Le 11 juin 2020 dernier, La Côte d’Ivoire apprenait avec effroi que le poste avancé de défense de nos frontières avec le Burkina Faso était attaqué par des forces se réclamant d’un groupe islamiste qui opère déjà au Mali et au Burkina. Kong, la région natale du Président en exercice du pays, Alassane Ouattara, fut frappée, laissant une douzaine de militaires ivoiriens au sol. Quelques semaines en arrière, c’était un américain de descendance africaine qui mourrait, après avoir été suffoqué pendant presque neuf minutes, sous le genou d’un policier caucasien, visiblement raciste, pour, dit-on, un faux chèque de $20 ! Au cœur de ces deux actes de barbarie extrême, reste la question de l’idéologie extrémiste qui, dans les deux cas, détermine l’autre comme un être sans valeur dont la mort ne saurait assurément émouvoir son auteur. Bien au contraire, il éprouverait une espèce de jouissance qui le ferait passer, en réalité, pour un psychopathe dont les pulsions poussent à commettre l’irréparable et qui s’en satisfait juste le moment de cette forte poussée émotionnelle. Ces deux actes, bien que similaires, ne sont pas assimilables. Ils seraient mêmes aux antipodes l’un de l’autre en ce sens que l’un est perpétré par des hommes de l’Etat et que l’autre a justement pour objectif ces mêmes forces de défense et de sécurité de L’Etat. Leur similitude se trouve d’une part dans leur motivation idéologique mais aussi dans le contexte global dans lequel nous sommes, celui du Covid-19. A la réalité, ces deux actes attestent clairement que l’homme ne retient rien de sa propre histoire. Chez nous on dit « un chien ne change pas sa manière de s’asseoir ».
Oui ! La question est de savoir si l’on doit désespérer de l’homme tant il est vrai que l’on avait nourri l’espoir que la crise globale qui a frappé notre humanité nous ferait tirer des leçons les plus claires de notre solidarité en tant que créature. Le virus a, en effet, frappé sans savoir qui était de quelle race et de quelle classe sociale. Il a parcouru la terre, à la recherche de vaillants guerriers capable de lui opposer une résistance et un courage sans faille. Et pendant que des milliers de personnes tombaient, tous se sont cachés dans leur tanière pour ne pas se faire remarquer de cette maladie. Il fut, même un moment, où il semblait que se mettre au-devant des caméras pour la sous-estimer, faisait de toi une cible puisque, pour ceux comme Boris Johnson, le Premier Ministre Anglais, qui voulait la défier, la réponse fut fulgurante, ciblée, directe. Mais alors, tous ces courageux racistes et vauriens, étaient tous cachés. Et nous avons cru, l’instant d’un moment, que nous nous réconcilieront avec nous-mêmes en tant que créature divine partageant les mêmes défis.
Et pourtant, le constat est là. Nul ne doit être dupe. A commencer par les Gouvernants qui ont voulu poursuivre leurs agendas politiques et stratégiques sous le prétexte de cette pandémie, aux différentes composantes sociales ou internationales, L’Homme est resté pareil à sa nature de rapace qui n’apprendra jamais de ce qui lui arrive. Maintenant que nous le savons et que nous ne pouvons ne pas l’ignorer, que faire ?
Et c’est là toute la différence entre ceux qui agissent sur des bases structurelles et ceux qui considèrent que la spontanéité est la réponse aux défis du moment. Là où la spontanéité satisfait l’égo ou le besoin immédiat de déverser sa rage, la structuration de la réponse prend beaucoup plus de temps, et devient qualitative. Que dis-je ici ? Sinon que les mouvements de foule en colère contre le racisme ne seront jamais une réponse appropriée à ces questions de fond auxquelles notre race fait face depuis qu’elle a perdu le droit à sa dignité et au respect vis-à-vis des autres composantes humaines en raison de facteurs internes comme externes.
On ne va pas affirmer certes que ce qui s’est passé n’est pas le fait des contingences externes qui nous ont imposées des dynamiques structurelles auxquelles le leadership africain n’a pas pu avoir de réponse appropriée. Ainsi, lorsqu’à la bataille de Tondibi, en avril 1511, une coalition internationale mettait fin à l’Empire Songhaï, faisant sauter le verrou nord de notre continent, toutes les entités étatiques existantes dans le Sud ne s’imaginaient pas que la suite serait l’imposition d’un commerce triangulaire dans lequel notre continent serait contraint d’exporter sa force humaine vers les Amériques, ouvrant ainsi une parenthèse des plus cruelles de notre histoire. Mais alors, qu’ont-ils fait les chefs Africains pour faire face à cette dialectique infernale ? Bien au contraire, même les mouvements de résistance à la colonisation n’ont pas pu imposer leur logique aux forces européennes parce que Bismarck, en 1885, les avaient réunis et avaient donné une rationalité à leur action d’expansion territoriale.
Laissons donc cette Afrique soumise au colonisateur et regardons L’Afrique contemporaine. Faisons mieux en laissant les chefs d’état des indépendances pour en venir à notre génération, celle qui a activé le retour au pluralisme. Admettons, trente années après, que nous avons été instrumentalisés par des aînés ayant une vision étriquée de la démocratie ou ceux désirant maintenir les régimes de parti unique de fait dans un environnement pluraliste. Une génération plus tard, ces aînés, ne voulant plus passer la main à la nôtre, nous trouvent des limites les plus risibles, juste pour justifier leurs idéologies arriérées et décadentes. Ils ont même eu la maestria de transformer la démocratie en régime autocrate de gérontocratie, systématiquement corrompu, et fini de convaincre les tribus instrumentalisées, que c’était dans leur intérêt, quand ils ne crient contre L’Occident lorsqu’ils se sentent isolés. Or nous savons que tout cela n’est que populisme et totale mauvaise foi. Cependant, que faisons-nous ? Rien !
Alors que le Covid-19 a mis fin à toutes les certitudes et que le monde va rentrer en plein, brutalement, dans une nouvelle ère politique, économique, sociale et culturelle, imposant au système capitaliste mondial sa transformation radicale pour survivre, le leadership africain actuel est en train d’organiser la catastrophe qui donnera raison à ceux qui nous ont disqualifiés comme ne faisant pas partie de L’Histoire. A ce titre, ils sont plus que complice du raciste qui a mis neuf minutes sur le cou de Georges Floyd pour l’étouffer et le faire mourir par asphyxie. Ils sont ses partenaires objectifs parce qu’ils nourrissent, par leur inconséquente gestion de nos pays, le racisme et les haines. Ils détruisent nos jeunesses et handicapent notre futur. Pendant ce temps, ils espéreraient que nous courrions derrière les statues des Victor Schœlcher ou Cecil Rhodes pour réclamer leur mise dans les musées de l’Histoire alors que ce sont eux qui le devraient. Aux Amériques et partout dans la diaspora, les descendants d’Africains se mobilisent contre les fausses thématiques. Ce n’est pas plus les noms des colons ou leurs œuvres passées qu’il faut combattre. C’est notre état de conscience idéologique dont il faut se séparer pour regarder la réalité en face et chercher à résoudre nos problèmes, jour après jour, et chercher à gagner, comme Le Roi Christophe d’Aimé Césaire, nous le conseillait, cette bataille permanente de la liberté. Le genou de ce sale flic est certes un détonateur. Mais nos chefs et nous-mêmes sommes tout aussi partis du problème. Et cela, ni Imhotep, encore moins Cheick Anta Diop et tous ceux qui ont démontré notre passé glorieux, ne changeront cette situation si nous restons à ne rien retenir des leçons de notre histoire douloureuse.
Que suis-je en train d’affirmer ? Qu’en définitive, ce ne sont pas les statues qu’on enlèverait des rues qui nous donneraient la force de nous battre pour le changement de notre destinée de « Damnés de la terre » comme le disait Fanon ! Absolument Non ! Ce n’est pas non plus le fait de prendre les rues pendant des mois qui changerait le comportement d’un raciste qui est persuadé, à la vue de nos limites structurelles et institutionnelles, que nous resterons toujours les derniers de l’Humanité. C’est tout simplement en remettant en cause d’une part, notre façon de réagir aux évènements et d’autre part notre posture.
Si la colère est bonne à être exprimée dans un premier temps, c’est la suite organisationnelle et comportementale qui justifie, en dernière analyse, l’utilité de cette réaction. Si nous devons continuer à faire et être comme nous l’étions avant ce qui nous aura conduits dans la rue, alors, cela ne valait strictement pas la peine. Si, le complice du système reste complice, si celui qui joue la carte de la victime reste dans sa culture de victime et qu’il ne se réveille pas pour s’assumer, si le drogué continue de prendre ses drogues et le kleptocrate a piller les caisses de la nation au détriment des investissements à faire pour radicalement changer notre dynamique de développement, en somme, si tout reste comme si nous étions dans « le meilleur des mondes », alors, Georges Floyd aura été tué pour rien et le nom de Treich Lapleine n’a pas besoin d’être enlevé de Treichville et la statue de Cecil Rhodes, être l’objet de critiques et de vociférations. Et le pire sera que le Covid-19 n’aura rien été qu’une autre maladie ! Que Mickael Jordan fasse son travail tout comme Ahipeaud Martial. Trump est en train de faire le sien. Alassane Ouattara devrait aussi faire mieux que lui. Que nos enfants performent à l’école, dans les arts et sciences tout comme les enfants de nos amis d’en face. Voilà ce dont il s’agit. Et ce serait vraiment regrettable si cela n’est pas le cas. La question est de savoir si nous oserons entamer ce chantier du changement, ayant tiré la leçon de la pandémie et de la mort de Georges Floyd ?
Bienvenue sur mon blog !
Abidjan, Le 15 Juin 2020
AHIPEAUD Martial Joseph, PhD
Président de L’Union des Anciens de la Fesci
Enseignant-Chercheur, Département d’Histoire
Université Alassane Ouattara de Bouaké
République de Côte d’Ivoire
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