Aujourd’hui est le 19 avril 2020 – Voilà 30 ans exactement que cet événement s’est passé.
Mais il reste fortement gravé dans les mémoires des acteurs.
Dans l’histoire de la Lutte estudiantine des années 90, les dates du 19 Février et 21 Avril 1990 sont celles souvent évoquées.
Mais le 19 Avril 1990 est une date à retenir pour nous jeunes militants à l’époque, ayant fait face à une redoutable machine à répression que nous avons vaincue par notre enthousiasme, notre générosité, notre insouciance, mais surtout par notre détermination et notre engagement sur la base de la conviction.
Le 19 Février 1990, marque le début de la contestation estudiantine à la cité universitaire de Yopougon.
Le 07 Avril, les écoles et l’université ont été fermées.
Mais avant le 21 Avril, date de naissance de la FESCI, cet événement s’est déroulé jeudi 19 Avril 1990 entre 10h et 20h 30.
Nous étions en pleine année Blanche. Les écoles et l’université étaient fermées depuis le 07 Avril sur l’ensemble du territoire national. Les cités universitaires l’étaient également.
Pour briser l’’élan de la contestation, en plus de la fermeture des écoles, de l’université et des cités, tout rassemblement de plus de 05 personnes était interdit dans la ville d’ Abidjan. Même aux arrêts de bus, des policiers intervenaient pour vous écouter ou vous demandaient de garder la distance les uns des autres.
Nulle part, aucune possibilité de réunion.
Nous avions dû inventer des stratégies des plus élaborées pour nous retrouver, de façon tournante, dans les quartiers d’Abidjan. Et ça marchait très bien.
Le jeudi 19 avril 1990, un fait insolite se produisit. Nous sommes contactés par les cadres de l’ouest pour étudier les conditions de notre présence aux obsèques de l’élève Kpéa Domin Édouard.
En effet, tué par un gendarme à Adzopé, lors de la mobilisation généralisée des élèves et étudiants du 06 avril 1990, la date du samedi 21 avril avait été retenue pour son inhumation, après 02 reports successifs, à Zampleu, son village natal, près de Zouon Houin. La date indiquée était le 21 avril et nous étions à pieds d’œuvre pour accompagner dignement cet élève fauché par une balle assassine d’un gendarme au cours d’une manifestation pacifique d’élèves à Adzopé le 06 Avril.
Le Comité de défense des élèves et étudiants (CODEE), appelé encore Comité qui deviendra ONEECI , qui est entré en contact avec les patents, dès le décès de l’élève et qui entendait s’impliquer dans l’organisation des obsèques, a été convoqué par les cadres de l’ouest au domicile du Ministre Paul Guy Dibo.
Il faut préciser que notre participation aux obsèques avait été posée comme revendication au Président de la République feu Félix Houphouët, lors d’une de nos rencontres .Il n’y avait pas vu d’inconvénient et à donner instructions aux organisateurs de nous associer à l’évènement.
Mais tenez-vous bien, la suite sera presque extraordinaire.
En effet deux réunions successives et contradictoires vont vous situer sur la nature du régime, à l’époque, et sur les méthodes utilisées.
Ce jeudi 19 Avril donc, une première réunion s’est tenue avec les cadres dans la matinée, aux environs de 10h, au cours de laquelle, il nous avait été indiqué que nous pouvions participer au voyage sur Danané. Un car serait affrété pour transporter la délégation que nous devions constituer nous- mêmes.
Toutes les dispositions avaient été convenues. Il ne nous restait plus qu’à trouver les partants que nous avions estimés à un peu plus de 70 personnes.
Mais, à la sortie de la réunion, un sentiment très curieux s’est emparé du groupe.
Nous avions trouvé l’offre trop généreuse et cela a suscité en nous beaucoup d’appréhension, de doute et de la méfiance.
En effet, même si nous pouvions estimer que nous avions arraché notre droit de participation aux obsèques au président Houphouët lui-même, les facilités à nous accorder paraissaient trop belles pour être bonnes pour nous.
Certains camarades ont donc vite fait de voir derrière cette généreuse offre, un complot ou un piège qui risquait de se refermer sur nous d’un instant à l’autre. Soit une attaque meurtrière contre notre car en route pour Danané, soit une arrestation d’ensemble, voire un empoisonnement une fois sur les lieux.
Pour éviter ce piège, nous avions décidé de réduire notre délégation et de la disséminer dans plusieurs véhicules.
La réunion terminée, nous sommes séparés dans l’espoir de nous retrouver le lendemain, vendredi 20 Avril afin d’arrêter les dernières dispositions pratiques.
Mais aux environs de 16h le même jour, un émissaire du ministre Paul Guy Dibo vint nous informer que les cadres souhaiteraient nous revoir d’urgence. Sur les 09 membres de la délégation initiale, nous n’avions pu retrouver que 5.
Notons que nous sommes en 1990, nous sommes sans téléphone, ni aucun moyen de communication. Les cités sont fermées. Nous étions pour la plupart des Sans Domiciles Fixes (S.D.F) .
Nous nous déplacions, avec dans nos sac à main, ou nos chers blousons, tout le nécessaire de toilette et autres, soit pour passer la nuit où elle nous trouve, soit pour aller en prison, en cas d’arrestation collective ou individuelle . Nous en avions déjà connues quelques-unes avant cette date, ces journées qui commençaient bien, mais qui se terminaient soit à la Dst, soit à la préfecture de police. Nous y étions donc suffisamment préparés.
Mais nous étions sans aucun moyen de communication ordinaire.
Mais admirez tout de même conséquemment notre capacité à nous mobiliser.
On en arrive à se poser les questions aujourd’hui encore.
Mais comment, diables, faisions-nous ?
Et sauf, vantardise, chacun de nous sait que parfois, seul le vent nous y aidait, si ce n’est Dieu, comme pour nous dire que notre mission était hautement Divine. Les voies de la Lutte sont insondables.
Comment pour toute chose qui se passe dans une cité universitaire, l’information parvient à toutes les autres, en même temps, et rapidement, comme si c’était par appels téléphoniques ou des messages. Très souvent, avant même que nos missions n’arrivent tout était déjà su. L’information était totalement passée.
Comment apprenait-on ces enlèvements nocturnes sans aucuns témoins ?
Comment étions-nous informés de toutes ces choses qui arrivaient aux étudiants, parfois hors des cités ?
Bref, nous sommes chez le doyen Paul Guy Dibo, pour la deuxième réunion de la journée, avec les cadres, qui va tout changer.
Il est 17h ce jeudi 19 Avril 1990.
Extrait de mon livre à paraître : Et si la Lutte estudiantine m’était contée, Fesci, la préhistoire
La suite demain.
Sur la photo Dr Martial Ahipeaud au centre, le défunt Groguhet Charles à droite et Eugène Djué à gauche.
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