Par Dr Claude Koudou
De la libération de deux fils du pays à la reconstruction de la Côte d’Ivoire : Quelle approche prospective pour une Côte d’Ivoire nouvelle ?
Le vendredi 28 mai 2020, la Cour pénale internationale a levé les principales restrictions qui avaient été posées au lendemain de l’acquittement, aux libertés du Président Laurent Gbagbo et du Ministre Charles Blé Goudé par la même chambre d’appel. Cette décision est une grande victoire pour les démocrates. Celle-ci mérite d’être savourée avec toute l’allégresse qui est à la dimension des sacrifices consentis.
En observant la pudeur qui doit être requise après une privation de liberté des deux fils du pays, respectivement pendant neuf et sept ans, la conscience collective doit tirer les bonnes leçons pour que la Côte d’Ivoire se propulse en avant.
Avec l’incarcération de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé, ce sont environ dix ans de vie gâchée et de sacrifices qui ont été endurés par tous leurs soutiens. Mais au-delà, de nombreuses personnes sont décédées à ciel ouvert et en prison. Certaines sont encore en prison ; d’autres encore en exil.
De l’hommage aux Diasporas
La diaspora ivoirienne s’est montrée particulièrement inventive et entreprenante pour l’obtention de cette victoire. Sa détermination a entraîné d’autres diasporas – qui ont cherché à comprendre ce qui se jouait afin de s’impliquer – à la différence d’autres pour qui, il fallait « se faire du Gbagbo », peint diaboliquement comme l’ennemi des Français et des étrangers. Une caricature qui n’avait rien de ce que l’homme est en réalité. Et peu à peu, au fur et à mesure de la perte en intensité de l’émotion, la raison a pris le dessus. Comme le dit si bien Laurent Gbagbo lui-même, « le temps est l’autre nom de Dieu ». Il faut acter cela.
Cette raison a même été ressentie et mesurée dans les différentes déclarations de la plupart des témoins qui ont déposé à la Cour pénale internationale alors qu’ils avaient été commis pour intervenir à charge.
Je voudrais ici saluer en général toutes les diasporas et tous les démocrates également au pays qui se sont mobilisés pour dénoncer l’imposture et lui faire barrage. Je voudrais tout particulièrement saluer la diaspora ivoirienne. Nous avons organisé des conférences et des rencontres :
- Dans des villes françaises : Alençon, Nantes, Grenoble, Lyon, Paris, Marseille, Montpellier, Lille, à l’Assemblée nationale française, … Nous avons imaginé et organisé le 30 mars 2013, les états généraux de la résistance ivoirienne ;
- Hors de la France : Caracas (Venezuela), Hambourg (Allemagne), Stockholm (Suède), Newark, Washington, Philadelphie, New York, Boston (USA) Montréal (Canada), à La Haye, dans des chancelleries… et plus d’une vingtaine de voyages au Ghana pour soutenir par ailleurs nos compatriotes exilés, …
Mais nous devons aussi noter que dix ans, c’est un temps où des couples se sont brisés parce que le mari (et/ou la femme) étai(en)t toujours parti(es), dépensant temps, argent et diverses logistiques utiles pour la lutte.
De la prise de conscience effective à l’édification d’une Côte d’Ivoire réellement nouvelle
- A cinq mois de la date de l’élection présidentielle
Le pouvoir en place n’entend toujours pas voir le jeu démocratique s’exercer en Côte d’Ivoire. A cause de ses décisions unilatérales, les partis de l’opposition ont rejeté dans une déclaration datée du 26 mai dernier, les décisions prises en matière électorale par le gouvernement. « Ils ont insisté sur l’impérieuse nécessité de créer les conditions pour des élections inclusives, équitables et apaisées. Ils ont rappelé qu’ils restaient dans l’attente de la décision de la Cour Africaine des Droit de l’Homme et des Peuples sur la CEI et ont exprimé des préoccupations liées, entre autres, à la durée et aux conditionnalités pour l’enrôlement des électeurs… ».
Toutefois, « … Les Partis politiques de l’opposition demandent à leurs militants et militantes de se mobiliser pour la réussite de l’opération des audiences foraines actuellement en cours et de rester vigilants, mobilisés et à l’écoute des mots d’ordre. »
- Pourquoi deux camps « retranchés » en Côte d’Ivoire ?
Avec le taux exceptionnel d’immigration que la Côte d’Ivoire a sur son sol, ce pays ne peut raisonnablement pas accepter les mauvais procès qui lui sont faits. Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé ont été libérés par la justice. Raisonnablement, le pays devrait se retrouver pour repanser les plaies et envisager les pistes pour une reconstruction qui est sensée épanouir le peuple.
Mais certains estiment à l’envie que ces deux fils du pays n’ont pas assez payé pour l’injustice ; ils agitent alors de la haine en orchestrant des manœuvres pour enrôler dans leur forfaiture de pauvres gens crédules. En tout état de cause, des acteurs politiques ne peuvent pas continuer de penser que lorsqu’un « camp » accède au pouvoir, l’autre doit partir en exil. Ce n’est pas l’idée que l’on doit avoir d’une « Côte d’Ivoire nouvelle ».
Il faut dire que les grands pays démocratiques ont connu leurs crises. Ces pays où il fait aujourd’hui bon vivre, ont tiré toutes les leçons des affrontements fratricides et autres, pour effectuer de véritables rebonds. La Côte d’Ivoire d’aujourd’hui, a perdu ses repères moraux, éthiques et démocratiques. Chacun est alors interpellé pour revisiter ses pratiques politiques.
- Quels repères devons-nous restaurer ?
D’abord, il faut intégrer que :
- le contrat social qui a été rompu doit être rebâti pour que le confiance revienne entre le peuple et ses élites ;
- L’éducation nationale et l’instruction civique doivent reprendre leurs chantiers ;
- La Côte d’Ivoire doit se doter d’une armée républicaine ;
- Elle doit créer les conditions pour que toutes ses fils et toutes ses filles aient une égalité des chances pour la promotion dans la société ;
- Que les lois républicaines doivent être respectées pour que la corruption et la violence deviennent de vieux souvenirs…
La liberté d’expression et d’opinion, les fondements de la démocratie et du développement doivent être restaurés pour que la « Côte d’Ivoire nouvelle » – que chacun appelle de ses vœux – devienne une réalité.
- Régler la base des problèmes des Ivoiriens
Les élections d’octobre 2020 ne vont régler aucun problème pour le peuple de Côte d’Ivoire. Bien au contraire, elle va raviver des antagonismes et réveiller les démons de la déconstruction de ce qui reste de la société ivoirienne. Tout en encourageant les Ivoiriens à s’enrôler massivement pour acquérir leurs documents d’identité, il convient d’affronter objectivement les problèmes qui minent la société ivoirienne depuis une trentaine d’années. La réalité est qu’après le décès du Président Félix Houphouët-Boigny, la Côte d’Ivoire n’a pas vu se faire les réformes qui s’imposaient : l’élection présidentielle de 1995 a connu un « boycott actif » à cause des raisons que nous savons tous ; le premier coup d’Etat de l’histoire du pays est intervenu en 1999 ; l’élection présidentielle de 2000 a vu certains candidats ne pas compétir ; l’élection présidentielle de 2010 a été l’occasion d’un énorme gâchis. Depuis, c’est la violence qui rythme le champ électoral et met la population dans la désolation. En fait, dix années, c’est beaucoup. Laurent Gbagbo avait soixante-cinq (65) ans. Il en a soixante-quinze (75) aujourd’hui. Ceux qui en avaient huit (8) en ont dix-huit (18) aujourd’hui. Ceux qui en avaient cinquante (50) en ont soixante (60) aujourd’hui. Quand on sort de là, le changement de paradigme doit être manifeste. Nous devons donc nous ressaisir et rompre avec des pratiques du passé.
Dans un pays comme la Côte d’Ivoire qui veut entrer dans la modernité, les modèles à construire doivent tenir compte de l’environnement mondial. En effet, l’organisation de la société doit s’appuyer sur la promotion des compétences. Aucun pays ne s’est développé en hissant au-devant de la scène un cocktail formé d’opportunismes et de médiocrité.
Au vu de ce qui précède, la date du 31 octobre 2020 doit sonner pour les démocrates ivoiriens, comme une échéance sérieuse. C’est celle qui doit donner toutes les chances à la Côte d’Ivoire de rebondir en vue de sa reconstruction. Cela veut dire que l’opposition ivoirienne doit créer les conditions pour le bien-être du peuple et le pouvoir doit se ressaisir pour sortir la tête haute même si l’on ne doit pas beaucoup rêver pour ce qui concerne le deuxième pan de cette dualité. En réalité, si des élections sont faites au forceps à cette échéance, la Côte d’Ivoire aura raté ses chances de restaurer une paix viable. Puisque quel que soit le camp qui gagnera, ces élections seront contestées. Et le pays replongera dans une crise encore plus grave.
La raison commanderait donc de provoquer l’avènement d’un tour de table. Cette passerelle démocratique qui mettra les différentes sensibilités autour d’une table aura pour devoir d’installer des institutions fortes dans le pays. Une élection présidentielle post-crise est celle qui viendra couronner un processus où les différents protagonistes auront la contrainte de reconnaître le vrai vainqueur et le vrai perdant. C’est ce qu’il faudra réserver à la jeunesse dans son ensemble et aux futures générations.
Au total, nous pouvons nous accorder pour dire qu’un mandat de cinq ans n’est pas une éternité. Il faut donc un paysage politique où l’alternance démocratique devienne un jeu ordinaire. Dans ces conditions, au sortir d’une élection présidentielle, le vainqueur et le perdant doivent reconnaître que c’est la Côte d’Ivoire qui gagne. Ils doivent inviter leurs partisans respectifs à regarder dans une direction qui garantisse les intérêts du pays.
Il s’agit donc d’en appeler à la raison et à la responsabilité pour que les amertumes enfouies, les réflexes frileux, les égoïsmes insensés, les positionnements intéressés et souvent malsains et les accaparements indécents et éhontés, s’estompent pour faire place aux réflexions prospectives qui inspirent le bien-être de tout le peuple de Côte d’Ivoire.
Une contribution du Dr Claude KOUDOU
L’auteur pense que la Côte d’Ivoire devra son salut à une transition même s’il ne le dit pas clairement. Déjà rien qu’à évoquer les conditions et les acteurs d’une hypothétique transition, l’on se perd en conjectures tellement les antangonismes sont marqués. Il faut dire que ce pays a connu au moins une transition qui au final a été manipulée par les mêmes acteurs qui sont encore au devant de la scène politique. La Côte d’Ivoire a mal à sa classe dirigeante qui entraîne le peuple dans toutes sortes de compromissions et de turpitudes au gré des intérêts égoïstes des uns et des autres. À l’aune de la visualisation de la VAR de l’histoire politique récente du pays aucun dirigeant ne sortira indemne. Si chacun se contente de faire ce qu’il a à faire les choses avanceront. Comme ce fut le cas aux élections de 2015, ceux qui voulaient participer, l’ont fait dans le respect de ceux qui voulaient boycotter. Ces derniers aussi ont boycotté sans empêcher ceux qui voulaient voter de le faire. Et les élections ce sont déroulées sans crise-post électorale. Les perdants ont félicité le vainqueur, les boycotteurs ont savouré leur victoire en mettant en exergue le « faible » taux de participation. Le pays s’en est sorti sans trop de problème.
Maintenant si comme l’écrit l’auteur : »Au vu de ce qui précède, la date du 31 octobre 2020 doit sonner pour les démocrates ivoiriens, comme une échéance sérieuse. C’est celle qui doit donner toutes les chances à la Côte d’Ivoire de rebondir en vue de sa reconstruction. Cela veut dire que l’opposition ivoirienne doit créer les conditions pour le bien-être du peuple et le pouvoir doit se ressaisir pour sortir la tête haute… » Ce qui voudrait dire dans son entendement, que le pouvoir ne peut absolument pas gagner les futures élections. Dans ce cas comment pourrions-nous éviter des crises post électorales si l’on peut désigner le perdant des élections en dehors de la vérité des urnes?