(Ecofin Hebdo) – L’Afrique fait actuellement face à un défi beaucoup plus grave que la pandémie de Coronavirus. Les pays du continent doivent trouver entre 50 et 60 milliards $ cette année 2020 et un peu plus en 2021, pour faire face à leurs obligations internationales. Une pression supplémentaire alors que la région qui importe une part importante de ce qu’elle consomme puise déjà beaucoup dans ses réserves de change.
Que s’est-il passé ?
Le règlement des factures d’importation, tout autant que le remboursement des dettes privées et publiques à l’international, se font en devises et majoritairement en dollars américains, ou en euro. Pour cela, tous les pays et toutes les régions dans le monde doivent mobiliser des ressources dans ces deux monnaies qui dominent les échanges internationaux.
Or, la pandémie liée au Coronavirus et les mesures de confinement qui ont été imposées ont négativement impacté les trois principales sources de revenus en devises pour l’Afrique. On a assisté à un repli de l’activité mondiale, ce qui a réduit la consommation internationale et la demande en matières premières, qui sont les principaux produits vendus par l’Afrique sur le marché international.
40% des revenus en devises de la région sont générés par la vente du pétrole. Or le prix de cette ressource est de deux fois inférieur aux prévisions des budgets des pays qui en sont producteurs et exportateurs. Aussi, le ralentissement et même l’arrêt des activités de production dans divers pays industrialisés a fait baisser la demande en matières premières minières et agricoles.
Enfin, en plus de perdre des revenus en devises, l’Afrique souffrira d’une diminution de ses réserves de change. Des investisseurs étrangers qui y sont installés retirent déjà leurs capitaux et bénéfices, par peur que surviennent une dévaluation.
Les autres sources de revenus en devises de l’Afrique sont les investissements réalisés sur le continent par des non africains, et les transferts que les Africains de la diaspora effectuent à leurs familles sur le continent. Ces deux segments sont aussi en difficulté. La Banque Mondiale estime que le repli des IDE sera de 35% dans les pays en développement pour l’année 2020. Mais on peut s’attendre à ce que cela soit plus prononcé en Afrique. Pareillement, les transferts de la diaspora devraient reculer de 25%, frappant durement des pays comme le Nigéria, l’Egypte, le Sénégal ou encore le Mali.
Enfin, en plus de perdre des revenus en devises, l’Afrique souffrira d’une diminution de ses réserves de change. Des investisseurs étrangers qui y sont installés retirent déjà leurs capitaux et bénéfices, par peur que surviennent une dévaluation qui leurs causera des pertes financières. Le Nigéria, le Ghana et l’Afrique du Sud en ont souffert.
La « solidarité » internationale ne suffira pas
De nombreuses actions ont été entreprises, notamment avec le Fonds Monétaire International (FMI). L’institution a sorti son chéquier et octroyé des prêts à plusieurs pays de la région, allant de 3,4 milliards $ à quelques dizaines de millions $ pour les pays ayant un poids économique plus faible. Le FMI a aussi annoncé l’annulation d’un petit montant de dettes détenues par les pays pauvres parmi lesquels plusieurs africains. La Banque Mondiale et des pays individuellement, ont aussi annoncé des aides diverses.
L’action la plus médiatisée, aura été celle du G20, et son initiative de suspension du remboursement des dettes des pays pauvres. Mais selon des calculs effectués par l’agence américaine de notation Moody’s, si cette initiative est acceptée par tous les pays bénéficiaires, cela ne fera pour l’Afrique que des ressources supplémentaires de 6 milliards $. Lorsqu’on y inclut la dette due aux investisseurs privées internationaux, le montant mobilisable est porté à seulement 16 milliards $. Un niveau bien court, comparé aux besoin confirmés de l’Afrique.
Une séance de travail présidée par Tidjane Thiam, ex DG du Crédit Suisse et membre de la Task force de l’Union africaine anti-covid-19, a permis à plusieurs ministres africains des finances, de discuter d’une possible extension de l’accord des pays du G20, aux créanciers internationaux privés. Ces derniers détiennent des dettes contractées par des pays et des entreprises africaines, sous la forme d’eurobonds, d’emprunts syndiqués et autres lettres d’acceptation bancaire.
Mais les différentes parties ont eu du mal à trouver d’emblée un terrain d’entente. Les créanciers privés qui gèrent pourtant un portefeuille de plusieurs milliers de milliards $ ont posé un ensemble de problèmes. Certains d’entre eux craignent aujourd’hui que les pays concernés suspendent unilatéralement les remboursements de leurs dettes. Pour eux chaque pays devra négocier au cas par cas.
Mais ce reproche fait à la dette chinoise, on peut aussi la faire à de grands traders occidentaux, qui font des avances aux gouvernements, sur des bases qui ne sont pas plus transparentes.
La dernière incertitude est celle concernant la Chine. Elle est membre du G20 et présentée comme le plus gros créancier des pays africains. Le défi, c’est que la dette chinoise est souvent contractée dans des conditions opaques et sur des garanties complexes. Mais ce reproche fait à la dette chinoise, on peut aussi la faire à de grands traders occidentaux, qui font des avances aux gouvernements, sur des bases qui ne sont pas plus transparentes.
Comment rattraper les choses
La situation est complexe pour de nombreux gouvernement africains qui ont de très faibles marges de manœuvre. Plusieurs pays et sous-régions continuent de puiser dans leurs réserves de change. Mais pour la plupart d’entre eux, ces ressources sont limitées. Si la situation en vient à perdurer, cela deviendrait quasiment difficiles pour eux, de pouvoir mener la moindre action.
L’un des gros risques dans l’immédiat, c’est que, bien qu’ils en soient dans le besoin, les pays africains ne peuvent plus accéder facilement au marché international des capitaux qui leur a été ouvert durant ces dix dernières années. Les agences de notation, notamment S&P Global Ratings et Moody’s, ont indiqué, que même sur la base d’un accord, un manquement de paiement de la dette due aux créanciers privés sera considéré comme un défaut.
« Nous pensons que dans une telle période de crise, où le monde entier redéfinit les priorités économiques, tout baisse de note nous enfonce davantage »
Certaines des plus grandes économies d’Afrique, notamment le Ghana, l’Angola, le Nigéria et l’Afrique du Sud, ont vu leurs notes ou leurs perspectives abaissés, signalant des risques graves de défauts. Des responsables sud-africains ont demandé aux agences de notation de suspendre leurs avis sur le continent. « Bien que nous comprenions les facteurs sous-jacents mis en évidence par les agences de notation, nous pensons que dans une telle période de crise, où le monde entier redéfinit les priorités économiques, tout baisse de note nous enfonce davantage », a fait savoir l’un d’eux, selon des propos rapportés par Bloomberg.
On note de plus en plus des appels, à une réponse plus globale avec l’aide des institutions multilatérales, comme le Fonds Monétaire International, mais avec un rôle différent et renforcé. Des leaders d’opinion au niveau international ont poussé le débat international sur la possibilité de faire de cette institution, le prêteur en dernier ressort, en cas de crises internationales majeures, de l’ampleur de celle que nous vivons aujourd’hui.
Idriss Linge
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