Par Adama Wade
a clameur suscitée par la mort de l’américain George Floyd, étouffé sous le genou d’un policier blanc, le 25 mai à Mineapolis, a fini par tendre un miroir de vérité aux sociétés humaines. En pleine crise économique liée au Covid-19, avec une ampleur jamais égalée depuis un siècle selon les chiffres de l’OCDE et alors que l’on pense à la transition écologique et au développement durable, les jeunesses de l’Occident découvrent soudain que le discours en vogue sur les inégalités et le coefficient de Gini ne prenait pas en compte l’aspect racial. Que la lutte des classes comme force motrice de l’histoire selon Marx et Engels, réelle au centre de la vision européano-centrée du monde, se diffuse, dans les périphéries ou au sein même du système des Nations Unies, en un «gobinisme» implacable sur le droit des races supérieures à exercer encore des privilèges sur les biens meubles d’hier, assistés d’aujourd’hui.
Aujourd’hui comme hier, l’Amérique, porte-drapeau du nouveau monde, est face à son péché originel : Thomas Jefferson, principal rédacteur de la déclaration d’indépendance américaine du 4 juillet 1769, dans laquelle il est dit que « les hommes sont égaux » était aussi propriétaire d’esclaves. Dans cette nation cristallisée sur le mythe fondateur de la suprémacie blanche, le contrat social de Rousseau est mis en opposition avec le contrat racial de Charles W. Mills, plus conforme à l’histoire de l’humanité depuis la renaissance. Ce péché originel, mortel à notre sens, marque la contradiction permanente entre les idéaux prônés par les grandes démocraties et leurs modèles économiques qui ont battu la prospérité sur l’esclavage, les travaux forcés et l’expropriation, avant d’évoluer depuis le 18 éme siècle et à la faveur de l’évolution de l’outil de production – et non de la morale religieuse ou agnostique- , vers le système que nous connaissons aujourd’hui.
Plus de trois siècles après son indépendance, le gendarme des droits de l’homme, qui fait déboulonner la statue de Saddam Husseïn en Irak au nom des droits de l’homme, n’a toujours pas réglé la question des hommes de couleur en son sein même si, l’on doit s’en réjouir et c’est là la différence avec la période de la proclamation du «Civil right Act» en 1965, les citoyens de l’Oncle Sam, noirs comme blancs, sont majoritairement unis dans le rejet «du privilège de l’homme blanc».
Où placer le curseur ?
Les jeunes qui manifestent aujourd’hui de Londres à New-York prônent un idéal démocratique et égalitaire «peace and love» que contredit le passif non soldé du passé de leurs Nations dans la traite négrière et la colonisation. Et la contradiction entre ce que prétendent être leurs pays, «camp du bien», «monde libre», par rapport à ce qu’ils furent dans un passé encore récent, Haïti n’ayant fini de dédommager les propriétaires d’esclave qu’au milieu du vingtième siècle, suscite l’indignation de ces masses porteuses de bonnes nouvelles dans une période post-pandémie déjà promise aux populistes et aux nationalistes de tout poils.
Mais, dans le déboulonnage annoncé des statues des figures de ce passé violent, bien hardi sera celui qui saura dire où placer le curseur. Doit-on effacer de l’histoire –récit des événements du passé- tout ce qui ne serait pas conforme à nos valeurs d’aujourd’hui et déboulonner la statue de Louis Faidherbe, l’anti- El Haj Omar, à Saint- Louis du Sénégal, celle du Général Lyautey au Maroc,ou encore la colossale reproduction du roi Leopold II surplombant le fleuve Congo et, comme perpétré par les manifestants, la statue de Churchill, vainqueur d’Hitler ?
Nous pensons que l’Afrique, tout en s’appropriant son histoire, doit puiser dans ses ressources intellectuelles et culturelles les moyens de s’affranchir de son statut de victime, non pas en gommant des rues de ses villes le nom des Pasteur mais en construisant son avenir avec pragmatisme, courage et réalisme, loin de tout esprit de revanche. Arracher toutes les pages de cette violente histoire et gommer ses vestiges visibles revient à priver aux générations futures des repères et des témoignages sur la manière dont leurs ancêtres ont été privés de leurs libertés, «premier des biens» comme le disait Sékou Touré en cet inoubliable 28 septembre 1958. Le seul déboulonnage à faire devrait concerner le dépassement des frontières politiques érigées par la colonisation et toujours intactes. La libération totale de l’Afrique viendra de l’invention d’un nouveau réel à partir de nouveaux pactes d’intégration entre africains comme l’établissement de la zone de libre- échange (ZLECA), la libre-circulation des personnes et des biens, la réciprocité stricte dans les droits de déplacement dans le monde (autre expression du privilège de l’homme blanc) le libre transfert des capitaux.
Bref, plutôt que de ruer sur les symboles du passé, façonnons notre réalité d’aujourd’hui en définissant des schémas d’exploitations communes de nos richesses minières. Quand l’Afrique, du Cap au Caire, prendra conscience qu’avec un point d’appui politique et son levier du grand marché commun de 1,2 milliard de personnes, elle peut, à l’instar de la Chine, soulever le monde, alors les préjugés (les lois, elles, ont changé) tomberont d’eux mêmes. Le débat économique panafricain devrait explorer les moyens de transformer les potentialités humaines et économiques du continent et non chercher à réécrire le passé à l’image de son idéal d’aujourd’hui. L’histoire ne saurait se refaire à coup de pioches mais par la maîtrise du présent dans la gestion rationnelle de la cité et l’anticipation planifiée du futur. Ce sont les leçons à tirer de la pandémie du nouveau coronavirus.
Cher ami Wade, il semble que vous rêvez comme un esclave qui accepte son sort. Comment circuler libre, exploiter vous-même vos richesses etc. dans cet environnement qui nous enchaîne, dans ce système de colonisation modernisée, cette domination par l’abondance et maintenue par les armes.
Les vestiges de l’histoire à nous imposée doivent être effacés parce qu’ils ravivent encore plus le complexe d’infériorité, les préjugés à l’égard de notre peau, voire de notre être d’africain n’est pour De gaule, Leopold, ni homme ni animal mais créé par leur Dieu pour les servir.
Je ne souhaiterais pas quant à moi que les enfants de nos enfants, les générations futures apprennent comme notre histoire, l’esclavage de nos ancêtres. Alors si nous pouvons déboulonnons, dégommons tous ce passé qui glorifie en nous l’homme blanc.