BLÉ Goudé Charles sur RFI
« Dans tous les cas, que la condamnation à 20 ans soit intervenue ou pas intervenue, j’aurais été même par élégance, j’aurais été même par devoir, obligé de parler aux autorités de mon pays. Quand vous voulez aller dans un village duquel vous avez été absent pendant plus de neuf ans, l’élégance et la politesse, exigent que vous parliez, que vous preniez langue avec les autorités de ce pays-là. Quand on veut aller dans un village, on parle avec le chef du village pour dire qu’on va venir. La Côte d’Ivoire a changé politiquement, elle a changé socialement, derrière moi elle n’est plus la même, c’est un fait. Je dois d’abord prendre langue avec les autorités de chez moi, pour que je puisse rentrer chez moi, si elles veulent bien me le permettre. »
CÔTE D’IVOIRE / Après son Acquittement – Blé Goudé : » La vie politique ne se résume pas à des ambitions présidentielles » ! ! !
Charles Blé Goudé, ex-leader de l’ex-galaxie patriotique, récemment acquitté par la cour pénale internationale (CPI) était l’invité de la chaîne France 24. Dans l’interview donnée à ce média, il jette une grosse pierre dans le jardin d’un de ses ex-proches au sein du mouvement estudiantin (la Fesci). A savoir Guillaume Soro. Celui qui se fait appeler affectueusement »Gbapè » fait savoir qu’aucune ambition présidentielle « n’est au-dessus de la Côte d’Ivoire ». Ci-dessous l’intégralité des échanges.
La prison, Charles Blé Goudé, vous avez passé 5 ans ici. Avant cela, vous avez été incarcéré en Côte d’Ivoire. Quel effet, çà laisse sur vous ?
Merci. Vous savez, lorsqu’un chef de famille revient de la chasse, il remet le gibier à sa famille sans toutefois raconter toutes ses frayeurs nocturnes. Ce qui est important ici, ce n’est pas ma personne. C’est la Côte d’Ivoire. Moi, en tant que Charles Blé Goudé, est ce que la prison a eu un effet sur moi ? La prison a toujours eu un effet sur un individu qui y met les pieds.
Vous avez souffert ?
La prison, ce n’est pas un lieu de vacance. C’est un lieu avant tout de privation de liberté. C’est un lieu où tout vous manque.
Qu’est-ce qui vous a le plus manqué ?
Mon pays.
Vous êtes ici à La Haye aux Pays-Bas. Est-ce que vous voulez ou vous allez rentrer en Côte d’Ivoire ?
Quelle question ! Vous me demandez si La Côte d’Ivoire est mon pays. Je n’ai que la Côte d’Ivoire comme pays si et seulement si c’est ma seule volonté qui comptait. Je suis dans une procédure qui n’est pas encore à terme. Le jour où cette procédure sera finie, je rentrerai chez moi. La Ci n’est pas de passage. Elle m’attend. Je sais qu’elle m’attend. Et un jour, je rentrerai chez moi. Je n’en doute pas du tout.
La procédure n’est pas terminée. A savoir que vous avez été acquitté en première instance. La procureure Fatou Bensouda peut interjeter appel. Est-ce que pour vous, il faut attendre des heures encore plus difficiles à vivre parce que vous ne pouvez pas rentrer chez vous ?
Non. Pas du tout.
Vous êtes serein ?
Ce que la prison nous a enseigné, c’est la patience. En prison, vous ne maîtrisez rien d’autre que vos émotions, vos désirs, vos envies. Mais la prison n’est pas une perte de temps. Et toute cette situation que j’ai vécue, pour moi, c’est du temps gagné. J’ai eu tout le temps de réfléchir sur le passé de la Côte d’Ivoire, son présent, son futur. J’ai le temps de faire un projet. Et croyez-moi, je ne suis pas du tout impatient. On va parler du passé.
Vous avez quand même été accusé de pires crimes, de crimes contre l’humanité. Sans rentrer dans les détails, lors de la crise post-électorale fin 2010-avril 20111, est ce que vous reconnaissez des erreurs ? Vous avez des regrets ?
Vous savez, chaque débat a ses moments et sa tribune. Comme vous venez de le dire, la procédure est encore en cours. Vous allez donc me permettre de ne pas répondre à cette question. Mais, le moment venu, je vous donne toute la latitude. Vous cherchez à me rencontrer et nous allons en parler.
Mais, vous avez quand même des regrets de certaines choses que vous avez dites ou faites ?
Dire que j’ai des regrets ou pas, ce serait me prononcer sur ces évènements-là qui sont partis prenants de la procédure qui est en cours et sur laquelle je ne suis pas habilité à me prononcer selon l’ordonnance rendue par la chambre de renvoi. C’est pourquoi, je suis aux regrets de ne pas répondre à votre question. Le moment venu, j’y répondrai sans ambages. Alors, vous pensez revenir en Côte d’Ivoire.
Vous étiez le leader des jeunes patriotes. Certains vous appelaient le général de la rue. Ça vous fait sourire. Vous reviendrez en Côte d’Ivoire dans quel état d’esprit ? Celui de faire de la politique ?
Voyez-vous ! Quand la crise ivoirienne a éclaté en 2002, j’avais 30 ans. Au moment où je vous parle, j’ai 47 ans. Je ne suis plus jeune. La Côte d’Ivoire elle-même a changé. La situation de la Côte d’Ivoire a changé. Les populations ont changé. Je veux participer au changement de la Côte d’Ivoire. Je veux participer au débat politique en tant qu’acteur principal. Sur les 25 millions d’Ivoiriens, si j’ai été celui qui est venu à la Haye, en prison aux côtés du président Laurent Gbagbo, c’est que je suis un acteur principal en tout cas pour ceux qui m’y ont amené. Alors, je me prononcerai sur l’avenir de ma nation. J’ai un projet sur l’avenir de ma nation. J’ai une vision sur l’avenir de ma nation. Je partage une cause avec les Ivoiriens. Oui, quand je rentrerai en Côte d’Ivoire et même pendant que je n’y suis pas je fais la politique pour participer à changer mon pays.
Quand on dit acteur, c’est une chose. Quand on dit acteur principal, çà veut dire qu’on a des ambitions présidentielles par exemple ?
Non ! La vie politique ne se résume pas à avoir des ambitions présidentielles. Faire la politique, c’est promouvoir des valeurs, des principes de vie. Participer à changer la société elle-même. Et pour le faire, on a besoin d’un instrument de combat. Un parti politique par exemple… Je suis leader du Cojep et je ne m’en cache pas du tout. Oui, j’ai des ambitions pour un jour diriger la Côte d’Ivoire avec une équipe qui comprendra ou qui aura compris qu’il faut faire la politique autrement. Nous avons une offre politique pour les Ivoiriens.
En 2020, c’est la prochaine échéance ou c’est trop tôt pour vous ?
Ce sont des chiffres, tout cà. C’est une date… Ce sont des chiffres. La vie de la Côte d’Ivoire ne se résume aux aiguilles d’une montre. 2020, 2025. Nous avons une offre et je pense que tout doit se bâtir dans le temps. Tout doit traverser le temps. On ne fait pas tout dans la précipitation au gré des ambitions. Aucune ambition politique n’est au-dessus de la vie de la Côte d’Ivoire et de tous ceux qui y vivent. Oui, je veux faire la politique. Je veux faire la politique dans le temps. Et je ne vais pas me précipiter.
Est-ce que vous êtes favorable à ce que Laurent Gbagbo puisse rentrer en Côte d’Ivoire et lui, jouer un rôle peut être plus immédiat ?
La place de Laurent Gbagbo, c’est au milieu de son peuple. Il doit être avec son peuple pour réconcilier les Ivoiriens, pour ramener la paix en Côte d’Ivoire. Les dernières élections, selon les chiffres de la CEI. Cela veut dire que sur 25 millions d’Ivoiriens, il y a 46% qui sont avec Laurent Gbagbo. Alors moi, je suis pour que Laurent Gbagbo retourne en Côte d’Ivoire, qu’il joue un rôle dans la réconciliation. Pour moi, ce qui est important, est qu’on arrête de réduire la vie des Ivoiriens à des élections. Il y a un environnement qu’il faut assainir. Il y a d’abord des questions à régler. L’atmosphère post-électorale, l’atmosphère pré-électorale. Pour moi, prenons notre temps. Essayons de faire l’inventaire de ce qui nous a conduits jusque-là et comment l’éviter et ne pas le rééditer.
Evidemment, vous avez vécu aux premières loges la crise fin 2010 début 2011. Il y a à nouveau des tensions autour de la prochaine échéance. Est-ce que vous craignez, peut-être pas le même scénario. Mais, que les mêmes causes produisent les mêmes effets ?
Je vous dis que la Côte d’Ivoire a changé politiquement. Il y a une mutation. Les lignes bougent. Il va falloir que la classe politique prenne toute la mesure de ses responsabilités pour ne pas conduire la Côte d’Ivoire dans une aventure sans issue pire que celle qu’on a connue en 2010.
Donc, vous craignez un embrasement…
Pas que moi seul je crains. Il faut savoir lire la météo politique qui annonce des intempéries politiques en Côte d’Ivoire. Vous voyez très bien, les tensions inter-communautaires nous interpellent. Il va falloir mettre de côté nos ambitions pour essayer d’apporter des solutions pour viter de rééditer 2010. Mais, je ne suis pas partisan d’un ivoiro-pressimisme. Moi, je crois en l’avenir de la Côte d’Ivoire et j’espère que la classe politique saura prendre ses responsabilités.
Est-ce que vous êtes parmi ceux qui pensent que Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo, Henri Konan Bédié ont fait leur temps et qu’il va falloir passer le relais à une autre génération plutôt que d’avoir à nouveau ces affrontements qui ont parfois été mortifères…
La population ivoirienne est là. C’est son suffrage qui est sollicité que ce soit par Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo, Henri Konan Bédié, par Guillaume Soro ou par moi-même. Le peuple ivoirien décidera de qui doit prendre la responsabilité de conduire sa destinée. Il doit qu’on prenne cette habitude de savoir qu’on est en mission pour le peuple et que nous sollicitons le peuple pour qu’il nous mette en mission parce qu’il estime que notre offre politique sied à ses besoins. Il ne faut pas personnaliser le débat politique et le polariser sur des personnes. C’est ce que je vais faire. Je vais vous poser une question sur quelqu’un dont on parle beaucoup.
Guillaume Soro. Est-ce que c’est quelqu’un que vous pourriez considérer comme un leader potentiel plus jeune ?
Il fait partie des acteurs politiques de la Côte d’Ivoire.
Est-ce que c’est l’homme politique que les Ivoiriens veulent pour leur président de la République ?
Ce n’est pas à moi de le dire.
Est-ce que Alassane Ouatara doit se représenter ?
Je vais vous répéter exactement la même chose. Alassane Ouattara, voici bientôt 10 ans qu’il est le chef de l’Etat de Côte d’Ivoire. Les Ivoiriens l’ont vu agir. Les Ivoiriens l’ont observé dans sa gestion des libertés, dans sa gestion de l’économie, dans sa manière de concevoir la société ivoirienne. A la fin, c’est à eux de décider s’ils veulent continuer avec lui ou non, premièrement. Deuxièmement, que dit la loi de la Côte d’Ivoire ? Moi je pense que je ne mène pas de combat de personne, vous voyez. Je veux qu’un système change. Je veux que mon pays change. Je veux qu’on tire les leçons et tous les enseignements de ce qui nous est arrivé. Je dis bien tous les enseignements. Moi j’ai eu le temps, j’ai eu beaucoup de temps pour faire le bilan, pour faire l’inventaire. Je ne veux plus recommencer les mêmes choses en polarisant les questions d’Etat sur des individus. Venons-en aux projets. Venons-en à l’offre politique. Venons-en aux actions, à l’idéologie et à la vision de ces hommes d’Etat-là. Un homme d’Etat, il bâtit dans le temps. Un homme d’Etat, il construit, il prépare pour les générations futures. Un politicien, il prépare les élections futures. J’ai bien l’impression qu’en Côte d’Ivoire, on manque d’homme d’Etat, qu’on n’ait seulement affaire à des hommes politiques qui ne pensent qu’à des élections. Non ! L’avenir de la Côte d’Ivoire ne se limite pas à des élections. Les Ivoiriens ont besoin d’être soigné, ont besoin d’une éducation, ils ont besoin que la croissance se ressente dans leurs assiettes. C’est de cela qu’il s’agit. Ces jeunes-gens qui fuient la Côte d’Ivoire et qui traversent la méditerrané au prix de leurs vies pour atterrir en Europe, pour être des ouvriers, ils fuient quoi ? Le désespoir. Ils fuient quoi ? La misère. C’est cela qu’il faut changer. C’est cela que ma génération et moi nous voulons changer.
Retranscrits sur France 24h par Aude Assita Konaté
L’histoire continue….
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