Collectif Afrique du PCF 27 mai 2020
Note sur la ratification du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord
de coopération entre le Gouvernement de la République française et les
Gouvernements des États membres de l’Union monétaire ouest-africaine
OPA hostile de la France et de l’Union européenne sur l’ECO, pour prolonger le FCFA
L’accord de coopération monétaire entre les gouvernements des États de l’Union monétaire
ouest-africaine (UMOA)* et le gouvernement français, signé le 21 décembre 2019, vise à
réformer les instances et le fonctionnement du FCFA.
Il doit être ratifié par les parlements concernés par cet accord.
Il prévoit :
– La suppression de l’obligation de centralisation des réserves de change sur le compte
d’opérations au Trésor ;
– Le changement de nom de la devise ;
– Le retrait de la France des instances de gouvernance de la zone et la mise en place
concomitante de mécanismes de dialogue et de suivi des risques.
* Bénin, Burkina, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo
Sur la forme
Le projet a été construit loin des regards. L’annonce faite le 21 décembre 2019 à Abidjan avec
l’ultra-libéral Alassane Ouattara, installé par les chars français en 2011, ne doit rien au hasard.
Une fois de plus, les peuples africains n’ont pas été conviés aux discussions. Ils apprendront
dans la presse ce que Paris, Bruxelles et quelques dirigeants africains bien choisis ont décidé
pour eux.
Quant à l’affirmation que ce serait « les autorités de l’UMOA (qui) ont fait part de leur souhait
de voir évoluer le fonctionnement de leur coopération monétaire avec la France », on peut bien
sûr en douter. La pratique visant à faire croire que les anciens pays colonisés seraient
demandeurs n’est pas nouvelle.
État des signatures et ratifications
L’accord a été signé par le Ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire et par
l’ensemble des Ministres des Finances des États membres de l’UMOA. La ratification est en
cours dans chacun de ces États. À ce stade, aucune notification officielle de ratification n’a été
adressée à la France.
Comme à son habitude, la France ouvre la voie, les autres devront suivre.
Sur le fond
Comme l’indiquaient des intellectuels africains dans une déclaration en janvier dernier, « si
certains symboles gênants, associés au franc CFA, vont disparaître, les liens de subordination
monétaire sur le plan légal et sur le plan de la conduite de la politique monétaire restent en
place ».
La porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye ne s’y trompe pas quand, après la présentation
du projet de loi en conseil des ministres, elle fait allusion à une fin symbolique : « Cette fin
symbolique devait s’inscrire dans un renouvellement de la relation entre la France et l’Afrique
et écrire une nouvelle page de notre histoire ».
L‘étude d’impact attachée au projet de loi rassure les parlementaires sur la question des intérêts
français. La coopération monétaire, anciennement liée au FCFA et demain à l’ECO, est
préservée :
« Les paramètres fondamentaux de la coopération ne sont toutefois pas modifiés : le régime de
change demeure inchangé, avec un maintien de la parité fixe entre l’euro et la devise de l’Union
tout comme la garantie illimitée et inconditionnelle de convertibilité assurée par la France ». [1]
L’accord « pose les axes de la réforme (…), tout en conservant explicitement le régime de
change fixe vis-à-vis de l’euro ». Le gouvernement français ne masque pas cet arrimage, il le
spécifie « explicitement ».
L’ancrage à l’Euro est un outil essentiel de l’ingérence monétaire. La politique monétaire des
pays concernés sera dépendante de celle de la Banque Centrale Européenne. Cette parité
fixe a pour résultat de garder prioritaire la lutte contre l’inflation au détriment d’un véritable
développement industriel, agricole et d’une politique de progrès social.
La « rénovation » du CFA laisse aussi de côté la question de la transférabilité qui permet aux
entreprises notamment multinationales de soustraire leurs bénéfices aux pays africains. Elle fait
également l’impasse sur le manque criant d’échanges économiques entre pays africains.
Par ailleurs, le retrait annoncé de la France des instances de gouvernance de la Zone, est modulé
par la « présence au Comité de politique monétaire (CPM) de la BCEAO [Banque Centrale des
États d’Afrique de l’Ouest, ndlr] d’une personnalité indépendante et qualifiée nommée intuitu
personae par le Conseil des Ministres de l’UMOA, en concertation avec la France (article 4).
Cette personnalité, qui prendra part aux délibérations, sera choisie en fonction de son
expérience dans les domaines monétaire, financier ou économique ».
Le détail des principes généraux des relations entre la France et les instances de l’UMOA sera
précisé après la ratification du projet de loi. On demande aux parlementaires de se prononcer
sans avoir connaissance de ces détails précisés dans des « textes subordonnés (convention de
garantie ; échanges de lettres entre la France et la BCEAO pour fixer les modalités des
échanges d’information nécessaires pour permettre à la France de suivre l’évolution de son
risque ; détermination par accord ad hoc des parties pour les réunions techniques de suivi) ».
La France à la manœuvre
Face à l’aspiration grandissante des peuples et des pays africains à la souveraineté politique et
économique, le gouvernement français manœuvre.
Les quinze pays de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest)
avaient retenu en juin 2019 à Abuja (Nigeria) le nom de l’ECO pour leur projet de monnaie
unique régionale ouest-africaine. Aboutissement d’une lente gestation initiée en 1983, reportée
de nombreuses fois, accélérée depuis quelques années, mais loin d’être prête tant les critères de
convergence exigés des pays membres sont irréalistes.
Il ne s’agit pas ici de se prononcer sur la nature du projet – très libéral – de la CEDEAO, mais
de constater que la France s’est clairement invitée pour perturber le jeu. Elle a récupéré en
quelques sorte le projet – y compris le nom – pour le modifier et en faire un outil au service de
ses intérêts et des intérêts européens. D’ailleurs le jeudi 16 janvier, dans le cadre de la Zone
monétaire ouest-africaine (ZMAO), le Nigeria et cinq autres pays de la CEDEAO ont condamné
la décision de l’UMOA de renommer « unilatéralement » le franc CFA en ECO et de « voler »
en quelque sorte le projet de monnaie de la CEDEAO nommé également ECO…
Une course de vitesse est donc engagée. Le calendrier précipité. En pleine pandémie de
COVID, la ratification du projet de loi est lancée à Paris.
Seule l’Afrique de l’Ouest est concernée, ce qui confirme la nature de la manœuvre. Les six
pays de la Communauté économique et monétaire d’Afrique Centrale (CEMAC) sont tenus à
l’écart de la réforme, de même que les Comores qui possèdent eux-aussi un franc CFA. Il
n’existe pas en Afrique central de projet monétaire concurrent, inutile donc de proposer une fin
symbolique du CFA pour cette zone…
En lieu et place d’un panier de devise, il s’agira d’un arrimage à l’Euro. Cette OPA hostile de
la part de l’État français sur le projet de monnaie ouest-africain est aussi réalisée pour semer le
trouble et la confusion. Elle avive des tensions. La France clame que « l’objectif était de
parvenir à une réforme participant à la modernisation de l’UMOA, mais aussi facilitant son
extension progressive aux sept autres pays de la CEDEAO ». Chacun sa vérité.
Les pays de la CEDEAO non membres de l’UMOA accepteront-ils de se plier à ce nouvel
« Eco » arrimé à l’Euro ? Rien n’est moins sûr
Paris choisi la politique du fait accompli. En imposant son propre agenda, il coupe l’herbe
sous le pied des pays anglophones – dont la locomotive Nigeria – et espère inscrire dans le
marbre les logiques contenues dans l’accord de coopération avec l’UMOA.
En difficulté face aux opinions publiques africaines, le gouvernement français a fait preuve
d’une manœuvre subtile. Il n’est plus sur la défensive. Il devient proactif et impulse la marche
à suivre. Pour les opinions, c’est un coup de poker : il lui faudra réussir à scénariser la fable
de la fin du FCFA. C’est aussi cela qui est en jeu et qu’il s’agit de déconstruire.
Un projet de loi pour perpétuer les mécanismes de la domination monétaire du FCFA
La question posée pour nous est la suivante : s’agit-il, avec cette fin annoncée du FCFA, de
parachever la décolonisation ? Non. La meilleure preuve est toute simple, elle réside dans
l’existence même d’un accord de coopération monétaire entre la France et les pays de
l’UMOA. Cet accord décidé loin des peuples est rendu davantage présentable que le vieux et
connoté FCFA dont la survivance devenait problématique. Débarrassé de ses oripeaux, il n’en
constitue pas moins un accord de domination. Si le gouvernement français voulait mettre fin au
FCFA et à ses mécanismes, il se serait désengagé en menant une large concertation en amont
avec les gouvernements et les peuples, leurs représentants, les sociétés civiles. Il n’y a rien de
tout cela.
L’État français ne sort pas de la logique de domination monétaire. C’est l’occasion, 60 ans après
les indépendances, d’appeler à faire un bilan pour évaluer si la perpétuation de cette coopération monétaire est nécessaire.
La tutelle post coloniale, monétaire, économique, militaire, a-t-elle été de nature à ouvrir des
perspectives, à améliorer le sort des peuples en Afrique francophone ? A l’évidence non. Le
bilan est affligeant dans l’ancien pré-carré, entre maintien sous tutelle de régime dictatoriaux,
autoritaires, les déstabilisations, les guerres (Centrafrique, , Sahel…), les États faillis, l’incapacité à répondre aux défis sociaux, économiques et environnementaux…
Il n’y a donc aucun intérêt à reconduire une page de coopération monétaire, mais si elle est
présentée comme nouvelle. En réalité rien ne change.
Le gouvernement français est obligé de manœuvrer en recul, ce qui est à mettre au crédit des
prises de consciences et mobilisations en Afrique, mais il ne sort pas de la logique de domination.
Parce que nous sommes pour la fin du FCFA et des mécanismes qui le régissent, une des
étapes nécessaires pour parachever la décolonisation, il est proposé de s’opposer à ce projet de
loi qui ne fait que les perpétuer sous un autre nom, voire de tenter de les élargir à d’autres pays,
une fois les « irritants » politiques enlevés.
Le Parti communiste français, qui a apporté sa pierre dans la résurgence et la montée du débat
pour le dépassement du FCFA, devra poursuivre la démarche. D’autant que les projets officiels
en cours sont tous d’essence libéral, et que montent les sentiments nationalistes ou anti-français
– sur fond de racialisme, stériles et dangereux donc instrumentalisables par les dominants. Ce
danger n’est pas à sous-estimer. En plus de l’obscurantisme, c’est un piège supplémentaire en
Afrique de l’Ouest, équivalent à celui de l’extrême droite ici ; les ramifications sont d’ailleurs
connectées.
D’où l’importance d’avancer sur une alternative de progrès pour la pleine souveraineté monétaire et économique des peuples et des pays africains en concertation avec les forces progressistes sur nos deux continents.
Dominique JOSSE, Félix ATCHADE et Daniel FEURTET pour le Collectif Afrique
1
Cette étude d’impact explique non seulement aux députés que rien de fondamental dans la tutelle monétaire
ne va changer mais qu’en plus la mise en œuvre de cette tutelle va coûter moins chère : « La fin de l’obligation
de dépôt des réserves de change de la BCEAO sur le compte d’opérations entraînera également la fin de la
rémunération avantageuse des avoirs déposés sur le compte (à un taux de 0,75% actuellement). Pour mémoire,
ce sont respectivement 40,6 et 40,4 M EUR qui ont été versés à la BCEAO en 2018 et 2019. Enfin, la garantie
de change dont bénéficient les sommes déposées par la BCEAO sur le compte d’opérations disparaîtra
également. Les dépôts obligatoires de la BCEAO bénéficient actuellement d’une garantie de non-dépréciation
par rapport au panier de devises internationales constitutif du droit de tirage spécial (DTS) ». Tout est dit.
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