Le président directeur général de COFINA, Jean-Luc Konan, estime que cette crise née de la pandémie du Coronavirus est bien différente de la crise financière de 2008.
Quid donc des PME ?
Le monde devrait connaître un choc économique sans précédent avec la pandémie du Covid-19. Aucun continent n’échappera à la récession. D’après un rapport publié par l’Union africaine, la crise économique engendrée par le Covid-19 pourrait entraîner la destruction de près 20 millions d’emplois sur le continent. Tous les pays africains revoient à la baisse leurs prévisions économiques pour l’année 2020 : la Commission économique des Nations-unies pour l’Afrique (CEA) prévoit une décélération de la croissance régionale à 1,8% en 2020.
Si le premier réflexe est de comparer cette crise avec cellede 2008, elle est en réalité bien différente. En 2008, l’origine était financière, provoquée par le dégonflement de bulles de prix du marché immobilier américain. Cette fois, le choc touche directement l’économie réelle. Au départ l’offre, notamment avec un gel de l’appareil de production chinois. Mais désormais la demande avec les mesures de confinement qui se répandent dans le monde. C’est l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement mondiale qui est touchée.
Face à cette crise inédite, les pouvoirs publics et le secteur privé doivent se mobiliser pour apporter des réponses communes aussi bien sur le plan sanitaire, socialqu’économique. Au niveau des entreprises, s’il est évident que les grands groupes locaux comme étrangers ont un rôle important dans le développement de nos pays, ils ne constituent pas pour autant le cœur de nos économies. Le terreau économique africain est très majoritairement composé de très petites (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME), qui rencontrent déjà de vives difficultés dans la recherche de capitaux. Ainsi, les PMErestent perçues par les banques traditionnelles comme des structures à risque : fragiles, peu résilientes et peu solvables.
Il est également important de ne pas oublier le poids du secteur informel, qui contribue à hauteur de 85% del’économie africaine et qui représente en moyenne 80 % des emplois du continent. Bien souvent, ces structures ne sont pas explicitement reconnues par les autorités légales de leur pays, ignorent les règles de gestion et decomptabilité, ainsi que les législations sociales et fiscales.La crise pourrait d’ailleurs constituer une opportunité de faire rentrer ces entreprises dans le secteur formel, pourvu que les Gouvernements les y incitent.
Touchée plus tardivement que l’Asie et l’Europe, l’Afrique a eu le temps d’anticiper les conséquences de cette crise avec une première vague de mesures de soutien à l’économie. La plupart de nos gouvernements annoncentdes plans de ripostes économiques massifs à l’image de ce qui se fait dans les autres régions du monde. Pour notre continent, il s’agit de profiter de ce décalage temporel avec des zones géographiques plus durement touchées pour tirer les leçons des expériences étrangères et les adapter à nos contextes socioéconomiques. L’on peut par exemple citer, le gouvernement ivoirien qui prévoit entre autres, la mise en place d’un fonds de garantie aux PME et aux entreprises du secteur informel fragilisées par la crise, pour un montant de 100 milliards de FCFA. De même au Sénégal, le Plan Covid19 prévoit la mise en place d’un mécanisme de financement des entreprises d’un montant de 200 milliards de FCFA sous forme de crédits de trésorerie ou d’investissement en partenariat avec le secteur bancaire. Enfin au Gabon, le gouvernement a mis en place un guichet de financement d’urgence doté de 200 milliards de FCFA pour répondre aux besoins urgents de trésorerie des entreprises
La BCEAO a déjà annoncé le 21 mars la mise en place de huit mesures exceptionnelles pour contrer les répercussions de la pandémie sur les économies nationalesavec une injection record de liquidités portée à 4 750 milliards de F CFA par semaine. Deux concernent particulièrement les PME : le régulateur appelle les banques à mieux faire usage des ressources du guichet spécial de refinancement en leur faveur, et à accorder des reports d’échéances. Néanmoins, ces mesures pourraient être renforcées à deux autres niveaux.
Il est évident que les grands établissements bancaires nécessitent un appui particulier compte tenu du risque systémique qu’ils portent, toutefois les 511 Systèmesfinanciers décentralisés (SFD) – qui opèrent dans la micro et la méso finances – de la zone UEMOA ne doivent pas être oubliés. Les SFD représentent plus de 15 millions de clients qui pourraient être mis en difficulté si ces institutions financières n’étaient pas rapidement dotés par les pouvoirs publics de moyens financiers opérationnels pour continuer à distribuer des crédits et s’adapter aux éventuelles difficultés de remboursements de leurs clients. Pour les SFD, il est crucial de pallier au risque de liquidité en cas de « bank run » et de pouvoir faire face à de possibles retraits de fonds.
De plus, les établissements bancaires de la région sont naturellement plus tournés vers des opérations de financement du secteur public ou des grandes entreprises. Or cette crise économique nécessite également des acteurs financiers dont le cœur de clientèle est composé de PME. Dans ce contexte, les SFD sont bien placés pour irriguer l’économie réelle de crédits avec leur connaissance des écosystèmes et répondre aux besoins des TPE et PME africaines.
Les États, bailleurs, organisations internationales, banques, systèmes financiers décentralisés et dirigeants économiques travaillent déjà main dans la main pour répondre à ces problématiques concrètes. Il leur convient donc d’examiner en urgence les dispositifs d’accompagnement économique, nationaux, régionaux et internationaux, et de se poser les bonnes questions de manière lucide afin de bâtir une réponse globale.
Contrairement à 2008, les institutions financières font aujourd’hui partie intégrante de la solution. Les États ont tout intérêt à les soutenir et les renforcer, car il en va de l’économie réelle du continent.
Toute crise contient en elle les germes d’un renouveau, pour peu que nous soyons à la hauteur des enjeux.
La crise du Covid-19 nous exhorte à nous questionner, en urgence, sur notre propre modèle de développement. Nous devrons en tirer les enseignements nécessaires à la construction d’une nouvelle économie du bien commun, plus saine et plus inclusive pour garantir le développement durable de nos sociétés.
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