En octobre 2020, les Ivoiriens iront aux urnes pour choisir leur nouveau président de la République. Le pays, qui a renoué avec la croissance et la paix civile, demeure sous pression de la menace djihadiste sahélienne.
Pour la première fois en étroite coopération avec les forces burkinabés, l’armée ivoirienne a annoncé ce lundi 25 mai avoir mené avec succès une opération militaire contre une base terroriste, à la frontière entre les deux pays. Bilan : 8 djihadistes tués, 38 suspects interpellés et la récupération de nombreux documents (clefs USB, téléphones portables…) transmis aux services de renseignements.
Située en territoire burkinabé, la base d’Alidougou était stratégiquement positionnée à la jonction entre les deux États. Cette présence terroriste à quelques kilomètres de Kong, la ville de la famille du président ivoirien en poste, Alassane Ouattara, est symptomatique de la percée des mouvements djihadistes, désormais aux portes de la Côte d’Ivoire, via le Burkina Faso.
Barkhane impuissante à contenir l’avancée terroriste
Malgré la présence sur place de plus de 5000 militaires français déployés depuis 2014 pour enrayer la progression djihadiste dans la zone sahélienne, les réseaux terroristes disséminés dans la région continuent d’étendre leur influence. Comment expliquer une telle progression, malgré les moyens investis par l’armée française dans la région ?
L’opération militaire Barkhane doit contrôler un gigantesque territoire de 5 millions de kilomètres carrés, sans compter les nombreuses « bases arrière » dont peuvent bénéficier les réseaux djihadistes, notamment en Libye. Mais surtout, la région est historiquement une zone de conflits et de tensions entre les populations nomades et pastorales au nord du Sahel et les civilisations sédentaires du sud du désert.
Dans ce rapport de force, où s’affrontent des modes de vie, des échelles de valeurs et des intérêts, les questions religieuses et politiques se superposent (et ne remplacent pas) aux tensions entre les différents peuples de la région. Déjà au XVIIe siècle, de violents conflits sont relatés avec l’avancée des peuples nomades et guerriers (touaregs, peuls) au sud du Sahara sur leurs voisins cultivateurs. Un rapport de force qui continue au XXIe siècle et accentué par deux phénomènes : la mise en place de démocraties électives dans la région, qui donnent systématiquement le pouvoir aux ethnies sédentaires sud, numériquement plus nombreuses, et le discours djihadiste qui stimule ces tensions.
Les frontières héritées de la colonisation ont mis sur pied des pays à cheval entre deux mondes, des États écartelés entre les intérêts de différents peuples. Dans ces conditions, le djihadisme n’est que la dernière expression d’un conflit pluriséculaire dans la zone, et la présence militaire française s’apparente au supplice de Sisyphe.
Après le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire
Derrière le masque du djihadisme, ces mouvements armés agrègent donc surtout un magma de rebelles, Peuls pour la plupart, qui s’inscrivent dans un conflit qui remonte à plusieurs siècles. Une guerre à laquelle s’agrègent désormais islamistes et réseaux de trafiquants.
Or, le Burkina Faso est le dernier verrou de la zone sahélienne vers les nations côtières comme la prospère Côte d’Ivoire et l’opération militaire de ce week-end est révélatrice de cette dangereuse poussée vers le Sud.
Dans ces conditions, la prochaine élection présidentielle en Côte d’Ivoire sera décisive pour la nation et toute la région. Le pays, qui a renoué avec la stabilité et la croissance économique avec les deux derniers mandats d’Alassane Ouattara, est devenu le pivot de toute la zone ouest-africaine. Mais avec en promettant de ne pas se présenter une troisième fois, l’actuel chef de l’État a largement ouvert la course à sa succession, avec une surenchère dans les candidatures : deux poids lourds de la politique ivoirienne, Henri Konan Bédié (du PDCI) et Guillaume Soro l’ancien bras droit d’Alassane Ouattara, sont déjà dans la course.
Les premières tensions sont apparues, et avec elles, le spectre des violences. Sous mandat d’arrêt et actuellement en exil en France, Guillaume Soro a été condamné dans son pays à 7 ans de prison pour détournement de fonds publics. Toujours candidat, l’ancien premier ministre attise la colère de ses partisans en accusant le pouvoir politique d’avoir instrumentalisé l’affaire. Et alors qu’Henri Konan Bédié, 86 ans, apparaît pour de nombreux Ivoiriens comme « trop âgés » et hypothèque l’avenir de la Côte d’Ivoire, seul l’actuel chef du gouvernement, Gon Coulibaly, semble être en mesure d’assurer la stabilité du pays.
Une stabilité indispensable pour affronter les violentes secousses qui vont frapper toute la région, en provenance du Sahel. La Côte d’Ivoire, qui tire vers le haut la croissance économique de l’Afrique de l’Ouest, se mue aussi depuis plusieurs années en puissance diplomatique. De ce fait, de la solidité des institutions démocratiques ivoiriennes dans les prochaines années dépend la montée en puissance d’une coopération régionale efficace pour répondre aux mouvements terroristes sur le terrain militaire (via la force G5 Sahel), mais aussi politique.
Car dans les États de la région, les réponses à la conflictualité endémique de la bande sahélienne sont connues : une plus forte décentralisation, un partage des pouvoirs voire une certaine autonomie accordée aux peuples nomades pourraient permettre de bloquer la spirale de la violence. Mais seule une solide démocratie ivoirienne pourra servir de levier pour entrainer toutes les nations de la région à trouver une solution politique pérenne.
Commentaires Facebook