La survenance du Corona-virus (ou Covid-19) peut t´-il être le point de départ d´un développement harmonieux en Afrique et plus précisément en Côte d´Ivoire?
Au premier abord, la question et la référence à un virus si destructeur peuvent paraitre antinomiques. Observons donc de près les faits actuels plutôt sous l´angle de l´effet catalyseur.
Un de mes professeurs, analyste en survenance de sinistres industriels, a l´habitude de dire que l´humanité a besoin de crise pour s´améliorer ou du moins faire des bonds spectaculaires en avant. Mais il ajoute que pour tirer profit d´une quelconque crise, il faut se poser les bonnes questions !
Ainsi les pandémies des 19 et 20ième siècle (peste, grippe espagnole, choléra, etc.), ont poussé l´espèce humaine à faire des progrès en médecine, en assainissement des eaux, etc. Certainement qu´en ces temps-là, les bonnes questions ont été posées.
Au plan institutionnel, l´humanité a créé des entités telles que l´ONU, le FMI, la Banque Mondiale et aussi l´OMS -une organisation très en vue ces jours-ci-, juste après les différentes guerres mondiales avec leur lot de dégâts matériels, de morts et de désolation pour toute la planète terre. Ces exemples, on en trouve dans tous les domaines d´activités humaines, tels que ceux de la technique, avec comme exemple frappant, le naufrage du bateau „Titanic“. Les constructeurs de bateaux en ont tiré les conséquences et ont apporté des améliorations en adaptant les conditions de sécurité ainsi que les matériaux utilisés dans la construction navale.
La création de l´OMS obéit aussi à la même logique. L´humanité a eu à faire face à des pandémies, qui nécessitaient une institution de coordination à l´échelle mondiale. Au niveau régional, national et local, cette approche est tout aussi valable et sensée.
Ceci pour dire que la crise du Covid-19 aura des conséquences inédites sur le monde y compris l’Afrique. Déjà en Europe, les décideurs politiques se posent des questions sur leur capacité de production, qui pour certains produits, est dépendante de la Chine à 60/70%. La désindustrialisation de la vieille Europe subira certainement des changements ou des correctifs à la suite de réflexions très profondes. La population européenne n´acceptera certainement plus qu´on lui livre des arguments du genre, „il nous manque des respirateurs et des masques pour faire face à la pandémie x ou y“. En cela, le cas de l´Italie est édifiant à bien des égards. Voilà un pays développé ou considéré comme tel, incapable de s´occuper correctement de ses malades par manque de matériels de protection pour le personnel médical, sans parler de la population. Il va s´en dire que les décideurs auront des comptes à rendre à une population particulièrement affectée par cette crise-là! Il en sera de même en France (les services publics ont manqué de masques pour faire correctement leur travail), en Espagne et certainement aussi aux USA, un des pays les plus riches du monde, où seulement une mineure partie de la population peut se soigner convenablement.
Le covid-19 révélateur du disfonctionnement de l´administration ivoirienne
En Côte d´Ivoire, les débuts de la crise du Covid-19 ont déjà permis de détecter quelques failles du système de décision en cas de crise sanitaire aiguë. Certes le Président de la République avait déjà annoncé dans son discours devant le Parlement et le Sénat, avoir fait le nécessaire du point de vue financier pour faire face au Covid-19, mais les ratés de « l´épisode de l´INJS » ont rendu les Ivoiriens et Ivoiriennes perplexes. On a vu un Ministre de la Santé « quelque peu perdu », que les « amazones » du gouvernement essayaient d´épauler. La Primature et la Présidence étaient aux abonnés absents. Il a semblé un moment, que le « bateau ivoire » était sans capitaine. L´intervention du Chef de l´Etat a fini par mettre tout le monde d´accord, que les choses devaient être recadrées. Il est tout de même permis de se demander à quoi servent la Vice-Présidence et/ou la Primature, quand on a un Gouvernement de qualité? Ce débat n´est certainement plus celui de l´actuel Chef de l´Etat, mais pour ceux ou celles qui lui succèderont ; il le leur sera servi, à leur corps défendant.
La législature actuelle arrivant à sa fin, point besoin d´épiloguer sur la compétence des Ministres de la République. Quoiqu´il en soit, l´épisode de l´INJS nous permet de questionner les responsables de la santé sur le fonctionnement de la chaîne de décision ou de commandement dans notre administration de façon générale. Dans le cas d´espèce, le Président de la République semblait dire, j´ai fait ma part. Le Ministère clé concerné, celui de la Santé, avait expliqué être prêt avec certains détails précis. À l´analyse on se rend compte que les décisions arrêtées sur papier n´ont pas été mises en application avec la rigueur recommandée. Hélas, cela semble être une constante dans nos pays! On pourrait se demander si le Ministère a une réglementation claire et nette sur les lieux de mise en quarantaine en Côte d´Ivoire et si „oui“, que disent les textes de cette réglementation. Si „non“, pourquoi n´y en a t´-il pas ? Je pars de l´hypothèse que la Côte d´Ivoire a bien une réglementation dans ce domaine. La question est de savoir comment elle est mise en place et surtout comment on s´assure de la mise en place effective des mesures, et quel est l´organe de contrôle de qualité en cas d´application. Dans le cas de l´INJS, qui nous sert d´exemple, l´environnement ou le cadre semblait ne pas être propre et aucune disposition sanitaire ne semblait être en place pour accueillir, conseiller et au besoin prendre en charge les cas suspects.
La pertinence de ces questions et les solutions proposées pourraient servir aux autres ministères et services de l´état, car comme mentionné plus haut, la chaîne de décision est très souvent défaillante. C´est d´ailleurs pour cela, que l´homme de la rue ou le citoyen lambda en appelle, pour un „oui“ ou un „non“, au Président de la République ! Imaginez donc un Président de la République, qui en plus de jouer sa partition, devrait aller jouer au contrôleur de chambres à l´INJS ou de salles de classes d´un lycée à Zouan-Hounien !
Déconnection de l´opérationnalisation des tâches de leur gestion purement administrative et politique
C´est le lieu ici de faire remarquer que, nous avons tous et toutes nos talents, nous permettant de servir ici et là. Mais tout comme dans une équipe de football, un excellent attaquant ne fait pas automatiquement un bon gardien de but. En Côte d´Ivoire, il n´est pas rare de trouver des personnes réclamant à cor et à cris d´être nommées à des postes de responsabilités ou de voir des politiciens voulant à tout prix devenir ministre ou au mieux président de la république. Mais ont-ils ou elles les aptitudes et les capacités nécessaires pour accomplir la tâche avec excellence et pour le bien-être de la population ? Avons-nous en Côte d´Ivoire un casting permettant de choisir ceux ou celles mieux adaptés pour occuper les postes de responsabilités non électifs ?
Ces interrogations me permettent de faire quelques observations sur la gestion publique des dernières décennies en Côte d´Ivoire. S´il y a un aspect de la période de gouvernance au goût d´inachevé ou amère du FPI, qui a attiré positivement mon attention, c´est l´idée de faire „appel à candidature“ pour les „régies financières“ eut égard au problème de corruption difficilement maitrisable dans notre microcosme. L´idée était certainement d´avoir la main libre pour sanctionner ou licencier les gestionnaires choisis sur cette base et s´étant avérés incompétents ou véreux par la suite, en n´écartant l´influence d´être le camarade du parti ou le/la protégé(e) de X ou Y. Cela semble avoir très bien fonctionné, car les services ainsi gérés (exemple Service des Douanes) ont été les plus performants, permettant d´éviter certainement l´asphyxie totale de l´administration malgré la crise économique aiguë de 2000 à 2010.
„On ne change pas un système gagnant, on l´améliore plutôt!“ Selon cette maxime, il me semble nécessaire de faire usage de cette méthode pour rendre notre administration performante et excellente. Prenons par exemple le secteur de l´Education Nationale ou Supérieure. Combien de fois n´a-t-on pas entendu lors de grèves des élèves, étudiants ou enseignants, des revendications relatives au cadre du travail (insuffisance de salles, absence ou dysfonctionnement de la climatisation, manque de toilettes, etc.)? Et cela depuis des décennies. Étant donné que la fonction principale dans l´enseignement c´est de donner un enseignement de qualité ou mieux un enseignement d´excellence, il est bien possible de déconnecter tout le reste pour le confier à un gestionnaire, choisi sur la base d´un appel à candidature, et de définir un cahier de charge bien clair avec le candidat choisi. N´étant pas le protégé de X ou Y et n´ayant pas été choisi sur la base de son appartenance au parti, le gestionnaire à l´aisance de gérer et les responsables adminstratifs/ves ont une relation saine avec lui, car les objectifs sont fixés et mesurables.
Valorisation de la recherche comme vecteur de développement et de création de richesse
Certains commentaires dans la presse ces dernières semaines, faisaient volontier le lien entre la situation de détresse créée par le Corona-virus et l´état de la Recherche en Côte d´Ivoire. La situation du manque de gels désinfectants a montré, que le domaine de la Recherche peine à apporter un soutien conséquent aux efforts de la Côte d´Ivoire dans cette situation de crise où elle en aurait énormément besoin. Bien sûr il y a eu de très bonnes initiatives, comme celles de l´Institut Pasteur et surtout du secteur privé (sociétés biomédicales, prestataires de service de drones, etc.). Mais pour un pays comme la Côte d´Ivoire, qui se veut l´une des locomotives innovantes de l’Afrique ou du moins de l´Afrique de l´Ouest, la moisson n´y est pas. Ici également le premier gestionnaire du secteur de la Recherche Scientifique semblait absent. Il est évident que les Ivoiriens/Ivoiriennes voudront bien savoir à quoi leur sert ce secteur, avec des chercheurs, qui coûtent tant d´argent au contribuable. Le Corona-virus offre là aussi, une belle occasion de réajustement.
On entend très souvent les gouvernants dirent qu´il faut créer de la richesse et ils ont si bien raison. Peut-être que le mot recherche a trop longtemps été accaparé par les enseignants du Supérieur, ce qui en fait un domaine exclusif où personne d´autre n´ose s´y aventurer. Pourtant, il suffit de lire l´histoire par exemple de Elon Musk (Fondateur de Tesla, SpaceX et Co-Fondateur de PayPal) pour se convaincre que la recherche ne saurait être une chasse gardée des enseignants du Supérieur. Le CNRA, cet institut de recherche agronomique ivoirien, sans lequel le succès de l´agriculture n´aurait cette résilience respectable, est un autre exemple, local celui-là.
Globalement l´enseignement et la recherche sont en panne en Côte d´Ivoire depuis bientôt 30 ans et le pays peine à y remédier. Pour ce qui est de la Recherche dans l´Enseignement Supérieur, il y a certainement des pistes de réflexions possibles. On pourrait bien faire le parallèle entre le secteur des infrastructures routières, aussi en panne depuis 30 ans et boosté en avant ces 10 dernières années par l´actuel régime, surtout par l´action volontariste du Président de la République. Sur cet aspect, que disait t´il, quand on lui reprochait de construire des routes que l´on ne mange pas ? Il a pris la peine d´expliquer que les routes étaient nécessaires pour l´agriculture (acheminer le vivrier du champ au lieu de commercialisation), pour l´industrie (la mobilité des travailleurs et des marchandises) et pour le service (la fiabilité du support aux deux premiers secteurs cités). Il a aussi dit qu´il avait pour objectif de faire de la Côte d´Ivoire un pays émergent à l´orée 2020. Sur ce dernier point le compte n´y sera pas, mais au fil du temps chacun aura compris qu´il y a un lien entre la route et le développement.
Alors qu´en est t´il de la Recherche ? A t´on fait une analyse de causes à effets ? Un pays peut-il y avoir un développement soutenu et résilient sans capacités conséquentes de recherches scientifiques, techniques et technologiques ? Une analyse de tous les pays développés (Japon, USA, Allemagne, etc.) ou émergents (Corée du Sud, Inde, Brésil à bien des égards, etc.) montre bien que l´un ne va pas sans l´autre. On est donc en droit de se demander, la place et l´intérêts accordés par la Côte d´Ivoire à la recherche de façon générale dans son plan directeur de développement.
Ce sont des questions qui seront certainement posées pendant et après la crise du Corona-virus!
Il est évident que la Recherche a besoin de fonds pour mener à bien sa mission. Si les gouvernants ajustent leur vue sur la Recherche, en la voyant comme précurseur de nouveautés, de créations nouvelles de richesses et support indispensable à l´ensemble des activités de la Côte d´Ivoire, alors on y mettra le sérieux pour que la situation actuelle change. Un chercheur a besoin de fond de recherche et non de prime pour quelque chose qu´il ne peut même pas accomplir.
Extension des reformes à plusieurs autres secteurs vitaux du pays
Le cas du secteur dit informel est édifiant à bien des égards. Voilà que la Côte d´Ivoire néglige ou traite avec condescendance 60 à 70% de ses avoirs/richesses sous prétexte que, ce serait informel. Tout au plus ceux qui travaillent dans ledit secteur sont soit employeurs, employés ou prestataires de service individuels. Là aussi je vois un creuset inépuisable d´épargne nationale, qui bien mobilisée pourrait bien nous rendre encore moins dépendant de crédits extérieurs. C´est donc une question de prise en considération, de réflexion, de gestion et d´approche positive pour en faire une force nationale.
On pourrait continuer cette liste et l´étendre à plusieurs domaines, comme ces quelques exemples ci-dessous à analyser de plus près, bien entendu sous le prisme de leur développement soutenu et durable:
– Gestion de la population (planning familial) en relation avec son caractère agricole lié au problème de terre cultivable et de la biodiversité;
– Structure, organisation et gestion de nos villes et nos villages;
– Structure, organisation et gestion de nos marchés publiques;
– etc.
Je voudrais terminer pour dire que la Côte d´Ivoire, si elle pose les bonnes questions, pourrait booster son développement et atteindre un meilleur devenir pour le bien-être de son peuple en fait très travailleur et très résilient, qui ne demande qu´à pouvoir enfin faire usage de son énergie positive, que l´on peut observer un peu partout : création des « woro-woro », le dynamisme des marchés publiques, etc…
Les gouvernants doivent et peuvent améliorer leurs capacités de gestion des hommes/femmes et des affaires, mais surtout faire confiance à cette population, qui trouve toujours des solutions à ses problèmes, partout là où les services publics sont défaillants. C´est bien la preuve que si elle est bien encadrée, cette population peut parfaitement réussir le saut de l´émergence et pourquoi pas du développement tout court!
En conclusion, l´apparition de Covid-19 donne là une bonne occasion à la Côte d´Ivoire de poser les bonnes questions, lui permettant de repenser son développement!
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Ladji Tikana, PhD
Consultant en Développement Durable
ladji.tikana@ingenieur.io
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