Le franc cfa est la monnaie des «cons de la France en Afrique»

Professeur Proa Yao Séraphin

Jacques Rueff disait avec un élégant sérieux que «le destin de l’homme se joue sur la monnaie! Exigez l’ordre financier ou acceptez l’esclavage!». Pour l’intellectuel français, il ne peut pas y avoir de progrès de la Civilisation et de la Liberté sans la stabilité monétaire. En plus de la stabilité monétaire, la monnaie doit être au service de la politique économique. Pourtant les pays africains de la zone franc (PAZF), semblent écarter la monnaie dans leurs stratégies de développement. Lorsqu’on regarde la création et l’évolution de l’histoire de la monnaie CFA, on s’aperçoit sans effort, que les PAZF sont simplement des Cons. Un con, selon le petit robert, est un imbécile, un idiot. Faire le con, serait se conduire d’une manière absurde. Le titre de notre présent papier paraît provocateur mais en réalité, il n’en est rien car comme le rappelait Valery Giscard d’Estaing, pour guérir une plaie, il ne faut pas la lécher avec une langue de bois. Pour mener à bien notre démonstration, nous présentons d’abord l’histoire de la naissance des zones monétaires et du Franc CFA. Ensuite, nous verrons que le Franc CFA est une monnaie au service de l’impérialisme français. Et enfin, nous mettons en exergue la dimension politique que les dirigeants africains ont jusque-là oubliée.

L’HISTOIRE DE LA NAISSANCE DES ZONES MONÉTAIRES ET DU FRANC CFA

Au lendemain de l’abandon de l’étalon-or par la Grande Bretagne, les « zones monétaires » firent leur apparition : un grand nombre de pays suivirent la Livre en maintenant un taux de change fixe entre leur monnaie et le sterling. Ces pays continuèrent à détenir leurs réserves de liquidités internationales sous forme d’avoirs dans les banques de la Cité. C’était la naissance de la « zone sterling ». Entre-temps, du moins entre Avril 1933 et Janvier 1934, le dollar est resté monnaie flottante. Un grand nombre de pays d’Amérique Centrale et d’Amérique du Sud rattachèrent leur monnaie au dollar formant de la sorte la « zone dollar ». Notons au passage que la débandade au niveau monétaire des pays faisait suite à l’effondrement de l’étalon de change-or à partir de septembre 1931. La tentative de mettre sur pied un système monétaire aménagé par la coopération internationale aurait été une bonne solution mais hélas, la conférence de Londres de 1933 échouait. La Grande Bretagne va asseoir son hégémonie sur la zone sterling par la préférence impériale et les accords commerciaux puis à travers la politique des prêts-liés. Ainsi, les prêts qui ont été accordés par Londres à partir de 1931 avaient deux buts : soutenir l’industrie britannique et aider les pays emprunteurs à maintenir un taux de change stable avec la Livre pour éviter que ces pays ne soient amenés à quitter la zone sterling. Cette zone va donner des idées à la France qui traverse des moments difficiles avec ses dévaluations répétitives. Elle ne trouvera pas meilleur soutien que de se replier sur ses colonies, à qui elle avait déjà imposé l’utilisation du franc comme monnaie. La constitution de la Zone Franc va se faire donc en 1939 avec l’établissement du contrôle de change. En effet, il fallait dresser la liste des pays qui acceptaient une monnaie phare comme moyen de paiement internationale. C’est ainsi que le 9 septembre 1939, la Zone Franc s’est vu établir son extrait d’acte de naissance. Mais c’est le 26 décembre 1945 que le franc CFA sera officiellement né. La Zone Franc était alors composée de trois sous-ensembles : le premier constitué par les départements français métropolitains, les quatre départements français d’Outre-mer et les territoires d’Outre-mer, à l’exception du territoire des Afars et Issas (ancienne Côte Française des Somalis) ; le deuxième sous-ensemble est constitué par les Etats africains et malgache puis le troisième sous-ensemble formé par le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. Ces derniers pays à qui, il faut dire du bien, ont refusé à cette époque la liberté de transfert entre leurs pays et la France, les mécanismes des comptes d’opérations moins contraignants que ceux des autres pays africains de la zone. Dans la période immédiate après-guerre, après la signature des accords de Bretton Woods en juillet 1944, l’économie française avait besoin de se relever de toute urgence. Pour l’aider dans ce processus, le franc CFA jouera un important rôle en lui garantissant un marché captif pour ses produits. Les autres monnaies virent leur taux d’échange être indexé au dollar. Les réserves des banques centrales Européennes en ce temps-là étaient constituées de monnaies à valeur douteuse d’après-guerre qui avaient été dévalorisées des fluctuations de la monnaie. Pour cette raison, la France avait besoin des monnaies de ses colonies pour soutenir sa compétitivité avec ses rivaux Américains et Britanniques. De Gaulle et Pierre Mendès, son principal conseiller en économie, rencontrèrent des dirigeants africains et développèrent un pacte colonial qui garantirait ceci dans un traité (avec des clauses publiques et des clauses secrètes).

LE FRANC CFA EST UNE MONNAIE AU SERVICE DE LA FRANCE

pour bien comprendre la situation, rappelons que l’impérialisme, à la fin du 19e siècle, représentait l’unique moyen du capitalisme pour sa survie et sa croissance au stade de développement où il est parvenu. Celui des fondateurs des comptoirs était ancien, au tournant des deux siècles, il se prolonge d’un impérialisme du capital sous forme financier vers les régions périphériques. Avec le temps, il diversifie ses moyens de prise de contrôle, perfectionne les méthodes de pillage des zones périphériques en matières premières et énergie bon marché, puis s’adjoint une razzia sur leur force de travail, retrouvant l’ancienne traite des hommes, et renouvelle l’impérialisme pour le débouché. Dans presque tous les livres, on vous dira que la monétisation des anciennes colonies s’effectuait de façon anarchique avant le franc CFA. Faux parce que les colonies avaient des monnaies avant qu’on les supprime pour imposer leur franc français et le franc CFA après. D’autres livres, peut-être plus justes diront que la dislocation progressive de l’espace monétaire et commercial international dans les années trente, la montée généralisée du protectionnisme et l’enchaînement des dévaluations compétitives provoquèrent de la part des puissances coloniales une réaction de repli sur leurs empires. Ils diront aussi que la France avait à cœur de réinstaurer son autorité monétaire dans ses territoires qui ont été isolés de la métropole durant la seconde guerre mondiale, et ont souffert de la raréfaction des échanges, et ont dû parfois s’arrimer à d’autres devises comme le dollar US. Mais ceux qui volent plus haut comme l’aigle, arrivent à connaître les vraies motivations de la France : dominer les pays de la zone. Pour nous, les motivations de cette zone et ses corollaires sont à trouver dans les propos de Monsieur Emile Moreau qui fut gouverneur de la Banque de France, de Juin 1926 à septembre 1930. Rapportant un entretien qu’il avait eu avec le président du Conseil il écrit : « J’ai eu une importante conversation avec M. Poincaré sur la question de l’impérialisme de la Banque d’Angleterre. J’ai exposé au président du Conseil que l’Angleterre ayant été le premier pays européen à trouver une monnaie stable et sûre après la guerre, a profité de cet avantage pour jeter sur l’Europe les bases d’une véritable domination financière. Le Comité financier de Genève a été l’instrument de cette politique. Le jeu consiste à rabattre sur le Comité de Genève, que les anglais contrôlent, tous les pays en mal monétaire. Les remèdes appliqués comportent toujours l’installation auprès de la Banque d’Emission d’un contrôleur étranger anglais ou désigné par la Banque d’Angleterre, et le dépôt d’une partie de l’encaisse de la Banque d’Emission à la Banque d’Angleterre, ce qui sert à la fois à soutenir la livre et à fortifier l’influence anglaise…… » . La France voulait donc dominer les pays de la Zone Franc, comme ce fut son cas avec l’Angleterre. Toutes autres explications ne relèvent que du fantasme du mensonge. La France va elle aussi lier le sort des pays membres de la zone franc par des accords commerciaux et des prêts-liés. L’empire colonial français absorbait 10% des exportations françaises à la fin du XXe siècle, 17% à la veille de la crise de 1929 et 42% en 1952. La formation d’une zone économique impériale protégée de la concurrence extérieure est fondée sur la base d’une complémentarité des productions coloniales et métropolitaines. La France, cette puissance secondaire devenait avec l’aide de ses colonies, une puissance de la « première division ». Le dispositif des comptes d’opérations, qui sont des comptes courants ouverts par le Trésor public français pour chacun des instituts d’émission de la zone, a donc pour but de financer l’économie française. Notons que les variations des soldes des comptes retracent l’évolution du solde agrégé de la balance des paiements des Etats membres de chaque union. La France utilise les réserves des pays de la zone franc pour soutenir sa monnaie et aujourd’hui pour renflouer ses réserves. Les pertes de change consécutives à la dévaluation du franc français en 1969, ont obligé la France à utiliser les réserves des pays la zone franc pour défendre sa monnaie. La part des réserves des pays de la zone franc dans le total des réserves officielles françaises était entre 10 et 20% de 1964 à 1967. Elle était de plus de 50% entre 1968 et 1969. Avant ou après les indépendances, certains pays ont dit non à cette escroquerie monétaire pendant que les pays de l’Afrique noire de la zone franc demeurent dans l’esclavage monétaire.

LES PAYS DE LA ZONE FRANC ONT OUBLIÉ LA DIMENSION POLITIQUE DE LA MONNAIE

Selon Christian chavagneux (monnaie, pouvoir et société), la monnaie joue un rôle important dans le tissu social. Elle est avant tout un « instrument de lien social », liens de dette et de vie, et de ce fait, l’ordre social dépend de la stabilité de leur valeur monétaire et donc de la confiance des populations en cet objet qui lie les individus les uns des autres. En effet, la monnaie a une dimension non moins importante : la dimension politique car l’essentiel de la monnaie est d’être un pouvoir d’achat et le pouvoir est au cœur de la politique. Le pouvoir appartient à ceux qui créent la monnaie et à ceux qui la contrôlent. Au niveau politique, la monnaie est tout sauf neutre. Dans les faits, détenir un monopole sur la monnaie permet au moins trois choses. La première est d’avoir un symbole politique puissant de promotion du sentiment d’identité. La seconde est de gérer des revenus importants, grâce à la pratique du seigneuriage. La troisième consiste à posséder un outil de gestion d’une économie. Le choix des taux d’intérêt sur le crédit et l’épargne est effectivement un moyen efficace pour orienter les comportements d’épargne et de consommation des ménages.

Aujourd’hui encore, il subsiste une autre forme d’esclavage que nous appelons esclavage monétaire. Les pays africains et ceux de la zone franc en particulier connaissent une certaine concaténation de maux dont le franc CFA, la monnaie des Cons de la France en Afrique, explique en partie ce cercle vicieux. Retenons que la monnaie est un concept à fort alibi politique : c’est un signe qui procure croyance et confiance c’est-à-dire une conscience collective d’appartenance à un même système de valeur. Or, la souveraineté réside dans le peuple et le symbole à la fois vertical et horizontal en sera l’Etat. Et justement la volonté de l’Etat se trouve ratifiée par le consentement universel de la collectivité dans laquelle la monnaie circule.

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