Côte-d’Ivoire: Tidjane Thiam, l’homme qui « ne sait pas ce que c’est qu’être deuxième »

Tidjane Thiam, l’homme qui s’exprimera le moment venu

(Ecofin Hebdo) – Débarqué du Crédit Suisse après un scandale impliquant l’un de ses collaborateurs, Tidjane Thiam était censé prendre quelques mois pour lui, pour penser à son futur que beaucoup, notamment en Côte d’Ivoire, scénarisent déjà, à quelques mois des élections présidentielles. Mais, la pandémie de Covid-19 va faire sortir l’ex loup de Paradeplatz de sa courte retraite. Avec 3 autres personnalités, il est chargé par l’Union Africaine de discuter avec les institutions financières internationales pour mobiliser les fonds nécessaires à l’Afrique pour vaincre la pandémie et limiter son impact sur les économies du continent.

Discuter finances et sortir de situations compliquées, voilà deux choses que l’ex patron du Crédit Suisse réussit à merveille depuis des années. Loin des querelles zurichoises ayant animé son actualité récente et des questions pressantes sur sa candidature aux prochaines élections ivoiriennes, Tidjane Thiam pourra, durant les prochaines semaines, montrer ce dans quoi il excelle.

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Tidjane Thiam était censé prendre quelques mois pour lui.

Pas candidat pour le moment

Les médias ont essayé de mille et une manières de savoir si Tidjane Thiam serait candidat aux prochaines élections présidentielles. Jusque-là, l’intéressé a servi à chaque fois la même réponse. « Je m’exprimerai le moment venu ». Au micro de TV5, le banquier a essayé de se montrer plus explicite.

« Je suis citoyen ivoirien, je suis né en Côte d’Ivoire, j’y ai vécu, j’y ai passé mon baccalauréat, j’y ai travaillé, je suis très attaché à la Côte d’Ivoire, cela va sans dire. »

« Je crois qu’actuellement il y a de tels problèmes, dont le sujet qui nous préoccupe aujourd’hui, que ce n’est peut-être pas le moment idéal pour ces questions. J’ai dit que je m’exprimerai le moment venu. Je tiendrai cet engagement », assure-t-il. « Ce n’est pas juste une boutade, j’ai beaucoup de respect pour mes compatriotes. Là sur un plateau de télé, c’est agréable, on fait des échanges, mais derrière il y a des vies à respecter derrière tout ça. J’ai beaucoup d’humilité et de respect. Je prends ça très au sérieux. C’est pour ça que je ne vais pas faire de déclarations irresponsables », va-t-il ajouter. Pour beaucoup, le fait qu’il ne rejette plus la perspective d’une carrière politique, comme il y a quelques années, est révélateur. D’ailleurs, comme le rappellent certains sur le ton de la boutade, le petit-neveu de Félix Houphouët-Boigny, le premier président de la Côte d’Ivoire, ne peut rester indéfiniment à l’écart de l’arène politique.

Parcours d’un apôtre de l’excellence

Tidjane Thiam est né le 29 juillet 1962 à Abidjan. Son père Amadou Thiam est un journaliste, devenu politique ivoirien, né au Sénégal où son frère, Habib, a été premier ministre pendant plus d’une dizaine d’années. Sa mère, Marietou, était la nièce de Félix Houphouët-Boigny.

« Il ne sait pas ce que c’est qu’être deuxième ».

Très tôt, les deux parents inculquent à leur enfant un sens de l’excellence frôlant l’obsession. Par exemple, alors que les résultats du baccalauréat sont annoncés au lycée classique d’Abidjan où Tidjane Thiam a fait ses études secondaires, ce sont avec des larmes de frustration que ce dernier accueille sa mention « bien ». Il n’aurait pas obtenu la mention « très bien » qu’il souhaitait à cause d’un 9/20 en histoire-géo. « Le professeur avait jugé la copie trop bonne pour être honnête », explique Daouda Thiam, l’un de ses frères.

Leur père, qui venait d’être nommé pour la seconde fois ministre de l’information du président francophile Félix Houphouët-Boigny, n’a pas voulu intervenir pour corriger l’injustice, « de peur que l’on ne parle de pressions politiques », explique Le Monde.

Il faut dire que Tidjane Thiam s’est toujours distingué comme un élève extraordinairement assidu. Il voulait être meilleur que tout le monde. Alors qu’il avait 12 ans, Tidjane Thiam aurait même récupéré les notes de son ainé Aziz, qui avait étudié au sein de la prestigieuse Ecole centrale à Paris, pour en faire des graphiques comparatifs avec les siens. « Nous avons découvert que Tidjane avait récupéré les notes d’Aziz et qu’il en avait fait des graphiques afin de placer ses propres notes dessus. Il voulait s’assurer qu’il était plus performant que son grand frère », confie Daouda, l’un des 6 frères et sœurs de Tidjane Thiam.

« Il ne sait pas ce que c’est qu’être deuxième », déclare son frère Augustin. En 1981, il est admis haut la main à la prestigieuse Ecole Polytechnique de Paris, en France. Il est alors le premier ivoirien à y entrer. Il en sort diplômé en 1984. Dans la foulée, il entre à la non moins prestigieuse Ecole des Mines, dont il sort major de sa promotion en 1986. Néanmoins, malgré un excellent stage chez Air Liquide, une entreprise française spécialisée dans le gaz industriel, il ne reçoit pas d’entretien d’embauche. Des années plus tard, il évoquera cet épisode comme celui où il prend conscience du plafond de verre limitant les Africains étudiants en France. Le directeur des études de l’Ecole des mines, Gilbert Frade, lui conseille alors de se tourner vers les Anglo-Saxons.

Des années plus tard, il évoquera cet épisode comme celui où il prend conscience du plafond de verre limitant les Africains étudiants en France. Le directeur des études de l’Ecole des mines, Gilbert Frade, lui conseille alors de se tourner vers les Anglo-Saxons.

Après seulement un entretien avec le cabinet de conseil McKinsey, Tidjane Thiam reçoit une offre d’emploi. Tout en travaillant comme consultant chez McKinsey, il décroche son MBA à l’Institut européen d’administration des affaires (INSEAD) qui lui avait offert une bourse. En 1994, le nouveau président ivoirien entend parler d’un Ivoirien brillant. Il invite alors Tidjane Thiam à déjeuner et le nomme, à 31 ans, directeur du Bureau national d’études et de développement technique, chargé des grands travaux.

Tidjane Thiam pourra, durant les prochaines semaines, montrer ce dans quoi il excelle.

Tidjane Thiam occupera ce poste pendant 6 ans. Il doit durant cette période faire face à la dévaluation du franc CFA. A cette époque, les salaires, les tarifs de l’eau, de l’électricité,… presque tout doit être renégocié. Il décide de remplacer les expatriés français travaillant à divers niveau par de jeunes Ivoiriens, lance des privatisations ou des partenariats public-privé sur l’eau, l’électricité, les télécommunications, l’aéroport, les bus, des ponts à péage, si bien que la crise est gérée sans séquelles.

Il décide de remplacer les expatriés français travaillant à divers niveau par de jeunes Ivoiriens, lance des privatisations ou des partenariats public-privé sur l’eau, l’électricité, les télécommunications, l’aéroport, les bus, des ponts à péage, si bien que la crise est gérée sans séquelles.

Pour le récompenser, il est nommé ministre de la planification, un poste qu’il accepte à contrecœur, souhaitant éviter la politique à tout prix. En 1999, il est au Etats-Unis lorsque le président est renversé par un coup d’Etat. Il retourne en France en l’an 2000. Après 5 mois sans emploi, il retourne finalement à McKinsey en tant qu’associé.

Passage au service privé

En novembre 2002, Tidjane Thiam est engagé par l’assureur Aviva comme directeur de la stratégie et du développement. Son travail est si excellent qu’en 2006, il dirige le département de l’Europe avant de prendre la direction du groupe l’année suivante. En quelques mois, il se distingue par une gestion efficace qui finit par taper dans l’œil des britanniques de Prudential, le principal concurrent d’Aviva. Prudential souhaite faire de Tidjane Thiam son directeur financier. Ce dernier quitte alors Aviva, mais doit attendre 2 ans, le temps d’une clause de non-concurrence, avant de rejoindre son nouvel employeur. En 2009, plutôt que le poste de directeur financier, Tidjane Thiam prend la tête du groupe d’assurance privé Prudential. Il fait partie des rares financiers à avoir anticipé la crise de 2008 et convainc ses employeurs de le laisser diriger les 28 000 employés du groupe. Il devient le premier patron noir d’une des cent entreprises britanniques les mieux capitalisées.

Il fait partie des rares financiers à avoir anticipé la crise de 2008 et convainc ses employeurs de le laisser diriger les 28 000 employés du groupe.

Devenu une des sommités du monde de la finance, il conseille des personnalités comme Barack Obama ou Kofi Annan. Sur un nuage, Tidjane Thiam va tenter d’acquérir AIA, la branche asiatique de l’assureur américain AIG, très durement touché par la crise. Une bataille boursière est déclenchée par l’offre. Certains investisseurs jugent excessif le prix de 35.5 milliards de dollars offert par Prudential. L’opération échoue après le rejet par le conseil d’administration d’AIG d’une offre revue à la baisse. L’AIA est ensuite introduit à la Bourse de Hong Kong, et sa valorisation monte rapidement au-dessus du prix proposé initialement par Prudential. Tidjane Thiam fera alors l’objet de vives critiques après cet échec. On lui reproche les coûts engagés par la société pour le lancement de cette opération avortée. Il sera malgré tout réélu Directeur général en 2011, avec 99,3 % des voix. Il faut dire que sa présence fait du bien à Prudential. Le groupe affiche, lors de sa réélection un profit sur les nouveaux contrats en hausse de 14 % par rapport aux chiffres de 2010 à la même période, tandis que le chiffre d’affaires total de l’assurance augmente de 10 %. Parallèlement, en janvier 2011, Tidjane Thiam est nommé président du Groupe d’experts de haut niveau, formé par le G20, sur les investissements dans les infrastructures.

Parallèlement, en janvier 2011, Tidjane Thiam est nommé président du Groupe d’experts de haut niveau, formé par le G20, sur les investissements dans les infrastructures.

4 années plus tard, il est débauché par le Crédit Suisse. Le jour du départ de Tidjane Thiam, le titre boursier de Prudential chute de 3 %, pendant que celui du Crédit Suisse augmente sa valeur de 8%. Seulement, la tâche est colossale.

« Notre objectif était de devenir une banque générant une croissance rentable, conforme et de qualité.»

Tidjane Thiam doit restructurer un Crédit Suisse en difficulté, en réorientant les activités vers la gestion de fortune au détriment de l’activité de banque d’affaires. « Notre objectif était de devenir une banque générant une croissance rentable, conforme et de qualité. De 2016 à 2019, nous avons développé nos affaires de gestion de fortune et généré des afflux net de nouveaux capitaux de 121 milliards de francs, et notre bénéfice avant impôts lié à la gestion de fortune a enregistré une croissance à deux chiffres (+15 %) pendant quatre années de suite, passant de 2,7 milliards de francs en 2015 à 4,7 milliards de francs en 2019 », explique Tidjane Thiam. Achevée en 2018, la restructuration du Crédit Suisse vaudra à Tidjane Thiam le prix du banquier de l’année du magazine spécialisé Euromoney.

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Achevée en 2018, la restructuration du Crédit Suisse vaudra à Tidjane Thiam le prix du banquier de l’année du magazine spécialisé Euromoney.

L’Ivoiro-Français devra pourtant quitter le groupe. La faute à un scandale dans lequel, selon les informations jusque-là disponibles, il n’est pas impliqué. Le Suisse d’origine pakistanaise Iqbal Khan, véritable génie de la gestion de fortune, repéré et engagé par Tidjane Thiam avant qu’une querelle ne les brouille et ne provoque le départ du premier du Crédit Suisse pour la concurrence, a été mis sous surveillance par des collaborateurs du banquier franco-ivoirien.

Pierre-Olivier Bouée, un proche collaborateur de Tidjane Thiam, a ordonné la surveillance « 24 heures sur 24 » de Iqbal Khan qui a rejoint les concurrents de UBS. Selon les informations disponibles, Tidjane Thiam n’était pas informé, mais finira par démissionner sous la pression de détracteurs internes mais aussi d’une partie de l’élite financière zurichoise.

« J’ai beaucoup de respect pour mes compatriotes.»

Comme le titre Le Temps, Tidjane Thiam « n’était pas assez Suisse ». Le titre du Crédit Suisse a perdu 4% de sa valeur dans la journée de son départ, comme si les marchés désapprouvaient la décision du groupe.

Qu’à cela ne tienne, comme toujours Tidjane Thiam devrait retomber sur ses pieds, que beaucoup espèrent les voir fouler le palais présidentiel ivoirien dans quelques mois…

Servan Ahougnon

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