loi devrait avoir des conséquences notamment de temps matériel. Je continue donc de dire que les arguments de monsieur Kuibiert ne peuvent convaincre. Le parrainage citoyen c’est sur la liste électorale et la liste électorale, elle est unique, c’est celle qui est en confection et donc on attend la liste électorale définitive.

Ci : Et dans le cas d’espèce si le président de la CEI maintenait cette disposition telle qu’il a expliqué, que devrait faire la classe politique ?

KKS : la classe politique devrait dire non comme moi je dis non. Et je crois que c’est ce que la classe politique va dire si elle n’est pas en train de le dire. La classe politique doit dire non parce que la loi est inopérante. La classe politique doit dire non simplement, parce que si on veut aller plus loin, des juristes vous expliqueront que ce parrainage institué par le code électoral est anticonstitutionnel puisque la constitution qui est la mère des lois, qui prévoit ce qui doit être et que les autres lois précisent, n’a jamais parlé de parrainage.

Vous rejoignez à ce sujet monsieur Mamadou Coulibaly

KKS : Je rejoins à ce sujet la loi, c’est ce que dit la loi. Maintenant, je ne suis pas juriste, c’est un débat de juristes. Mais, moi je prends ce qui est du bon sens. Le bon sens dit quand on dit qu’il y a un parrainage citoyen que nous devons aller vers les électeurs qui se trouvent sur la liste électorale c’est sous-entendu la liste électorale qui va faire objet de l’élection et non sur la liste électorale qui est déjà passée.

Sur le même sujet du parrainage, le président de la CEI dit qu’il ne fait qu’appliquer ce que le législateur a conçu mais mieux que ce parrainage est le fruit du dialogue entre le pouvoir et les partis de l’opposition, est-ce que vous comprenez cela ?

Je comprends cela et je suis d’accord avec le président de la CEI qui dit qu’il est là que pour mettre en exécution ce que la loi a dit et non ce que les uns et les autres ont dit. Dans ce cas, il faudrait qu’il s’en tienne à son rôle d’exécutant puisque par-là, il nous dit qu’en réalité il n’est aucunement autonome. Maintenant quand on me dit qu’il y a eu dialogue, nous sommes ivoiriens et nous avons suivi ce dialogue. Nous nous sommes rendu compte que ce dialogue n’est pas arrivé jusqu’au bout et qu’à un moment donné la discussion a dû s’interrompre et la suite me semble-t-il n’était pas consensuelle. Nous autres, on ne nous a jamais invité à ce genre de rencontres donc je ne crois pas puisque les grands partis que nous connaissons en Côte d’Ivoire, le PDCI, le FPI et autres sont d’avis avec moi que tout ce qui a été décidé n’était pas consensuel. Je veux là interpeller d’ailleurs ces partis dits significatifs parce que si aujourd’hui on parle de parrainage c’est parce quelque part ils ont joué le jeu. Parce qu’en effet lors de leurs échanges le sujet a été évoqué, ça faisait partie des points débattus. Dans un premier temps, on voulait faire parrainage politique, ils ont dit non, non on préfère citoyen, ça veut dire qu’ils ont effectivement acté le principe sauf qu’ils n’ont pas continué pour dire alors combien de temps on prend pour faire le parrainage ainsi de suite. Il n’y a que dans cette loi où une opération aussi importante dans le processus électoral n’a pas été au préalable inscrite dans le code électoral et n’a pas été chronogrammé. Les textes devaient préciser la période de dépôt, de campagne et définir le temps de la collecte des parrainages et non attendre le 13 juillet dernier pour prendre un décret du Président de la république. Maintenant si on examine les choses de plus près, cher ami, au regard des traités internationaux auxquels nous sommes partie prenante, ce décret est illégal. Parce qu’il est pris alors que nous sommes en plein dans le processus électoral pour modifier les règles du jeu. Voilà, c’est tout cela qui m’étonne quand je ne vois pas l’opposition poser des problèmes aussi clairs.
Ci : Vous êtes en train de dire que le processus électoral est mal parti pourtant le parti au pouvoir s’attèle à y aller le 31 octobre…

C’est de bonne guerre et tout ce que nous sommes en train de dire montre bien que le parti au pouvoir voudrait bien y aller seul, ça ne le gênerait pas. J’ai l’impression que tout est fait pour que les autres candidats boycottent pour qu’il aille seul. Mais, je suis le neutre réconciliateur et j’interpelle tout simplement. Ce que je fais depuis près de 20 ans dans ce pays pour dire que notre pays a trop souffert. La situation sous régionale est très explosive actuellement. Le contexte est trop sensible. Nous n’avons pas le droit d’entretenir une quelconque crise encore dans le pays. Moi, je supplie tous les acteurs. Nous sommes à un point où on est obligé de s’asseoir et de discuter pour trouver un consensus pour aller à cette élection. C’est ce consensus que j’ai appelé la transition parce qu’on y peut rien de toute façon.

Chemin faisant, le candidat pressenti du RHDP est décédé et aujourd’hui l’idée d’une 3ème candidature du Président Ouattara fait son chemin. Etes-vous pour ou contre cette candidature réclamée ?

KKS : D’abord puisque vous évoquez la mémoire de notre regretté premier ministre, je voudrais encore une fois redire mon respect pour sa mémoire et dire pour ce qui concerne le 3ème mandat que c’est franchement ceux qui posent le problème qui me posent un problème. Le président Alassane Ouattara a dit qu’il ne va plus se présenter. Pourquoi vous voulez lui prêter une intention sur laquelle il s’est solennellement, officiellement prononcé et suite à laquelle il a été vivement salué et félicité par les ivoiriens, par la communauté nationale, les américains et les français. Moi, je ne crois pas qu’il serait sérieux de prêter cette intention au Président Alassane Ouattara dont on dit qu’il est un homme de parole et d’honneur.

Et s’il devrait y aller malgré tout ?

KKS : Je ne suis pas juriste mais je crois que le Président de la République n’a fait que tirer les conséquences des dispositions pertinentes de la loi fondamentale en Côte d’Ivoire. Cette loi-là, cher ami, et il faudrait que cela soit dit pour tout le monde, dit que nul, aucun ivoirien fut-il Président en exercice ne peut être éligible plus de deux fois successivement, point barre.
Ci : Et quand on réplique que cette nouvelle République avec la constitution de 2016 met le compteur à zéro ?
KKS : Selon les juristes, l’article 183 dit que tout ce qui n’aura pas été expressément changé dans l’ancienne constitution est réputé de rigueur dans la nouvelle, donc, il n’y a pas de débat pour moi. Et vous savez que les juristes du Président lui-même, le comité d’experts qu’il a mis en place avec l’éminent professeur Ouraga Obou, le conseiller spécial Cissé Bacongo, le ministre de la justice d’alors, tous sont passés sur les plateaux de télévision chez nous et ailleurs pour dire qu’en aucune manière, qu’en aucune façon, il n’y a de possibilité pour le Président de briquer un 3ème mandat et que cela n’était nullement de l’intention du président de la République. Pourquoi voulez-vous lui prêter cette autre intention ? Moi, j’attends de voir et j’aviserai si le Président va dans ce sens.

La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a rendu un arrêt récemment et demande un équilibrage de la CEI, quel est votre avis là-dessus au moment même où le processus électoral est en cours ?

KKS : Cet arrêt ne vient que confirmer et conforter ce que je dis depuis deux ans. Cet arrêt quoi qu’équilibriste est pourtant clair dans ses décisions, autant il dit que les requérants n’ont pas prouvé certains déséquilibres ainsi de suite, autant il dit aussi clairement que les CEI locales sont déséquilibrées, que le déséquilibre est manifeste. Vous voyez le mot manifeste ? C’est-à-dire ça saute aux yeux et que par conséquent il faut reprendre tout avant toute élection. Je crois qu’on peut se mettre d’accord sur ça, au moins.

Donc on est bien parti pour un report de l’élection ?

KKS : Ça consacre l’impossible tenue de l’élection au 31 octobre si nous voulons être respectueux de nos engagements ne serait-ce que vis-à-vis de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.

Monsieur KONAN Kouadio Siméon, est-ce que vous-même vous préparez à une candidature malgré tout ce que vous dénoncez ?

KKS : j’ai dit aux ivoiriens que j’ai une mission, cette mission je ne peux l’assurer qu’avec le pouvoir d’état. C’est pour ça qu’en 2010, en 2015, je suis allé aux élections présidentielles. Je suis un prétendant à la magistrature suprême. Mais, j’irai parce que c’est la seule voie qui s’offre à moi si je veux être au pouvoir. Mais j’irai dans une élection qui ramène la paix et non dans une élection qui propulse le pays dans un chaos. Pour l’instant ce qui nous est proposé c’est pour aller à un drame. Je pense qu’elle n’aura pas lieu le 31 octobre, donc il n’y a pas lieu de me prononcer là-dessus. Par contre, notez bien que je suis prétendant. Quand l’élection s’organisera pour qu’il y ait la paix, vous me trouverez certainement sur la liste des candidats.

L’ancien Président Laurent Gbagbo est acquitté de toutes les charges à son encontre et jusque-là il a du mal à retrouver son pays. Qu’est-ce qui devrait être fait selon vous, dans le sens d’un retour de Laurent Gbagbo ?

KKS : Ne serait-ce que pour la réconciliation nationale, ne serait-ce que pour l’apaisement, ne serait-ce que pour la paix sociale, ce n’est pas une question de l’aimer ou de ne pas l’aimer, l’état, représenté par le président de la république, devrait sans délai prendre les dispositions puisque c’est maintenant officiel que le Président Laurent Gbagbo a ouvertement manifesté son besoin de rentrer chez lui et que le gouvernement a été saisi. Mais que vivement le Président de la République agisse. Qu’il tire leçon de tous ces sons qui n’augurent rien de bon pour le pays avec des décès en cascade, nous venons de perdre encore le premier ministre Elimane Diarra, ça va faire deux premiers ministres, le Président du Sénat, en traitement à l’extérieur, il se dit aussi que le Président de l’assemblée nationale ne se porterait bien non plus.

C’est naturel non tout cela ?

KKS : Oui, oui mais il y a des sens ! Ça fait beaucoup quand même cher ami, ça fait beaucoup. On n’a plus de vice-président, ça aussi c’est naturel ? Je ne crois pas que ça soit aussi naturel que ça. Donc nous nous trouvons dans des signes qui montrent que le moment est venu de nous asseoir. Et comme Laurent Gbagbo l’a dit, de nous asseoir pour discuter. Moi, je milite pour ça, j’encourage le Président de la république, j’exhorte le Président de la république à être le père de la nation, à se mettre au-dessus de la mêlée et de dire le mot qui sauve. Et il est important aujourd’hui que nous ne pourrons faire l’économie de la concertation nationale, du dialogue inclusif, d’un consensus pour aller à l’élection présidentielle.

Ça, M. Amon Tanoh l’a dit…

KKS : Il le dit après moi. Je le dis depuis deux ans et il faut peut-être aussi que nous qui le disons, nous puissions nous mettre ensemble humblement pour avancer.

Est-ce que l’âge de M. Henri Konan Bédié, l’autre prétendant à la présidentielle vous pose un problème personnellement ?

KKS : Du point de vue de la légalité, il est dans ses droits. Le peuple, détenteur du pouvoir a légiféré pour dire qu’à un certain âge, il semblerait que les gens ne soient plus, ne serait-ce que physiquement, au point pour tenir les charges de la présidence de la République qui sont des charges prenantes. C’était dans la constitution mais cette constitution a été changée et le verrou a été sauté, dès lors, même si quelqu’un a 120 ans et qu’il veut être candidat, c’est son droit. Je n’ai absolument pas d’objection là-dessus.

Est-ce que vous craignez un remake du scénario de 2010 avec les trois ténors Henri Konan Bédié, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara ?

KKS : Je le dis depuis deux ans. Absolument le tableau qui nous est offert est un tableau identique à la fois par le casting que par tout l’arsenal juridique et l’environnement qui l’entoure. Nous allons tout droit vers un remake et moi mon devoir parce que c’est ma mission, c’est de faire échouer ce remake.

Fin

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