La Fesci au temps des Démocrates ! Stratégie et Tactique d’une lutte de la jeunesse ivoirienne (Part II)

Photo : Le Pré-Congrès de septembre 1993 qui voit la transmission de la direction entre Martial Joseph Ahipeaud et Djué Ngoran Eugène sous l’œil vigilant du Prof Marcel Etté, SG du Synares.

Lorsque je prends la tête du nouveau syndicat, je me dois de relever le triple défi de sa crédibilité, son implantation et de son efficacité, pour justifier qu’il devienne une force sociale et politique! Le Démocrate, Cheick Anta Diop, Mao, et la littérature de la Gauche mondiale allaient être mon inspiration pour la stratégie et la tactique si je voulais atteindre ce but.

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Par Dr Martial Joseph AHIPEAUD, Jeudi 25 Juin 2020, à 17h40

Sautons quelques années pour atterrir à Novembre 1992. Quelque part, dans la chambre d’une étudiante en philosophie, membre de la section de la Cité universitaire de Yopougon et de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines de l’Université, FLASH, la seule à cette époque. La nuit était presque tombée et la Cité Universitaire de Yopougon grouillait de monde, qui allant chercher pitance au restaurant universitaire, qui allant vaquer à ses occupations tactiques. Mais, dans la chambre de notre camarade, s’étaient donnés rendez-vous, des membres du Bureau Exécutif National accompagnés d’un autre, Koukougnon Assoa Jean-Pierre, dit Kooky, secrétaire général de la section Flash. En fait, le rendez-vous a lieu avec un haut responsable du Front Populaire Ivoirien, FPI, dirigé par le bouillant historien, Laurent Gbagbo, qui fut candidat face à Houphouët-Boigny, lors de la dernière grande élection à laquelle allait prendre part le Père de la Nation Ivoirienne, la présidentielle d’octobre 1990. Le FPI, depuis cette élection, avait pu avoir son groupe parlementaire après les élections législatives de décembre 1990 qui avaient suivies celle de la présidentielle d’octobre 1990. Si Laurent Gbagbo avait officiellement eu 18% des voix, sa candidature contre le dernier des grands leaders de L’Afrique post-coloniale en faisait forcément un qui compterait dans la suite de l’histoire politique et sociale de la nation.

Cette rencontre devenait cruciale quand on savait que depuis le 21 Avril 1990, date de l’Assemblée Générale Constitutive de la FESCI, l’histoire s’était accélérée. Le 30 Avril, le PDCI annonçait officiellement la rupture du consensus. Ainsi, le 3 Mai 1990, un décret d’application de l’article 7 de la Constitution qui prévoyait le pluralisme était pris en Conseil des Ministres. Les partis politiques clandestins, jusqu’à ce jour, pouvaient désormais voir le jour. Le pluralisme, il faut le dire haut et fort, est la conséquence directe de l’Assemblée Générale du 21 Avril 1990. La FESCI, sans que nous en ayons conscience pleinement lors de cette journée du 21 Avril 1990, venait de déchirer officiellement le consensus et imposait le pluralisme au Père de la Nation qui, quelques mois en arrière, avait défié Etté Marcel en lui disant que « le pluralisme était une vue de l’esprit ». Avec le 21 Avril 1990, Etté Marcel avait démontré, en s’appuyant sur la jeunesse estudiantine et scolaire de notre pays, que le pluralisme était une exigence sociale et politique et qu’il fallait s’en accommoder. Les partis avaient par conséquent déposé leurs statuts et le pluralisme pouvait ainsi être.

Pour éviter que les partis historiques de la Gauche Ivoirienne se confondent avec ceux qui pouvaient alors être suscités par le pouvoir, leurs leaders décidèrent de se retrouver dans le Grand Nord, à Korhogo, dans le fief Sénoufo du PDCI, pour lancer l’idée d’une alternative politique et sociale fondée sur les valeurs de Gauche que le PDCI avait depuis longtemps abandonné. La rencontre de Korhogo popularisa l’idée dans la jeunesse que quatre partis politiques portaient les valeurs qui leur semblaient propre à leur vision. Le FPI, dirigé par l’historien Laurent GBAGBO, Le Parti Ivoirien des Travailleurs, PIT, dirigé par le Professeur émérite de droit Francis Wangah WODIE, le PSI, Parti Socialiste Ivoirien, dirigé par le Professeur émérite de pharmacie, Bamba Mofiféré et l’Union des Socio-Démocrates, UDS, dirigé par le Professeur émérite de lettre et écrivain, Bernard ZADI ZAOUROU, le maître du Didiga, se retrouvent alors chez Me Lanciné GON COULIBALY. Lanciné Gon COULIBALY était un des fils du Patriarche GON COULIBALY de Korhogo, celui qui avait donné son soutien au Député Houphouët-Boigny pour qu’il remporte le suffrage des Sénoufo, lors des élections à la constituante de 1945. Aussi, le fait que ce soit son fils qui devienne l’hôte des opposants à Houphouët-Boigny, était clairement interprété comme une véritable claque au Père de la nation, et donc, une confirmation que le pays avait changé et que ce changement, les populations en voulaient.

La FESCI, dès sa naissance aussi, avait fait face à toute sorte d’ostracisme de la part du pouvoir. Mais, comme l’histoire ne peut être arrêtée par l’homme si ce n’est la retarder, lorsque nous allions déposer les statuts du mouvement, Guillaume NASSA, fils de Nassa Dakoury, un membre lui aussi du PDCI de Lakota, qui nous reçut à la Préfecture de la Ville d’Abidjan. Il n’hésita pas une seule seconde et nous donnât l’attestation de dépôt des statuts. A ce jour, je ne sais pas si la FESCI a eu droit à un document final de reconnaissance, de la part de l’Etat post-colonial ivoirien ou si elle fonctionne encore sur la base de ce document qui ne devrait, en principe, durer que trois mois. Le législateur, prévoyant la mauvaise foi du gouvernant, avait estimé que les associations pouvaient fonctionner si l’Etat faisait défaut en le leur donnant pas, dans le délai réglementaire, leur attestation définitive de légalisation. Ce fut le cas de la FESCI.

C’est cette organisation qui allait prendre toute la classe politique à revers pour s’imposer, en moins d’une année, comme une des forces politiques et sociales de notre pays. Il s’agit désormais de savoir pourquoi ou alors comment cela fut fait. Certainement que, dans le livre témoignage que j’ai rédigé depuis 1996 pour ne pas perdre le fil des événements qui se sont déroulés sous ma mandature, des détails seront exposés. Cependant, il me parait important de donner les fondamentaux qui m’ont permis de faire le travail qui m’était demandé par les élèves et étudiants de Côte d’Ivoire, après leur descente dans les rues pour exiger le changement. Car, comme je le disais plus haut, la descente dans les rues n’est que le moment de la rage et de la colère. Il ne s’agit pas de rester à ce stade mais de passer à l’étape organisationnelle et structurelle qui permet de faire porter, à une institution, l’expression de cette colère. La FESCI, en naissant, devrait donc se battre pour que la réalité estudiantine et scolaire change. Il lui fallait aussi faire en sorte que le pluralisme qui avait fait défaut et qui expliquait, en leurs yeux, les causes principales des dérives dans la gouvernance de notre pays, devienne tout aussi réel. Cela était d’autant plus important que sans le pluralisme, La FESCI n’avait pas aussi de droit d’exister.  Exister et faire survivre notre idéal devenaient ma mission en tant que premier dirigeant de l’organisation. Et ce, d’autant plus que notre choix, comme premier secrétaire général, Koné Laurent Alexis, dénoncé par le puissant président du Mouvement des Élèves et Etudiants de Côte d’Ivoire, MEECI, section du PDCI dans le monde scolaire et estudiantin, le soir même de notre assemblée générale, avait dû fuir la lutte sous la pression immédiate de sa famille. Une semaine après, les camarades me donnaient mandat pour conduire à l’existence et rendre réelle, notre volonté de changement et de progrès académique et socio-économique.

 

Lorsque je prends la tête du nouveau syndicat, je me dois de relever le triple défi de sa crédibilité, son implantation et de son efficacité, pour justifier qu’il devienne une force sociale et politique! Le Démocrate, Cheick Anta Diop, Mao, et la littérature de la Gauche mondiale allaient être mon inspiration pour la stratégie et la tactique si je voulais atteindre ce but. Le temps de la pratique était arrivé et créer cette chimie entre la connaissance et la pratique allait être exaltant.

La crédibilité du mouvement se mesure avant tout par celle de son leadership, dans sa démarche et ses méthodes. Aussi, très tôt, je comprends que devenir le premier responsable des étudiants démocrates, soulève une problématique de compatibilité avec mon statut de filleul de la république puisqu’en raison du rôle historique de mon père dans le destin du PDCI, je suis bénéficiaire des subsides de la présidence. C’est donc sans surprise que le tout puissant vizir de la République, le Premier Ministre de fait de la Côte d’Ivoire depuis 1960, cumulant le poste de secrétaire général du gouvernement et de la présidence de la république, Alain BELKIRI, me convoque à la présidence un matin de juillet 1990. Notre entretien est fort poli mais il me signifie que je suis dénoncé par mes propres camarades comme celui qui les dirige depuis la création du mouvement. Je reste de marbre mais je comprends qu’il y a une décision que j’attends. Effectivement, il me signifie que désormais je ne pourrais plus avoir d’argent de la présidence. Il continuait pour souligner que ma position aurait des répercussions sur mes frères et sœurs parce que leurs leur bourse présidentielle et autres moyens dont tous bénéficions, seraient aussi coupées. Le sacrifice de soi et des siens ! L’image de la Reine Abla Pokou me trottina rapidement dans la tête. Mais le vin était tiré et il fallait le boire! Voilà ce qu’à coûter la crédibilité du leader que je suis devenu par le hasard de la sélection par moi de mon neveu, AZOWA Beugré Amos, comme principal rédacteur des textes de mobilisation de la lutte estudiantine au lendemain des incidents de la nuit du 19 février 1990.

L’implantation du mouvement fut assurée par la sélection, pendant des semaines, des différents camarades qui étaient sur le terrain dès les premières heures des manifestations. On remarquait que beaucoup avaient été retournés par le pouvoir qui les avait sélectionnés pour en faire des loubards qui casseraient toute organisation de lutte estudiantine. Mais nombreux étaient encore ceux qui y croyaient. Les Charles Zagbo Groguet, Made Gueu, Mampo Gérard, Djue Ngoran Eugène, Tapé Grégoire Marius, Fanny Cissé Moussa, Touré Moussa dit Zeguenn et bien d’autres, vont rejoindre les membres présents à L’Assemblée Générale Constitutive pour former un groupe compact et déterminé. La création, par la suite, des sections universitaires et dans les lycées et collèges, va suffisamment donner de l’ossature à l’organisation. Les activités de mobilisation, ainsi que les meetings, ajoutées aux assemblées générales au cours desquels le débat était démocratique, ont fini de donner d’une part du crédit, mais aussi et surtout, de la praxis aux différents membres, pour que l’organisation ne soit pas à la solde de quelques individus mais devienne une force qui compte.

Avec les victoires d’abord sur la corruption et ensuite sur le pouvoir par la satisfaction des revendications du mouvement du 19 février 1990, la FESCI est devenue, au fil des années, une force sociale avec laquelle il fallait désormais compter. Notre stratégie consistait tout simplement à ne point faire de compromis avec les principes fondamentaux d’intégrité morale et éthique, gage de la crédibilité de la direction et du leadership. La raison en était simple. Tout compromis moral ou éthique devenait compromission et donc incapacité à faire face à la machine répressive de l’Etat par le chantage possible. A partir du moment où cette arme que tout pouvoir utilise n’est plus possible, seule la répression physique ou mentale peut amener le leadership d’un mouvement à se saborder par la compromission. La tactique restait de faire en sorte que l’action soit permanente. Le harcèlement par les revendications conduisait aux confrontations qui elles renforçaient l’appareil d’une part, vis-à-vis de sa base, mais aussi et surtout, en interne puisque les flemmards et autres ne pouvaient tenir dans une dynamique de confrontation permanente avec le pouvoir. Ainsi, en se durcissant en interne, l’organisation se renforçait et faisait de plus en plus corps avec sa base. La fusion devient totale lorsque, face à notre détermination et nos positions intraitables, le pouvoir est obligé de passer à la répression violente, notamment, les agressions physiques des membres individuellement, ou collectivement. En ma qualité de leader, tout ce que j’avais à faire, était de rester serein, débout, droit dans mes bottes et conduire les troupes, chaque fois, quelques fois, dans des conditions rudes, au combat.

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Le Général devenu Amiral, Trente années plus tard! La Lutte ne fait que se préciser! Comment ne pas y croire!

En moins de deux années, de Mai 1990 à Août 1992, La FESCI était devenue une force majeure dans le pays. C’est cette force que le premier complot de ce haut cadre du FPI allait diviser. Dans cette chambre du Kwazulu natal, ce qui se jouait, était tout simplement le jeu favori des faux démocrates : discréditer celui qu’ils considèrent comme leur ennemi principal dans le cadre de leur camp respectif, pour lui enlever toute crédibilité aux yeux de ses membres, ou des composantes sociales du mouvement, avant de l’abattre, si possible, physiquement. Staline disait que l’idée meure avec celui qui la porte. Discréditer celui qui symbolise cette idée de la lutte estudiantine et scolaire, sans compromis, avec détermination et maestria, était le but recherché par ce cadre. Il allait lâchement attaquer le mouvement estudiantin dans sa quintessence en réunissant les membres du Bureau Exécutif National pour leur dire, fermement, sans sourciller : «  Il faut enlever Ahipeaud de la tête de la FESCI parce que les renseignements du FPI à la Présidence sont formels. Il vient de toucher 20 Millions pour liquider la lutte ». Voilà la raison pour laquelle il faut l’enlever !!!.

Dans cette chambre d’étudiante, seul Koukougnon Assoa Jean-pierre, pourtant militant du FPI, refusa ce mensonge et allait m’alerter. Il me trouva chez ma belle-mère, Mme Hatab Olga, vers 19h 30, cette nuit de novembre 1992, pour m’exposer les faits. Il était accompagné de Diarrassouba Mifongo Youssouf.

Diarrass, comme on l’appelait, cette nuit, dit une chose très forte. Camarade SG, je suis Sénoufo et chez nous on n’accepte pas la trahison. Ce soir, Kooky, toi et moi, faisons une alliance contre cette traîtrise. J’étais médusé mais pas surpris. Alors que nos camarades Etté Marcel, Jean ETTE et KIPRE David Vincent faisaient face à une tentative de kidnapping de la part des éléments retournés des Services Secrets Ghanéens et que leur seul salut fut le respect strict des consignes aux frontières données par le Président, Capitaine Jerry Rawlings, et que la Gauche Ivoirienne faisait face à un deuxième complot du régime pour la décapiter finalement après l’échec du complot de Février 1992, c’était un membre de la haute direction du FPI qui portait le couteau de la division au sein de la FESCI. Cet acte n’était pas simplement un sabotage. C’était une intelligence froide avec l’ennemi, le pouvoir néocolonial. Comment cela était-il possible ? Quelle attitude devrais-je adopter parce que je ne devrais pas faire la confusion entre l’individu et la machine? Ou alors, devrais-je conclure en une connivence entre la machine et l’auteur de cette sale besogne?

La problématique de cet acte allait au-delà de celui qui venait de le faire.

Lire la Suite dans deux semaines en raison d’obligations académiques: La Fesci au Temps des Démocrates. Part III & Finale: Le Complot des Faux Démocrates et La Destinée fracturée d’une génération!

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