Chaire UNESCO de Bioéthique
Professeur Lazare Poamé (Titulaire de la Chaire UNESCO de Bioéthique) : « Les actions menées par la Chaire sont innombrables »
Le Professeur Lazare POAMÉ, Président de l’Université Alassane Ouattara de Bouaké, est le titulaire de la Chaire UNESCO de Bioéthique. Dans cette interview, il parle de cette Chaire installée, il y a dix (10) ans (lundi 26 juillet 2010), officiellement au siège de l’Université de Bouaké, alors à Abidjan, en présence des hautes autorités de l’UNESCO et de la nation. Il esquisse également quelques résultats de la recherche.
Professeur Lazare POAMÉ, vous êtes le titulaire de la Chaire UNESCO de Bioéthique.
Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est la bioéthique ? Ses domaines d’intervention ?
Professeur Lazare POAMÉ : La bioéthique est à la fois un espace de discussion rationnelle et un champ disciplinaire nouveau, axés sur les problèmes à dimension éthique posés par le développement hallucinant de la biologie moléculaire et des technosciences biomédicales.
Parmi les problèmes dits paradigmatiques de la bioéthique, on peut citer l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie, l’insémination artificielle, le clonage, le statut de la sexualité, du sperme congelé, de l’embryon et de la mère porteuse, l’eugénisme, la brevetabilité du vivant, les OGM, l’informatisation et la manipulation des bases de données personnelles, la commercialisation des organes du corps humain et de ses produits, la finalité de la médecine, des armes bactériologiques et les problèmes environnementaux tels que la biodiversité et la biosphère.
Depuis la publication de la Nouvelle encyclopédie de bioéthique, les domaines d’intervention de la bioéthique peuvent être ainsi énumérés : la procréatique, le génie génétique, la manipulation de la personnalité, le vieillir et le mourir, l’expérimentation sur les vivants humains et non humains. Ces domaines étant devenus classiques, la bioéthique explore des champs nouveaux, à savoir les nanotechnologies, l’intelligence artificielle, la robotique, la connectique, les big data et le transhumanisme.
Quels avantages pour la Côte d’Ivoire de voir loger cette Chaire de l’ensemble du monde francophone au sein de cette Université ?
Les avantages sont multiples et divers. Le premier est contenu en germe dans la question posée, car loger une Chaire de l’ensemble du monde francophone dans une Université africaine et précisément ivoirienne donne à la Côte d’Ivoire une visibilité honorable. Cette visibilité s’est particulièrement accrue à l’UNESCO où la Côte d’Ivoire, à travers le Titulaire de la Chaire, a été portée à la tête du Groupe Afrique du Comité Intergouvernemental de Bioéthique (CIGB) en 2013.
Un autre avantage est celui de la mise au jour de la compétitivité scientifique des Universités ivoiriennes. Etant donné que l’obtention de cette Chaire, la première du genre dans le monde francophone, est conditionnée par une série d’épreuves, la Côte d’Ivoire peut se targuer d’avoir des ressources humaines de qualité. À travers cette Chaire, la Côte d’Ivoire a également l’avantage d’avoir à portée de main une expertise dont elle peut disposer pour résoudre, sous les tropiques, les problèmes de bioéthique. Nous tenons à souligner que la Chaire UNESCO de Bioéthique se veut résolument engagée pour le développement. D’où l’attelage de la bioéthique et des sciences sociales au sein de cette Chaire. Cette spécificité de la Chaire trouve sa justification dans la réponse éthico-technique aux besoins d’accompagnement des programmes de développement exprimés par les pouvoirs publics. Ainsi, la Chaire s’attache, par des activités de recherche et à la demande d’institutions publiques et privées, à aider à une meilleure compréhension des transformations sociétales afin que les réponses proposées soient suffisamment éclairées, notamment par les principes éthiques et bioéthiques. Vous voyez ! Une telle spécificité inscrit la Chaire dans une perspective fortement développementaliste. C’est ainsi que, par-delà la recherche en éthique fondamentale, la Chaire s’attèle, par la recherche, la formation et l’expertise, à promouvoir le respect des principes bioéthiques dans les espaces de définition et de mise en œuvre des politiques publiques.
Quelles sont les actions qui ont pu être menées, notamment face à la pandémie de COVID-19 ?
Les actions menées par la Chaire sont innombrables et il serait fastidieux de les énumérer toutes dans le cadre restreint de cette interview. Après d’intenses travaux de vulgarisation de la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme en langues ivoiriennes, baoulé, bété et malinké, la Chaire s’est focalisée sur les activités de recherche et de formation.
Les activités de recherche de la Chaire sont organisées autour de neuf (09) programmes en recherche appliquée et trois (03) programmes en recherche fondamentale. Une revue internationale, dénommée RIFEB (Revue Internationale Francophone d’Éthique et de Bioéthique), créée par la Chaire, sert de moyen de vulgarisation de ses recherches.
Les recherches ont porté sur la procréatique, l’éthique du vivant, la phénoménologie de la violence urbaine qui, avec un financement du CRDI, a débouché sur un film documentaire intitulé Microbes à Abidjan. Ces recherches ont également porté sur les aspects socioéconomiques et éthico-culturels de l’alimentation infantile, en partenariat avec Danone, sur l’épidémie à virus Ebola, les rites funéraires en vue d’une amélioration des plans de riposte en cas d’épidémie en Afrique de l’Ouest, en partenariat avec l’OMS. À cela, s’ajoute la santé génésique avec une focalisation sur les grossesses en milieu scolaire, à la demande du Ministère de l’Éducation nationale, l’avortement et ses conséquences sur la santé des femmes en Côte d’Ivoire, à la demande de « Médecins du Monde ». Enfin, encore avec le Ministère de l’Éducation nationale, nous avons un travail de recherche en cours sur la politique des subventions aux établissements privés que nous nous efforcerons de passer au laminoir des principes de bioéthique. Tout cela pour vous dire combien la Chaire est présente, mais discrète sur le territoire ivoirien.
Depuis le mois de mars, la Chaire a polarisé ses efforts sur la pandémie de COVID-19. Face à cette pandémie, nos premières activités furent des actions de sensibilisation impliquant des enseignants-chercheurs et des étudiants en faveur des populations urbaines et rurales, à l’effet d’une incitation au respect scrupuleux des mesures barrières. Cette sensibilisation s’est traduite, en milieu universitaire, par un appel à contribution sur la pandémie, en direction des enseignants-chercheurs, pour un numéro spécial de la Revue Internationale Francophone d’Éthique et de Bioéthique.
Pour ne pas en rester au niveau de la sensibilisation et, prenant la pleine mesure des limites du confinement à grande échelle, nous avons lancé un second appel à travers La Lettre de la Chaire pour inciter les chercheurs à trouver un traitement. Nous leur avons garanti l’accompagnement éthico-stratégique requis. En termes de résultats, nous avons obtenu des chercheurs biologistes et des phytothérapeutes des produits, précisément des phytomédicaments, dont les propriétés immunostimulantes ont l’avantage de renforcer les défenses de l’organisme.
En plus de la recherche, qu’est-ce que la bioéthique peut apporter dans la gestion des entreprises et Institutions ?
La bioéthique ayant pour champ d’élection et de prédilection l’éthique devenue le nouvel étalon de mesure des performances d’une entreprise moderne, vous devinez aisément son importance dans la gestion des entreprises. Aussi bien pour le management des ressources humaines que pour la gestion des conflits en entreprise, la bioéthique, sous l’angle de l’éthique économique et de l’éthique de la communication, peut transformer qualitativement les entreprises et institutions soucieuses de préserver leur image de marque et d’offrir des produits et des services marqués du sceau de l’Assurance qualité. Sous l’angle de l’éthique environnementale, la bioéthique peut être un phare secourable pour le développement durable et la promotion exemplaire de la responsabilité sociétale des entreprises.
Quelle est la procédure à suivre pour en bénéficier et qu’est-ce que les connaissances en bioéthique apportent de plus ?
La bioéthique, que nous avons introduite au forceps à l’ex-Université de Bouaké, au cours de l’année universitaire 1994-1995, continue d’être enseignée à l’Université Alassane Ouattara, de la Licence au Doctorat. La voie à suivre est donc celle de la formation. Deux types de formation s’offrent aux managers en acte ou en puissance : la formation diplômante, relativement longue, généralement réservée aux étudiants à plein temps et la formation certifiante, plus courte. Pour accéder à ce second type de formation, les intéressés doivent soumettre un dossier au Directeur des programmes et projets de recherche de la Chaire.
Aujourd’hui, nous sommes particulièrement heureux d’avoir contribué à l’introduction de l’enseignement de la bioéthique dans les universités africaines, car l’une des particularités de la formation en bioéthique est de placer l’éthique dans une nouvelle clairière, celle qui confère à l’apprenant une meilleure compréhension des enjeux de la modernité, de la postmodernité, des rapports interhumains et des mutations qui s’opèrent dans le technocosme.
Merci Professeur.
Commentaires Facebook