La semaine dernière, la ville d’Aboisso a assisté à deux styles d’empathie vis-à-vis des populations. Il a été constaté envers elles, un élan de solidarité du sommet de l’Etat, bienvenu d’ailleurs. Mais les styles d’approche des populations suscitent débat au sein de la communauté.
En effet, le 03 avril 2020, le Vice-président Daniel Kablan Duncan a fait des dons aux populations des départements d’Aboisso, de Tiapoum et d’Adiaké, lesquels ont été réceptionnés par des représentants lors d’une cérémonie sobre dans l’enceinte de la préfecture d’Aboisso. Cette cérémonie officielle a eu lieu dans le strict respect des mesures édictées par l’État de Côte d’Ivoire, entre autres, l’interdiction des rassemblements de plus de 50 personnes et le respect de la distanciation sociale. A contrario, celle organisée par les représentants du Premier ministre à l’intention des mêmes populations s’est faite dans un espace public et en violation d’au moins quatre mesures restrictives édictées par le gouvernement pour freiner la propagation de la pandémie de coronavirus en Côte d’ Ivoire, à savoir :
– Porter un masque ;
– Saluer sans se serrer la main, sans accolades et sans embrassades ;
– Respecter une distance d’au moins un mètre entre les personnes ;
– Éviter les rassemblements de plus de 50 personnes.
De plus, après les prises de vue réalisées par la presse et ce, pour donner l’impression d’une distribution populaire, les dons évalués à 70 millions par les représentants du Premier ministre ont été, ensuite, acheminés dans la résidence du Ministre Aka Aouélé où ils auraient été distribués à ses amis par ses collaborateurs.
Si l’on examine l’attitude de ces deux personnalités à l’aune des exigences de l’éthique républicaine, l’on s’aperçoit que cela pose le problème de la déontologie du don et l’on se demande pourquoi, au sein d’un même pays et pour la même cause, l’on observe des démarches dissonantes dans la distribution des dons. Qu’est-ce qui explique ce manque de congruence au sommet de l’État ? L’un est Vice-président et deuxième personnalité dans l’ordre protocolaire. Mais, il est plus respectueux des règles, avec un style mesuré. L’autre, Premier ministre a choisi un exhibitionnisme digne de la courtisanerie électoraliste avec, de surcroît, l’utilisation des moyens de l’Etat pour offrir des vivres et non vivres présentés comme des dons privés, des dons, par ailleurs, estampillés le plus souvent des initiales de son nom.
Pourquoi cette espèce de cafouillis et de mélange des genres au sommet de l’Etat là où les populations étaient en droit d’attendre des attitudes harmonisées et conformes à la vision républicaine de l’Etat ? À quoi rime cette bipolarité au sein de l’exécutif, avec l’opposition entre le respect des mesures prises par le gouvernement et la défiance vis-à-vis de ces mêmes mesures par des Ministres qui sont censés être les premiers à les respecter et à être les garants de leur observance ?
Cette culture qui consiste à se faire voir à grand renfort de publicité à quelques mois des élections alors qu’on piétine allègrement les lois de la République ressemble plus à une campagne électorale avant l’heure qu’à de l’empathie désintéressée. Au vu de la crise sanitaire que traverse notre pays, s’inscrire dans une attitude de défiance des lois pour afficher, devant les caméras, une générosité suspecte parce, qu’accompagnée d’intentions courtisanes et à relents électoralistes, ne nous semble pas judicieux. Pourquoi l’africain politique, une fois parvenu au pouvoir, devient-il un homme en perpétuel conflit avec la loi, violant sans sourciller les lois républicaines pour se donner toujours une avance confortable face à ses adversaires ? Hier, c’était le découpage électoral qui avait été fait pour donner une bonne longueur au RDR dans la comptabilité finale des postes électifs. Cette attitude ne constitue-t-elle pas un terreau fertile pour la survenue d’hommes forts mettant les institutions à leurs pieds plutôt que d’hommes au service des institutions et de la République ? « L’enfant est le père de l’homme » disait le poète anglais William Wordsworth. D’où vient ce mal qui colle si durement à la peau de l’africain et comment nous en prémunir pour construire des pays fortement ancrés dans la démocratie ? Cette préoccupation s’adresse à tous et est valable pour le pouvoir et l’opposition actuels. Le mal est profond et mérite réflexion parce qu’en Côte d’Ivoire, d’un régime à un autre, semblent se perpétuer des pratiques qui foulent aux pieds les règles élémentaires de l’élégance démocratique comme si, au lieu de l’esprit des lois, l’on avait choisi fatalement la loi du plus fort.
Ces deux stratégies différentes face à la lutte contre le covid-19 incitent à croire qu’il y a deux Côte d’Ivoire, avec des philosophies sociales différentes, et cela est bien regrettable et donne un très mauvais signal pour les élections à venir. Si, devant le malheur généralisé, là où il n’y a en principe pas de compétition, l’on viole les règles établies, qu’en sera-t-il lors des compétitions électorales à venir où souvent la fin justifie les moyens ?
Pascal FOBAH Eblin
Analyste politique
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