Notre dernier article intitulé «Annulation des dettes africaines: petit malentendu entre Cotonou et Dakar» , publié le 24 avril, a suscité beaucoup de commentaires et non des moindres dans les milieux d’affaires et politiques de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine et, au delà, en Afrique de l’Est. D’abord, «il n’y a pas de malentendu entre les deux approches, même si elles ne sont pas les mêmes», précise-t-on tant à Cotonou qu’à Dakar. Les équipes présidentielles et ministérielles des deux pays sont en concertation permanente et viennent d’ailleurs de participer, lundi 27 avril, au sommet des chefs d’Etat de l’Union, tenu par Visioconférence.
Dans le fond, les deux visions défendues par les présidents Macky Sall et Patrice Talon appartiennent à des écoles de pensée différentes. Pour le ministre béninois de l’Economie et des Finances, Romuald Wadagni, il faut innover car demander l’annulation de la dette revient à susciter une mauvaise perception du marché, des créanciers et des agences de notation. «Repousser ou même annuler la dette revient à “demander l’indulgence pour ne pas respecter nos engagements. Cela handicaperait notre capacité à avoir accès aux financements dans le futur et à renouer avec le chemin de la croissance”, précise le ministre dans un entretien à TV5.
«C’est une solution de facilité», entend-t-on dans les parages de l’argentier béninois où il est clairement admis que la pandémie du Coronavirus pose des défis extrêmes aux États africains et auxquels il faut faire face en recourant à l’innovation financière et non aux «solutions d’apparence peu coûteuses mais qui, à terme, justifieront des taux d’intérêt élevés sur une “dette africaine” peu crédible car susceptible d’être annulée à tout moment».
Un cas de force majeure ?
Pour sa part, Dakar s’appuie sur un «cas exceptionnel de force majeure» où le fait de demander des conditions suspensives (annulation ou rééchelonnement) n’altère en rien à la signature souveraine. «L’OMS a déclaré l’Etat de pandémie depuis la dernière semaine de mars et les Etats industrialisés ont décrété l’Etat d’urgence», argumente cet analyste financier, rappelant que la mesure de rééchelonnement prise par la Banque Mondiale concerne 76 pays pauvres qui ne sont pas qu’africains: «faut-il se bomber le torse et refuser l’une des solutions qui, au delà de l’appel du président Macky Sall, le 25 mars et du G20, le 15 avril, s’inscrit dans une réponse mondiale face à la pandémie ?»
Attention seulement, rétorque-t-on à Cotonou, à ne pas confondre annulation (appel du président Emmanuel Macron dans une indéniable symbolique du tuteur), rééchelonnement (option du Club de Paris) et moratoire ( accord du G20 dont la Chine) , termes concourant tous, il faut le dire, à la dégradation de la cote de crédit des débiteurs et devant, à court et moyen terme, conduire aux mêmes conséquences d’un «risque Afrique» spécifique, surévalué en raison des précautions (assurance contre le défaut et couvertures diverses) prises d’avance par les créanciers qui accepteraient de souscrire.
Bref, pendant que Dakar prône la realpolitik en matière de dette, Cotonou opte pour l’audace. «L’Afrique doit prendre son destin en main, comment y arriver si elle ne peut pas honorer ses engagements ?»
Dans son libellé, la nouvelle vision prônée par Romulad Wadagni et à laquelle Paul Kagamé du Rwanda souscrit pleinement, selon son dernier entretien dans Financial Time, défend une Afrique traitée d’égal à égal sur la scène internationale. Cette quêtepasse par une responsabilité totale du continent face à ses engagements contractuels au même titre que l’Italie et la Grèce, deux pays endettés à plus de 100% de leurs PIB et qui n’ont pas pour autant demandé une annulation de leurs dettes. Bénéficier d’un traitement différencié nourrit la mauvaise perception sur l’Afrique, martèle Cotonou.
«Bien au contraire, ces annulations de dettes allègent les budgets africains des charges des intérêts des dettes à rembourser. Ce sont des volants de 30% du budget libéré, de l’argent qui, au lieu d’aller chez les bailleurs, sont alloués aux grands défis du moment», opine notre interlocuteur à Dakar, faisant allusion à la décision du Club de Paris de repousser de un an, entre avril 2020 et avril 2021, les intérêts des dettes publiques. Notons que les mesures de la Banque Mondiale et du Club de Paris n’englobent pas les charges des intérêts des Eurobonds émis par les Etats africains et les dettes privées contractées auprès de certaines institutions pour lesquels aucun échéancier n’est négocié.
De l’argent frais
Le défi des ministères africains des Finances et de mobiliser du new money» pour payer les fonctionnaires et faire face aux engagements des Etats dans la riposte contre le covid-19, le paiement des fonctionnaires et les mesures de relance économique. «Le moratoire ou l’annulation ne donnent pas de nouveaux budgets mais de la respiration», explique Romulad Wadagni, qui incarne une approche nouvelle fondée sur la mobilisation des fonds et non l’effacement de l’ardoise. Les États Unis, l’Europe et le Japon ont mobilisé 8 000 milliards de dollars de «new money» depuis le déclenchement de la crise. L’Afrique pourrait bien essayer de lever au moins 100 milliards de dollars comme le suggère du reste le président Paul Kagamé du Rwanda. Le ministre béninois propose d’autres solutions, notamment une aide du Fonds monétaire international par l’intermédiaire des Droits de Tirage Spéciaux (DTS, des liquidités mises à disposition par le FMI).
Nous pensons quant à nous que l’UEMOA, qui a suspendu son pacte de convergence, de stabilité, de croissance et de solidarité (notamment en ce qui concerne le plafond de 70% de la dette sur PIB, l’objectif de l’inflation moyenne de 3% et du déficit budgétaire de 3%), devrait aller plus loin, au delà des instruments classiques d’ajustements budgétaires, de la baisse du taux directeur de la BCEAO (actuellement à 2,5 points de base) et de l’abaissement des conditions d’accès aux guichets de la Banque Centrale pour les intermédiaires agréés.
L’émission par exemple d’une Corona UEMOA Bonds sur le marché international (mais qu’est ce que les conditions pour y arriver seront difficiles ! ) pour le financement des projets à péage pour la construction des infrastructures physiques et d’intégration aurait la double vertu de maintenir l’activité économique en créant de nouveaux emplois et, d’autre part, de reconstituer des réserves de change rudement mises à mal.
Adama WADE
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