La corruption est devenue un fait banal en Côte d’Ivoire. Plus les années passent, plus cette gangrène prend des proportions inquiétantes et les Ivoiriens observent tous une tolérance sans pareille.
En 2019, le rapport de Tranparency international, une ONG allemande classait la Côte d’Ivoire à la 106e place sur 180 pays classés. Les autorités ivoiriennes avaient réagi pour démontrer que la Côte d’Ivoire avait fait des efforts et que ce n’était pas encore la grande catastrophe. Elles avaient même corrigé le classement de Transparency en donnant la côte d’Ivoire 105e et non 106e.
« Depuis 2012, seuls 20 pays, dont l’Estonie et la Côte d’Ivoire, ont considérablement amélioré leur score. Ces performances sont reconnues par le Millenium Challenge Corporation. Nous avons gagné 8 points et nous sommes passés de la 136e place en 2013 à la 105e place et non à la 106e place en 2018. La Côte d’Ivoire n’a donc pas un niveau alarmiste en ce qui concerne la corruption », avait objecté Bakari Traoré le directeur de cabinet de la Haute autorité de la bonne gouvernance (Habg) lors d’une conférence de presse la même année.
Mais qu’à cela ne tienne. Ces chiffres institutionnels issus d’enquêtes orientées et qui ne prennent pas souvent en compte toutes les données pratiques, ne rendent pas souvent compte fidèlement de la réalité implacable d’un fléau qui risque de faire péricliter si l’on n’y prend garde, tous les fondements de la nation en construction.
Tenez bien. Les élèves des classes d’examen ont commencé les évaluations de fin d’année au plan national. A commencer par les épreuves d’EPS (Education physiques et sportive). A la place des épreuves proprement dites, on assiste plutôt à une scène de moisson de billets de 1000 FCFA ou de 2000 FCFA. C’est la somme à payer pour avoir la bonne note entre 15 et 18 si ce n’est 20 sur 20. Et là, les examinateurs ne s’en cachent plus face aux élèves qui rentrent dans le contexte. Ceux que l’on voit courir sur les 100 m, au lancer du poids, au triple saut, sut en longueur ou en hauteur, sont ceux qui n’ont pu satisfaire aux exigences du prof par manque de liquidité. Ils sont évalués à leur risque et péril et ne dépasseront pas, dans la plupart des cas, 13 sur 20 comme note finale.
Que dire des concours administratifs ? Ici, on ne cherche plus votre niveau de connaissance après des mois de veillée consacrés à la préparation. Il faut délier la bourse pour avoir sa place à la fonction publique. Les autorités en charge de ces concours vous diront qu’ils sont entourés de la plus grande transparence possible. Mais en réalité, c’est de la poudre aux yeux. En février 2020, une scabreuse affaire avait secoué le ministère de la fonction publique au sujet d’une fraude qui avait consisté à inscrire sur la liste des admis, des gens qui n’avaient jamais été candidats ou des candidats déclarés non admis après les premières délibérations. Le directeur de cabinet avait réfuté cette thèse de fraude au cours d’une conférence de presse et l’affaire a été enterrée. Là où il avait promis de mettre fin à la mafia des brebis galeuses.
Autre ministère, autre scandale, l’éducation nationale. Pour son programme social, le gouvernement ivoirien avait promis de recruter 10.300 enseignants pour combler les déficits dans ce milieu. Au terme de l’opération menée par le ministère de l’Education nationale, un peu plus d’un millier de jeunes postulants seront laissés de côté sous prétexte qu’ils n’avaient pas des diplômes d’enseignement alors qu’ils ont été régulièrement admis. Ils n’auront donc pas d’affectation. Ils auront fait le siège de la tour D, au Plateau, en vain. Selon des sources crédibles, leurs places ont été vendues à des plus offrants et l’affaire est restée sans suite. Ces jeunes gens sont aujourd’hui, des frustrés qui grossissent les chiffres des diplômés chômeurs.
Un marché public qui ne se gagne pas sans pots de vin, une promotion sociale qui attend que vous la fluidifiiez par des espèces, un fonctionnaire du Trésor qui attend toujours un retour sur investissement ‘’intellectuel’’ après avoir défendu le budget d’une institution ou d’un Epn, le douanier qui ferme les yeux sur ce qui entre dans le pays parce que ses pieds ont été mouillés, le journaliste qui prend la toge de l’avocat pour défendre avec sa plume, un ministre mis en cause dans une affaire de drogue sans la moindre réserve, un électeur qui estime de le temps des élections est le ‘’temps du mangement’’… voici le visage hideux qu’offre la Côte d’Ivoire dans une sorte de négligence coupable de l’autorité.
En Côte d’Ivoire, une Haute autorité pour la bonne gouvernance (Habg) dont le but est de lutter et de sanctionner les actes de corruption a été créée par l’ordonnance 2013-660 du 20 septembre 2013. Des modifications ont été apportées à cette ordonnance pour la rendre performante au fil des années. Mais la corruption est restée endémique. L’organe lui-même est une grande inconnue des populations tant ses actions sont très peu médiatisées. Hormis des sorties sporadiques pour simplement faire valoir son existence. Combien de délits de corruption a-t-il traduit devant les tribunaux jusqu’à ce jour ?
Un grand enjeu pour la présidentielle de 2020
Les Ivoiriens seraient bien heureux de voir inscrit ce gros sujet dans les thèmes de campagne des différents candidats qui se signalent. La lutte contre la corruption doit être au nombre des priorités si l’on veut construire cet état de droit équitable à l’égard de ses citoyens. A moins de quatre mois de cette présidentielle d’octobre, malheureusement, peu de potentiels candidats en parlent. Les sujets de prédilection du moment sont ailleurs. Ils se nomment suprématie du Rhdp, vieillesse de Bédié, retour de Gbagbo au pays, exil de Soro… Les vraies questions d’intérêt national sont, à dessein, éludées.
Pourtant, on a beau avoir des idées pour construire une économie dynamique, bâtir des infrastructures durables, lutter contre le chômage, améliorer l’éducation, la sécurité, mais si la lutte contre la corruption n’est pas prise en compte, ce serait peine perdue. Parce qu’à la réalité, elle déleste le pays de ressources importantes qui se retrouvent dans les poches d’individus véreux qui s’enrichissent impunément sur le dos de l’Etat. Comment financer le développement sans ressources conséquentes ? là est tout l’intérêt d’annihiler sinon de contenir la corruption dans des proportions moins inquiétantes.
SD à Abidjan
sdebailly@yahoo.fr
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