Pourquoi l’essai Discovery sur le Covid-19 est-il en train de patiner ?
Tentative d’xplication
Contrairement à ce qu’avait annoncé Emmanuel Macron, aucun résultat de l’essai franco-européen Discovery ne sera annoncé ce jeudi 14 mai.
Les experts indépendants ont estimé que trop peu de patients y étaient inclus à ce stade. Si la France est en pointe sur cette étude, les autres pays européens n’ont pas suivi pour l’instant.
Pierre Bienvault
C’est une nouvelle version de la célèbre formule du verre à moitié vide ou à moitié plein. « On peut voir, comme disait ma grand-mère, la chaussette à l’envers ou la chaussette à l’endroit. » C’est avec cette formule, plutôt rafraichissante, que la professeure Florence Ader évoquait la semaine dernière (1) les différentes interrogations autour de l’essai Discovery. « Il va falloir encore un peu plus de temps », ajoutait cette infectiologue lyonnaise, principale investigatrice de ce vaste essai clinique franco-européen sur le Covid-19, dont les résultats n’arrivent pas aussi vite qu’espéré.
Au point que certains commencent à estimer que la chaussette est plutôt enfilée à l’envers. Et craignent que cette étude clinique, largement promue par la France, ne se termine par un fiasco, symbole d’une Europe incapable d’avancer unie autour d’un projet scientifique commun.
« Nous aurions aimé que les choses avancent plus vite »
« On aura des résultats le 14 mai », avait annoncé Emmanuel Macron en début de semaine dernière. Mais le chef de l’État s’était avancé un peu vite. Aucune annonce ne sera faite ce jeudi 14 mai autour de cet essai qui évalue quatre traitements contre le coronavirus. Les experts indépendants, chargés d’étudier ses données à intervalles réguliers, ont estimé lundi 11 mai que rien de véritablement marquant ne pouvait être annoncé à stade.
« Ils nous ont dit qu’il fallait poursuivre l’essai et continuer à inclure d’autres patients », explique Dominique Costagliola, directrice adjointe de l’Institut Pierre Louis d’Épidémiologie et de Santé Publique (Sorbonne Université, Inserm). « Nous aurions aimé que les choses avancent plus vite avec les autres pays européens. Mais nous n’abdiquons pas. On va continuer à essayer de convaincre nos partenaires d’avancer avec nous », assure un autre investigateur de l’essai, le professeur Yazdan Yazdanpanah (hôpital Bichat, Paris), membre du conseil scientifique nommé par l’Élysée.
Des espoirs à pas comptés sur les traitements contre le coronavirus
Au départ, tout semblait pourtant prometteur. Le 22 mars, l’Inserm annonçait le lancement de cet ambitieux essai clinique, dans lequel devaient être inclus 3 200 patients, dont 800 en France. Les 2 400 autres devaient venir de Belgique, des Pays-Bas, du Luxembourg, du Royaume Uni, d’Allemagne et d’Espagne. Bref un joli projet européen, piloté par la France et qui, espérait-on, aurait une envergure suffisante pour rivaliser avec les États-Unis et la Chine.
Et surtout ouvrir des pistes thérapeutiques solides face au Covid.
L’objectif de l’essai est d’évaluer quatre traitements. Le premier est la désormais incontournable hydroxychloroquine. Mais l’étude vise aussi à mesurer l’intérêt d’un médicament testé sans succès par le passé contre Ebola (remdesivir), un médicament du sida (Kaletra) et un immuno-modulateur (interféron beta). Mais parmi ces quatre traitements, aucun ne semble, à ce stade, capable d’apporter une réponse thérapeutique spectaculaire contre le coronavirus. C’est sans doute ce qu’il faut déduire des conclusions, non rendues publiques, du comité d’experts indépendants qui s’est réuni le 11 mai.
Trois options pour les experts
Ces experts pouvaient, au vu des données de l’essai, avoir trois positions. S’ils avaient constaté qu’un ou plusieurs traitements avaient montré une inefficacité probante et des effets secondaires importants, il aurait été de leur devoir éthique de le signaler. Pour que le ou les médicaments concernés soient aussitôt retirés de l’essai. De manière inverse, s’ils avaient noté qu’un traitement avait un effet thérapeutique notable et incontestable, ils l’auraient annoncé tout aussi vite. Et puis le troisième cas de figure était celui d’une situation intermédiaire : celle où aucun signal particulier, à ce stade, ne ressort véritablement.
Au final, c’est ce troisième scénario qui a émergé lors de cette réunion d’experts du 11 mai. Avec le constat que, pour le moment, l’essai manque d’une puissance statistique suffisante pour qu’on puisse vraiment tirer des conclusions. À l’évidence, il y a encore trop peu de patients inclus dans l’essai Discovery. Et c’est là qu’émerge le spectre du fiasco européen. Certes la France a rempli son pari initial puisqu’au 7 mai, elle avait inclus 742 patients sur les 800 prévus. Mais parmi les 2 400 autres patients européens attendus, pour l’instant… un seul a été inclus, au Luxembourg.
Un autre essai lancé par l’OMS
Pour expliquer ce raté, certains soulignent le fait que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a lancé de son côté un autre essai, Solidarity, à vocation mondiale. Et plusieurs pays européens, comme l’Espagne, l’Italie ou le Norvège, ont à ce stade préféré enrôler des patients dans cet essai auquel participe aussi la France. « Certains pays, dont les hôpitaux ont très vite été débordés par un très grand nombre de patients, ont plutôt opté pour l’essai de l’OMS qui demande moins de contraintes que Discovery », explique Dominique Costagliola.
Selon le professeur Ader, un élément financier a aussi pu jouer. Auditionnée le 6 mai par le Sénat, l’infectiologue a expliqué qu’inclure un patient dans Discovery coûte entre 4 000 et 5 000 €. « Si nous avons les moyens de le faire en France, c’est plus problématique dans certains pays. C’est pourquoi l’étude Solidarity a mis à disposition un protocole plus simple que celui de Discovery. C’est en effet le rôle de l’OMS de proposer des protocoles que tous les modèles socio-économiques puissent assumer », a expliqué Florence Adzer. « La problématique de Discovery est la suivante : tous les pays européens peuvent-ils assumer d’inclure cinq cents patients à ce prix, et où sont les financements pour y parvenir, étant entendu que l’Inserm en est le promoteur mais ne peut pas financer toute l’Europe ? », a-t-elle ajouté.
Mais la question financière n’est pas non plus le seul obstacle. « Un des principaux problèmes est le fait que, dans plusieurs pays, les diverses autorisations réglementaires ont été assez longues à obtenir », indique Dominique Costagliola. Désormais, l’espoir des promoteurs de Discovery est que, dans les semaines à venir, l’Allemagne, l’Autriche, le Portugal ou la Belgique rejoignent l’essai. Avec toutefois une contrainte, qui fait aussi figure de bonne nouvelle : avec le déconfinement, le nombre de malades gravement atteints a drastiquement chuté. Tout comme, du coup, le nombre de patients à inclure dans cet essai. Dont nul à ce stade ne peut dire quand il pourra vraiment donner des résultats.
(1) Dans une vidéo publiée le 7 mai sur le site de l’Inserm
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