Dans une interview radio accordée aux différents médias le 29 mars dernier, Le Président béninois Patrice TALON faisait cet aveu terrible :
« Vous savez, pour accompagner les réductions de mobilité ou les confinements, les pays riches débloquent des sommes faramineuses …
Le Bénin notre pays, à l’instar de la plupart des pays d’Afrique, ne dispose pas
de ces moyens…
Si nous prenons des mesures qui affament tout le monde à la fois et trop longtemps, elles finiront très vite par être bravées et bafouées sans avoir permis d’atteindre les objectifs ».
Depuis trois mois, la pandémie de Covid 19, se propage à un rythme rapide en Europe, aux Etats Unis et dans la péninsule arabo persique.
L’Afrique qui avait paru relativement épargnée, a, elle aussi, goûté à cette autre « saveur » de la mondialisation. La plupart des pays africains (en dehors des pays de la partie septentrionale et de l’Afrique du Sud), ont eu la malheureuse confirmation de la cohérence de leurs systèmes de santé avec leurs niveaux de développement ; ils s’interrogent désormais sur leur aptitude à faire face à un flux important de patients.
Alors que certaines grandes puissances paraissent totalement déboussolées et n’hésitent plus à solliciter l’aide chinoise ou cubaine, les Africains se demandent comment ils vont faire face à cette grave crise sanitaire et bientôt économique.
Ils observent avec intérêt, cette Chine qui s’est « éveillée, qui fait trembler le monde », selon la formule attribuée à Napoléon et vulgarisée par Alain Peyrefitte ; Ils scrutent cette Chine qui aménage le coup d’après, avec sa désormais diplomatie de la santé, qui se manifeste par l’épandage de ses méthodes à l’efficacité avérée.
Dans cette situation de panique généralisée et de psychose, toutes sortes de solutions sont appliquées par les grandes puissances : dépistage systématique, couvre feu, confinement et soins pour certains, confinement total ou partiel, fermetures des frontières pour d’autres.
Nos Etats semblent avoir transposé mécaniquement, les mesures appliquées ça et là, sans tenir compte des réalités ou des contraintes sociologiques et culturelles locales. Il s’ensuit que le risque de passer d’une crise sanitaire à une grave crise économique, est de plus en plus réel.
Ces solutions constituent-elles des réponses adaptées ? Peuvent-elles nous permettre de faire face efficacement à la propagation de cette pandémie ? Nos économies peuvent-elles résister et affronter cette bataille, qui paraît correspondre beaucoup plus à un marathon qu’à une course de vitesse ?
- Frontières fermées ou entrouvertes et confinement total ou partiel : la panacée ?
La fermeture des frontières, le couvre-feu et le confinement total ou partiel sont généralement imposés comme une réponse efficace. Avec quels résultats ?
Il convient de faire « l’autopsie » de ces mesures et d’en dresser le bilan.
Ailleurs, des mesures d’accompagnement ont été prises pour accompagner les différentes couches de la population, notamment les plus fragiles : report des charges sociales, des factures d’électricité et d’eau, télétravail, chômage partiel indemnisé, appui aux entreprises…
Ces mesures ne paraissent pas transposables dans nos pays, du fait de l’économie informelle qui représente 60 à 80 % de l’activité.
Comment faire appliquer le confinement total ou partiel, la distanciation sociale, sans courir le risque d’autres drames humanitaires ?
L’écrivaine franco-camerounaise Calixte Beyala, condamne ce mimétisme et explique : « la plupart des Africains vivent au jour le jour. Ils n’ont pas les moyens de s’approvisionner en nourriture pour une petite semaine ! Ils n’ont pas de frigo et, pour la plupart, pas d’électricité pour pouvoir se payer ce luxe qui certainement diminuerait le nombre de morts ».
Pour le Dr Samba Sow, envoyé spécial de l’OMS en Afrique et directeur du Centre malien de développement des vaccins, « l’idée du confinement à domicile pose question dans certains pays, notamment au Mali où, souligne-t-il, des familles parfois très nombreuses vivent sous le même toit ».
Comment respecte-t-on la distanciation sociale dans une cour commune à Abidjan, où les pauvres s’entassent en moyenne à six par chambre, dans des espaces exigus ?
Comment respecter la limite de 50 (cinquante) à 100 (cent) personnes par rassemblement, lorsque dans ladite cour commune, s’abritent 100 (cent) à 200 (deux cents) personnes ?
Comment se laver régulièrement les mains, alors que dans la plupart de nos zones rurales et parfois urbaines, l’eau courante est encore un produit de luxe, difficilement accessible ?
Comment prendre en charge les besoins de santé de ces populations vulnérables, habitant parfois à une dizaine de km du premier centre de santé ?
Comment lutter contre la pandémie, alors que le personnel soignant ne dispose pas de l’équipement minimum de protection ?
Comment respecter la distance d’un (1) mètre, sur une moto-taxi, principal moyen de transports de personnes dans de nombreuses villes africaines (Cotonou, Lomé, Douala, Bouaké, Korhogo…) ?
Comment s’offrir des mouchoirs à usage unique, masques ou gels hydroalcooliques (désormais vivement recommandés), lorsque s’offrir un repas par jour, dans des pays où le SMIG n’excède pas cent (100) euros par mois, relève d’un vrai parcours du combattant ?
- Mourir de faim ? Le choix de la faim ?
Les Gouvernants sont confrontés à une équation complexe, à plusieurs inconnues, d’autant que l’impact économique des mesures prises ou envisagées, est redoutable ; plusieurs entreprises sont appelées à disparaitre, dans le secteur de l’hôtellerie, du tourisme, des loisirs, des transports….
Dans la célèbre pièce « Le Cid » de Pierre Corneille, poète et dramaturge, Rodrigue, appelé à épouser Chimène, doit venger l’honneur de son géniteur « bafoué » par le père de Chimène. Si Rodrigue répond à l’appel du devoir, il doit tuer le père de sa dulcinée ; s’il refuse la vengeance au profit de l’amour, il manque à son devoir et portera toute sa vie les stigmates de la lâcheté. Le choix difficile auquel fut confronté Rodrigue au 17ème siècle, prit le nom de dilemme cornélien.
C’est à ce choix douloureux, que sont confrontés aujourd’hui, les plus fragiles, dans nos différents Etats : mourir de façon certaine de la faim ou mourir de façon hypothétique du corona virus (Covid 19) ?
Les propos de ce vendeur malgache à l’AFP illustrent le drame de nos populations : « Je sais que le coronavirus peut tuer ; mais si je reste à la maison pendant quinze jours sans travailler, je meurs aussi ».
Le Président Patrice TALON faisait également cet aveu : « Combien de personnes au Bénin ont un salaire mensuel et peuvent attendre deux, trois ou quatre semaines même sans travailler et vivre des revenus du mois ? Combien ?
Comment peut-on donc, dans un tel contexte où la plupart de nos concitoyens donnent la popote avec les revenus de la veille, décréter sans préavis, un confinement général de longue durée ? »
Certes, la santé des populations est au cœur des priorités qui motivent des mesures restrictives, face à la pandémie ; mais que fait-on du « droit à la vie » desdites populations, garanti par l’article 3 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 ?
Il y a ceux qui ont les moyens de « dévaliser » les supermarchés, de faire des provisions sur une longue période ; il y a les autres, les plus nombreux ! Ces millions d’hommes et de femmes du secteur informel, qui vivent au jour le jour, sans réserves bancaires, sans aucune possibilité de télétravail, privés brutalement de ressources et de subsistances ?
Pour tous ces oubliés de notre continent, quelle différence y a-t-il à mourir du Covid 19 ou de faim ?
- Quid des solutions alternatives ? Une riposte régionale ?
L’une des alternatives sur mesure, a été proposée par le Dr Matshidiso Moeti, directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique. Elle consiste à identifier les cas d’infection au Covid-19, les isoler, les traiter et mettre sous surveillance les personnes avec qui ils ont été en contact. Elle insiste sur le fait que la plupart des cas enregistrés sont encore des cas « importés » par des personnes venant d’Europe. Ce qui rend leur identification relativement plus facile que s’il s’agissait de contagions locales (www.jeuneafrique.com).
Pour des pays tels que la Corée du Sud, Singapour et Taiwan, la lutte contre le covid 19 ne passe pas par le confinement général, mais par la traçabilité des personnes confinées puis leur isolement.
Ces pays régulièrement cités en exemple, ont pu juguler la propagation de l’épidémie et n’ont enregistré qu’un nombre de décès très faible.
En revanche les pays comme la France, l’Italie et l’Espagne qui ont mis l’accent sur les mesures de confinement, sont aujourd’hui totalement débordés par la vague, et comptent désormais leurs morts par milliers.
Au moment où l’on nous vante les bienfaits de l’intégration, pourquoi nos différentes communautés économiques régionales n’envisagent-elles pas, par exemple, une riposte régionale, s’inspirant des exemples réussis en Asie, plutôt que de privilégier des approches nationales ?
Ne pourrait-on pas multiplier les tests sur toute l’étendue de nos différents Etats et de ne confiner ou ne mettre en quarantaine, que les personnes infectées, de manière à ne pas pénaliser toute l’activité économique ?
Il faudrait sans doute envisager des solutions novatrices qui concilient la nécessité de garantir la santé de tous et la continuité de l’activité économique, tout en prenant en compte nos réalités sociologiques, culturelles et économiques (prédominance du secteur informel, notamment).
- Investir dans le secteur de la santé
La santé et l’alimentation constituent deux poches de dépenses incontournables de la vie sociale. Nos Etats ne sauraient faire des économies sur ces deux tableaux, même si de nombreux plans d’ajustement structurel ont entraîné des désinvestissements dans le secteur de la santé.
Alors qu’aucun point de nos territoires ne souffre d’un « désert de restauration », l’on ne compte plus les « déserts médicaux ».
Il faudra certainement profiter de la pandémie du Covid 19, pour lancer des investissements massifs dans le secteur de la santé, afin de pouvoir faire face à tous ces périls et offrir aux populations des soins de qualité.
Cette responsabilité incombe à nos Etats qui devraient là aussi s’inspirer des pays d’Afrique du Nord et des « dragons asiatiques », en développant notamment la télémédecine et le télétravail, sur un continent qui bénéficie d’un taux de pénétration important de la téléphonie mobile.
Il appartient également aux investisseurs privés africains, de s’emparer de cette opportunité, en s’intéressant à ce secteur hautement porteur, parce que notre continent, berceau de l’humanité, ne doit pas rater sa vocation d’être celui de l’avenir.
Narcisse HAQUAT
Juriste Consultant
Abidjan- Côte d’Ivoire
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